Par J.P Camby – Professeur associé à l’Université de Versailles – Saint Quentin
Jeudi 30 juin se déroulera l’élection pour la présidence des huit commissions permanentes de l’Assemblée nationale, dont celle des finances. Traditionnellement, la présidence de cette dernière, particulièrement stratégique au vu de pouvoirs qui lui sont dévolus revient au principal groupe d’opposition. Pourtant, la composition de l’Assemblée nationale à l’issue des élections législatives de la semaine dernière permet le débat : RN et Nupes revendiquent le titre de premier groupe d’opposition, et le texte impose seulement l’attribution à un groupe de l’opposition. Retour sur les enjeux de ces élections et les options qui pourraient être retenues dans le contexte actuel.

Quelles compétences détiennent les commissions permanentes à l’Assemblée nationale et pourquoi l’enjeu de leur présidence est-il si fort ?

Les 577 députés de l’Assemblée nationale sont répartis en huit commissions permanentes dont la mission répercute les compétences des assemblées parlementaires que l’on présente généralement en deux volets : le contrôle de l’activité du gouvernement, ou, plus généralement des activités relevant de la sphère publique, et le vote de la loi. Sous la Vème République, c’est la Constitution qui en fixe le nombre maximum – porté de six à huit pour les commissions permanentes par la révision du 23 juillet 2008 – et prévoit que leur sont renvoyés pour examen les textes législatifs ; le rôle du rapporteur est alors fondamental.

Ces deux types de pouvoirs, qui dans la pratique sont très imbriqués, ont subi des inflexions notables depuis 1958. Les pouvoirs de contrôle se sont renforcés – notamment ceux de la Commission des finances, qui dans le domaine du contrôle du budget de l’Etat et des opérateurs publics incluent des contrôles sur pièces et sur place notamment au sein des ministères, des questionnaires budgétaires, un contrôle de l’exécution budgétaire – mais peuvent aussi se traduire par exemple par l’attribution spécifique de pouvoirs d’enquête. Dans ce cas, les personnes auditionnées doivent répondre sous peine d’amende et prêter serment. Le contrôle ordinaire est souvent moins spectaculaire mais très utile : auditions, vote sur les nominations proposées par l’exécutif, rapports d’information, etc.

Le rôle législatif est tout aussi important. Depuis la révision de la Constitution de 2008, les débats en séance publique s’engagent dans tous les cas sur les textes établis par la commission compétente, qui a acquis ainsi un réel pouvoir en adoptant des amendements incorporés au texte débattu. Si le gouvernement souhaite revenir sur les amendements adoptés en commission, il faut qu’il le fasse en séance publique, sous réserve alors de faire adopter ses propres amendements.

N’échappent à cette règle de procédure que les cas dans lesquels les travaux de la commission n’aboutissent pas, notamment en cas d’obstruction – le Conseil constitutionnel a ainsi rappelé, dans sa décision du 24 octobre 2012, que «  le constituant a entendu que … la discussion d’un projet ou d’une proposition de loi porte en séance sur le texte adopté par la commission saisie en application de l’article 43[…] ; il n’en va autrement que dans le cas où la commission […] a rejeté le texte qui lui était soumis ainsi que dans celui où la commission ne s’est pas prononcée sur l’ensemble des articles du texte avant le début de l’examen en séance » – ou encore pour quelques textes, dont les projets de loi de finances.

Pourquoi l’enjeu de l’attribution de la présidence des commissions de l’Assemblée nationale est-il cette année particulièrement fort ? 

L’effectif des commissions reflète celui des assemblées : il est proportionnel à l’importance des groupes. En conséquence, la majorité y est majoritaire, et donc en principe les présidences (désignées par vote des membres de la commission) lui reviennent. Il y a eu quelques exceptions historiques : en 1986, lors de la première cohabitation J. Chirac étant Premier ministre, R. Dumas (PS) fut élu à la présidence de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale et V. Giscard d’Estaing ne récupéra la Présidence que l’année suivante.

Mais il y existe surtout une exception depuis 2007, où les deux candidats du second tour de l’élection présidentielle, S. Royal et N. Sarkozy, s’accordent sur le fait de confier, s’ils sont élus, la présidence de la Commission des finances à l’opposition. C’est ainsi que l’article 39 du règlement de l’Assemblée nationale prévoit depuis 2009 que : « ne peut être élu à la présidence de la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire qu’un député appartenant à un groupe s’étant déclaré d’opposition ». Jusqu’à présent dans chaque assemblée, la tradition parfois contestée veut que ce soit un membre du groupe numériquement le plus important de l’opposition.

