Par Francis Kessler – Maître de conférences à l’École de droit de la Sorbonne – Université de Paris 1

La Première ministre Élisabeth Borne a présenté, à la presse, le 10 janvier 2023, les grandes lignes du quatrième projet de modification des règles gouvernant la retraite en 20 ans, le projet de loi a été rendu public le 17 janvier. Comme en 2003, 2010, 2014, la réforme consistera en une modification des paramètres de calcul des pensions.

Elle est également caractérisée par la poursuite de l’alignement de l’âge minimum de départ à la retraite quel que soit le régime socio-professionnel en cause. L’annonce contient des velléités de « fermeture » de certains régimes dits « spéciaux » sur le modèle de la réforme du régime de la SNCF de 2018. Les régimes visés qui, selon le gouvernement, ne sont plus justifiés par « la réalité des métiers exercés » seraient celui de la RATP, de la branche industries électriques et gazières (EDF, etc.), de la Banque de France, des clercs et employés de notaires et les membres du Conseil économique social et environnemental. Les retraites des fonctionnaires ne seraient pas concernées par une telle mesure.

Quelle est la méthode choisie par le gouvernement pour mettre en place sa réforme des retraites ?

La méthode choisie s’inscrit pareillement dans une certaine tradition des révisions ou des propositions de changement en la matière : le Parlement est largement exclu des travaux préparatoires, les hypothèses macro-économiques retenues sont présentées de façon sommaire, le calendrier d’adoption des textes législatifs est resserré par une utilisation systématique des outils constitutionnels permettant de limiter le débat, l’impératif constitutionnel d’étude préalable d’impact semble oublié. On notera également et, en cela aussi le nouveau projet de réforme tranche par rapport à celui d’autres pays européens, le peu de contre-propositions portées par les partis qui ne gouvernent pas.

Cette continuité sur le fond et la méthode tranche avec la réforme systémique, une fusion des 42 régimes de base socio-professionnels de retraites au profit d’un régime unique à points, qui, annoncé sous forme de slogan et préparé dans les mêmes conditions a été abandonné, sous prétexte de pandémie du COVID, devant l’opposition quasi-unanime des intéressés mais surtout devant le coût exorbitant pour de nombreuses années pour l’État de la transformation, même progressive, du dispositif de retraite des fonctionnaires d’État.

Quelles sont les conséquences du report de l’âge légal de départ à la retraite couplé à l’allongement de la durée de cotisation ?

Partant de l’affirmation, dont il est démontré qu’elle est loin d’être exacte, selon laquelle « notre système de retraite est à la fois l’un des plus généreux et l’un de ceux qui conduit à travailler le moins longtemps » les principales mesures, qui devraient figurer dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative (PLFSSR) qui serait présenté en Conseil des ministres le 23 janvier 2023 sont une augmentation de l’âge minimum de départ à la retraite de 3 mois par génération, à compter de celle née en septembre 1962, et atteindra l’objectif de 64 ans pour les générations nées à partir de 1968. Il en résulterait mécaniquement, pour le régime général, celui des salariés et assimilés, un passage progressif à 69 ans de l’âge de départ au taux plein sans condition de trimestres. Toutefois, cette règle de calcul, capitale pour ceux qui n’ont pas suffisamment cotisé devrait, selon le dossier de presse, rester à 67 ans. Les agents publics relevant des catégories dites « actives », qui peuvent prendre leur retraite de façon anticipée du fait de la dangerosité ou de la pénibilité de leurs tâches (policiers, aides-soignants…), sont également soumis à un relèvement de l’âge d’ouverture des droits : de 52 à 54 ans ou de 57 à 59 ans, selon les cas.

Cette mesure, qui focalise toute l’attention, est accompagnée d’une modification de l’évolution à nos yeux plus fondamentale d’une accélération, déjà initiée par la « réforme Touraine » de 2014, du calendrier d’augmentation par cohortes d’âge du nombre de trimestres nécessaires pour bénéficier d’une retraite à taux plein. En d’autres termes, les coefficients de minoration de pension du fait de l’absence vont se voir appliquer à des catégories d’âge qui comptaient bénéficier d’une pension complète.

Si l’idée est celle d’un maintien dans l’emploi de travailleurs âgés cette mesure va surtout contribuer à faire baisser les pensions en particulier pour les salariés du secteur privé qui ne décident pas seuls, mais au mieux avec leur employeur, du moment de départ de l’entreprise.

On notera à cet égard qu’il est renvoyé aux entreprises ou à la négociation collective ou à une date ultérieure, les potentielles mesures d’accompagnement du maintien dans l’emploi des seniors et une éventuelle adaptation de leurs conditions de travail. Il est vrai que le vecteur juridique retenu, une loi de financement de la sécurité sociale, au contenu précisément délimité est une véritable épée de Damoclès constitutionnelle sur toutes les mesures qui ne pourraient pas être rattachées aux finances des régimes.

Quelles autres mesures sont prévues par le projet de réforme des retraites ?

Il est annoncé une libéralisation du dispositif de cumul emploi retraite sans autre précision si ce n’est que de rendre créatrice de droits à retraite la période de cumul emploi-retraite, là ou aujourd’hui la loi ne le permet pas. Il a également été annoncé que ce dispositif serait réintroduit dans le régime du secteur public. Il est ainsi tenté de faire revivre le dispositif de retraite progressive, le cumul d’un emploi à temps partiel avec une pension de retraite partielle, qui n’a attiré que 2% des retraités en 2021, en assouplissant considérablement les conditions de bénéfice.

Autre illustration : une réforme de l’assiette des cotisations retraite des indépendants est annoncée pour le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) 2024. Il en est de même de l’augmentation de la cotisation patronale d’assurance vieillesse de 0,1 point, avec en contrepartie une baisse symétrique (- 0,1 point) au niveau de la cotisation accidents du travail/maladies professionnelles.

Les « amortisseurs sociaux » proposés sous les différents libellés sont divers. Il est annoncé une pension minimale au niveau de 85 % du SMIC net mais il ne concernerait que les salariés ayant eu une carrière complète au SMIC et s’entendrait en cumulant retraite de base et retraite complémentaire obligatoire AGIRCARRCO. Il est prévu d’améliorer le dispositif d’assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) mais également la prise en compte des périodes de congé parental total pour l’accès à la retraite anticipée carrière longue ou pour le bénéfice d’une pension minimale, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Autre mesure en demi-teinte : les assurés atteints d’une incapacité permanente causée par une maladie professionnelle ou un accident du travail pourront partir de façon anticipée, 2 ans avant l’âge légal, soit 62 ans une fois que l’on sera arrivé à 64 ans là où aujourd’hui, il est possible de partir en retraite anticipée dans le cadre de ce dispositif à partir de 60 ans.

Quel impact pour les autres branches de protection sociale ?

Les régimes d’assurance maladie d’invalidité et du chômage vont se voir mécaniquement impactés par la multiplication des situations d’incapacité de travail des travailleurs âgés. Les tarifs des assurances complémentaires santé et prévoyance vont pareillement inéluctablement augmenter pour cette raison.

L’ambition première de baisser la dépense publique globale dans laquelle les retraites pèsent 25 % de la dépense totale a enfin comme conséquence, comme en matière d’assurance chômage, d’une distorsion du lien entre cotisations et pensions dans le système de retraite.

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