Adoptée définitivement par le Parlement le 11 avril, la loi PACTE prévoit la privatisation de la société « Aéroports de Paris » (ADP). Début avril, les parlementaires ont réclamé un projet de referendum d’initiative partagée (RIP). Le 9 mai dernier, le Conseil Constitutionnel a validé le projet.

Décryptage par Bertrand Mathieu, professeur de droit à l’école de droit de l’université Paris Panthéon-Sorbonne, conseiller d’État en service extraordinaire, vice-président de l’association de droit constitutionnel, expert au Club des juristes.

« Il suffit que les deux assemblées examinent la proposition de loi pour que le référendum n’ait pas lieu. »

Quelles sont les étapes restantes ?

La décision du Conseil constitutionnel validant tant la procédure relative à l’initiative parlementaire, que l’objet de la proposition et sa conformité à la Constitution, ouvre la porte à la poursuite de la procédure relative au référendum d’initiative partagée.

Comme le prescrivent les dispositions organiques pertinentes, le Conseil indique que l’ouverture de la période de recueil des soutiens doit intervenir dans le mois suivant la publication au journal officiel de sa décision et précise que le nombre de soutiens d’électeurs inscrits sur les listes électorales à recueillir est de 4 717 396.

La procédure de recueil des soutiens des électeurs est engagée sous le contrôle du Conseil constitutionnel. Il est important de souligner que ces soutiens sont exprimés sous forme électronique. Même si la voie électronique facilite a priori la procédure et si des points d’accès à des services de communication en ligne doivent être mis en place dans la commune la plus peuplée de chaque canton, chaque électeur devra justifier de sa qualité et de son identité et on peut penser que ces modalités techniques peuvent dissuader certains électeurs, plus habitués à glisser un bulletin dans une urne qu’à utiliser internet et les procédures électroniques. Cette situation peut d’ailleurs ne pas être sans influence sur les résultats de la consultation. Une campagne politique va ainsi s’ouvrir pendant neuf mois. Elle risque d’être, en l’occurrence, difficile à comprendre au regard de l’hétérogénéité des soutiens politiques à la proposition et du fait que les électeurs du Rassemblement national, parti qui a été écarté de l’initiative, auront à se prononcer s’ils le souhaitent.

Le Conseil constitutionnel, qui contrôle le déroulement de ces opérations, interviendra à nouveau pour déclarer si la proposition a obtenu le nombre de signatures exigé. À supposer même que tel soit le cas, ce qui ne relève pas, apriori, de l’évidence, rien ne permet de penser que le référendum aura lieu. En effet, l’initiative parlementaire, le soutien populaire et l’aval du Conseil constitutionnel ne conduiront pas nécessairement à l’organisation d’un référendum portant sur cette proposition. Ce n’est que si cette proposition n’est pas examinée au moins une fois par chaque assemblée dans un délai de six mois après l’obtention des soutiens nécessaires que le président de la République devra la soumettre à référendum. Le parlement dispose ainsi d’un second verrou, assez facile à mettre en place. Il suffit en effet que les deux assemblées examinent la proposition de loi pour que le référendum n’ait pas lieu.

La loi Pacte pourrait-elle être remise en cause ?

Au regard de ce qui précède, il y a peu de risques, ou de chances, selon les points de vue, que la disposition inscrite dans la loi « PACTE » autorisant la privatisation de la société « Aéroports de Paris » soit remise en cause. Dans sa décision 2019-781 DC, le Conseil a validé cette disposition, en confirmant ce qu’il avait indiqué dans sa décision 2019-1 RIP, à savoir que le caractère de service public national des missions assurées par cette société ne relevant pas d’une exigence constitutionnelle et en ajoutant que la société ne constitue pas non plus un monopole de fait. Sans y être juridiquement obligé, mais pour des raisons tant politiques qu’économiques que l’on peut comprendre, le gouvernement a décidé de reporter la mise en œuvre de la procédure de privatisation.
Quelles que soient les hypothèses retenues, elle ne devrait être que retardée. Première hypothèse : la proposition ne recueille pas les 4 717 396 signatures et la procédure s’arrête, la disposition en cause de la loi PACTE s’applique. Deuxième hypothèse, les signatures requises sont réunies, il suffit que les deux chambres du parlement examinent la question pour que le référendum n’ait pas lieu. Sauf si le Sénat refusait d’examiner la proposition, ce n’est qu’en cas de retournement politique, peu probable en l’état, que le référendum pourrait avoir lieu et son résultat remettre en cause la disposition autorisant la privatisation contenue dans la loi PACTE, ce qui semble, in fine, fort improbable.

Quel peut être l’avenir du RIP?

Même si l’on estime souhaitable de mettre en place une procédure référendaire de ce type, on peut craindre que des minorités de rencontre utilisent, comme en l’espèce, cette procédure pour mettre en difficulté la majorité, ce qui n’est pas en soi illégitime, mais surtout pour perturber une procédure législative en recourant à un mécanisme dont ils savent, le cas échéant, qu’il ne peut aboutir.

Cependant cette situation ne doit pas conduire à fermer la porte du référendum d’initiative populaire mais à réfléchir à une réforme de la procédure. Lors de son intervention en conclusion du « grand débat » le président de la République, a annoncé sa volonté de modifier le système du référendum d’initiative partagée. Ainsi, si l’on interprète correctement la parole présidentielle, qui n’était pas sur ce point d’une grande précision, un million de citoyens pourraient engager une procédure législative pouvant déboucher soit sur un examen parlementaire, soit sur un référendum. C’est en quelque sorte une inversion du mécanisme existant du référendum d’initiative partagée : une intervention populaire peut déboucher avec l’accord, au moins tacite du parlement sur un référendum. Il ne s’agit pas alors de faire de cet instrument de démocratie directe une alternative, même limitée, à la démocratie représentative, dans l’esprit de l’article 3 de la Constitution (« la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum »), mais d’offrir à un certain nombre de citoyens la faculté de solliciter les institutions représentatives.

D’autres pistes, qui ne sont d’ailleurs pas contradictoires, peuvent être explorées.

Ainsi un véritable référendum d’initiative populaire, résultant par exemple de l’initiative d’un million de signatures, sans intervention préalable de parlementaires permettrait d’éviter dans une large mesure le déclenchement du mécanisme dans les conditions qui ont été celles de la proposition sur l’interdiction de privatiser « Aéroports de Paris ». En effet une initiative précédant de quelques jours le vote d’une loi par le parlement ne pourrait prospérer et un délai de neuf mois entre le déclenchement de la procédure et la clôture du recueil des signatures découplerait, en principe, les deux formes d’expression démocratique.

Deux options s’ouvriraient alors, soit l’obligation de recourir au référendum si le nombre de signatures exigées est atteint, soit maintenir l’exigence selon laquelle le référendum n’a lieu que si le parlement ne s’est pas prononcé (a priori cette formulation, plus exigeante, est plus satisfaisante que celle qui renvoie à un simple examen). La seconde, qui offre plus de sécurité, laisse au parlement le dernier mot mais permet à un nombre important de citoyens de le solliciter et de le contraindre à se prononcer sur une question qui entre dans le champ du référendum.

Pour aller plus loin :

Par Bertrand Mathieu.