Au-delà de cette règle statutaire, une négociation peut toujours avoir lieu pour laisser d’autres présidences à des députés qui ne sont pas membres du principal groupe majoritaire, voire dans la configuration actuelle qui ne seraient pas membres de la majorité. Plus le nombre de groupes est élevé, plus la répartition des postes peut ainsi faire l’objet d’une discussion d’ensemble. Une majorité relative ne peut donc verrouiller les attributions de sièges aussi facilement que lorsque, comme en 2017, un groupe détient à lui seul la majorité absolue au sortir de l’élection législative.

Si la présidence de la Commission des finances incombe à l’opposition, c’est aussi en raison de la partition des pouvoirs en son sein entre le Rapporteur général, qui appartient à la majorité et qui est l’interlocuteur privilégié de Bercy, et le Président lequel dispose du pouvoir de juger de la recevabilité financière des amendements en amont de la discussion. Toute décision d’irrecevabilité de l’amendement, au terme d’une procédure de contrôle systématique, empêche qu’il soit déposé. Le  Président doit donc se comporter dans cette mission en juge impartial. C’est aussi ce qui explique les débats autour de cette présidence.

Quelles pourraient être les options retenues pour ces présidences, au regard de la composition de l’Assemblée et de l’expérience de la Vème République ?

Sous la précédente législature, on avait déjà assisté à un émiettement de la représentation en neuf groupes. Mais cela ne correspondait pas à un émiettement identique de l’électorat.

Aujourd’hui, tout change : pour la première fois sous la Vème République, après l’élection présidentielle laquelle implique nécessairement une bipolarisation, on assiste à un fort fractionnement électoral lors de l’élection suivante qui se répercute presque mécaniquement dans la représentation parlementaire. L’image donnée par la répartition des députés en groupes qui en résulte ne déforme pas sensiblement les vœux des électeurs, compte tenu du mode de scrutin majoritaire, et assure une représentation des grands courants politiques conforme à leur place électorale. C’est d’ailleurs un argument très fort pour éviter qu’une représentation proportionnelle ne vienne encore émietter la représentation.

Il est ainsi logique que le RN et LFI aient une place conforme à leurs résultats électoraux dans le pays. Il est aussi logique que les Républicains récupèrent une partie de l’électorat perdu par la présidentielle, que la gauche retrouve des positions traditionnelles, etc.

Tout change aussi institutionnellement : pour la première fois depuis l’instauration du quinquennat en 2002, il existe une distorsion entre la majorité présidentielle, elle-même plurielle, et la majorité parlementaire. Le quinquennat reposait sur l’idée, plus ou moins avouée en 2000 mais clairement assumée avec le report dans le temps de l’élection des députés voté en 2001, que les électeurs confirment ou confortent à l’Assemblée nationale le parti présidentiel, assurant ainsi une stabilité gouvernementale pendant toute la législature. Or, cette logique a été démentie le 19 juin dernier.

Dans un régime parlementaire, même avec l’ombre portée de la puissance présidentielle provenant de son élection au suffrage universel et des importants pouvoirs que le chef de l’Etat détient par la Constitution, c’est le Premier ministre et lui seul qui assume la responsabilité politique du gouvernement devant l’assemblée parlementaire, issue elle aussi du suffrage universel.

Jusque-là, cette ombre portée, quinquennat aidant, dominait largement le débat public. Aujourd’hui et dès lors que la majorité est fluctuante, voire inexistante, s’ouvre une ère nouvelle de négociations parlementaires entre un gouvernement et une majorité qui n’est plus numériquement assurée. Les risques de blocage, notamment lors du vote des textes législatifs sont permanents et conduisent le gouvernement à devoir trouver des majorités d’alliance au moins éphémères. Ce mode de fonctionnement était largement à l’œuvre sous la IVème République, dont la Vème s’est résolument démarquée pour permettre au gouvernement de surmonter les absences de majorités.

En 1958, les institutions étaient précisément pensées pour pallier l’absence de majorité. Le phénomène majoritaire s’est historiquement bâti grâce à une structuration résultant des institutions, discipline de groupe aidant. L’éclatement actuel de la représentation parlementaire correspond à une situation inédite, alors que la panoplie du « parlementarisme rationalisé » s’est sensiblement amenuisée au fil des révisons constitutionnelles. On n’avait plus besoin, avec une structuration bipolaire, d’un tel arsenal. On le regrettera en l’absence de majorité.

Les attributions des postes au Bureau de l’Assemblée et aux présidences de commissions, mais aussi celles à venir de rapporteurs, de présidences de mission, ou de désignation dans des organismes extra parlementaire, font donc figure de test pour la suite de la vie parlementaire. En fonction des déclarations des groupes qui les situent dans l’opposition, dans les groupes minoritaires de la majorité, ou dans le groupe de la majorité présidentielle, toutes les options sont donc ouvertes, dont l’attribution de sièges supplémentaires à l’opposition.  Le dialogue au sein de la majorité, ou avec des groupes d’opposition pouvant ou non remplir un rôle indispensable d’appoint, sera préfiguré par ces premières nominations. Autrement dit, rien n’est joué.

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