Par Malo Depincé, Maître de conférences HDR à l’Université de Montpellier, Directeur du Master 2 consommation et concurrence, UMR 5815 Dynamiques du droit

Réduire les coûts permet sans doute à un distributeur de proposer des offres moins onéreuses au consommateur, mais cette stratégie peut également amener à une prise de risques. Wish, cette plateforme en ligne fondée en 2010 aux États-Unis, est un intermédiaire entre vendeurs et consommateurs et son modèle économique repose en premier lieu sur le strict cantonnement à cette fonction d’intermédiaire et en second lieu sur une publicité ciblée. Très audacieuse dans ses pratiques commerciales, avec un contrôle limité sur les produits proposés à la vente, la plateforme qui, en vertu de l’article L. 111-7 2° du Code de la consommation, est soumise à une obligation de transparence a été très souvent critiquée comme facilitant des pratiques illicites. La Direction générale de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a publié un communiqué de presse le 30 novembre 2020 annonçant que l’enquête diligentée sur les pratiques de la plateforme l’avait conduite à transmettre ses conclusions au Procureur de la République près le Tribunal judiciaire de Paris.

Qu’est-il reproché à la plateforme Wish ?

Dans son communiqué, le DGCCRF a annoncé que son Service National d’Enquête (SNE, V. Décret n° 2009-1630) avait mis en évidence « des agissements s’apparentant à des pratiques commerciales trompeuses ». Sur ce point, les agents du ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance ont invoqué de fausses réductions de prix (selon une méthode commune consistant à présenter un prix de référence, sur lequel s’applique la réduction, largement supérieur à la réalité, V. C. consom., art. L. 121-2 2° c, mais à propos desquels les moyens de la DGCCRF ont récemment été contraints du fait d’une ordonnance de la CJUE du 8 septembre 2015 dont la nouvelle directive « Omnibus » du 27 novembre 2019 pourrait néanmoins limiter les effets), une pratique trompeuse de prix d’appel (produits dont la notoriété attire la clientèle mais qui, disponibles en quantité insuffisante, incitent cette dernière à reporter ses choix sur d’autres produits, C. consom., art. L. 121-2 2° a et c, V. J. Calais Auloy, H. Temple et M. Depincé, Droit de la consommation, Dalloz 2020, n°133 et CA Paris, 9/11/2015, n°13/13255) et, enfin, des tromperies par confusion (en proposant des produits sur lesquels les logos apposés étaient trop proches de ceux de marques notoires, pouvant ainsi tromper le consommateur, V. C. consom., art. L. 121-2 2°, CA Bordeaux, 20 mai 2020, n°17/07148). La DGCCRF a enfin constaté des annonces sur des produits présentés en langue anglaise, alors que la loi Toubon du 4 août 1994 impose l’emploi de la langue française (loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, art. 2 et C. consom, art. L. 224-76).

Quels sont les risques encourus par Wish ?

Les résultats de l’enquête ont été présentés au Procureur de la République qui est désormais juge de l’opportunité des poursuites. Le premier risque est par conséquent celui d’une procédure pénale puisque, faut-il le rappeler, la pratique commerciale trompeuse est en France constitutive d’un délit pour lequel les sanctions sont lourdes en théorie (C. consom., art. L. 132-1 et s.), à savoir à l’égard d’une société commerciale une amende pouvant aller jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date des faits, ou jusqu’à 50 % des dépenses engagées pour la réalisation de la publicité ou de la pratique constituant ce délit. Les amendes peuvent en théorie être colossales, mais il est vrai que les plafonds sont toujours loin d’être atteints. Une condamnation pour pratique commerciale déloyale, ici trompeuse, implique également et nécessairement « l’affichage ou la diffusion de l’intégralité ou d’une partie de la décision », peine qui ne peut que limiter la capacité de la société délinquante à convaincre sa clientèle, surtout si cette diffusion est ordonnée sur son site Internet. Quand bien même le ministère public choisirait-il de ne pas donner suite, les consommateurs pourraient solliciter réparation de leur préjudice économique, possibilité toute théorique toutefois alors que les montants de transactions sur ces plateformes sont relativement peu élevés : même une action de groupe en la matière, si une association agréée de consommateurs choisissait d’intenter un tel recours (C. Consom., art. L. 623-1 et s.), aurait selon nous peu de chances de convaincre des consommateurs de s’y joindre (puisque le choix de l’action de groupe à la française demeure fondé sur la recherche d’une action à la fonction indemnisatrice et non celle de la confiscation du profit indu). Le risque plus grand est en revanche celui d’une action en concurrence déloyale initiée par un concurrent ou un syndicat professionnel, car le manquement à l’une de ses obligations posées par le Code de la consommation crée une distorsion de concurrence au détriment des professionnels respectueux des lois (V. D. Mainguy, M. Depincé et M. Cayot, Droit de la concurrence, Litec 2019, n° 87). Ces professionnels peuvent alors solliciter la réparation de leur préjudice, dont le quantum est bien évidemment beaucoup plus élevé que celui du consommateur lésé.

Peut-on lutter efficacement contre ce type de pratiques ?

Le commentateur pourrait regretter que les procédures soient encore longues alors que les pratiques incriminées auraient, selon la DGCCRF, été mises en œuvre depuis longtemps déjà. Il pourrait également s’inquiéter de la difficulté à lutter contre les pratiques de certaines places de marché établies à l’étranger et dont les offreurs présents sur le site sont pour la plupart chinois. La législation ne devrait que peu évoluer dans les mois ou années à venir. Comme indiqué précédemment, la directive Omnibus va imposer une révision des dispositions sur les prix d’appel (art. 6 bis : « 1. Toute annonce d’une réduction de prix indique le prix antérieur appliqué par le professionnel pendant une durée déterminée avant l’application de la réduction de prix. 2. Le prix antérieur désigne le prix le plus bas appliqué par le professionnel au cours d’une période qui n’est pas inférieure à trente jours avant l’application de la réduction de prix »), ce qui devait simplifier les contrôles grâce à cette obligation de mentionner un prix de référence (dont il faudra au professionnel justifier). La Commission européenne a en outre dévoilé mardi 15 décembre 2020 son projet de « pack numérique » pour réguler les grandes plateformes de l’internet (ce qui n’inclut pas les petites). Au titre des pratiques commerciales nuisibles au consommateur, la Commission propose certes de maintenir le principe de non responsabilité de la plateforme d’intermédiation considérée comme hébergeur de contenus, mais en lui imposant néanmoins en cas d’alerte par les autorités de contrôle de procéder au retrait rapide d’offres de produits illicites ou d’offres non conformes à l’exigence de. Pour le reste, il ne s’agit pas de renforcer les droits des consommateurs contre d’éventuelles pratiques déloyales, mais essentiellement de limiter la position dominante des opérateurs les plus importants en interdisant par exemple la pré-installation de services sur les terminaux comme les téléphones mobiles ou en imposant le partage des données collectées avec les autres opérateurs. Il s’agit là d’une lutte contre la structure d’un marché qui a été élaborée aux États-Unis et contre laquelle l’Union européenne cherche à lutter selon ses propres ambitions (trop petite, la plateforme ici visée n’est pas directement concernée). L’efficacité de la lutte contre les pratiques commerciales déloyales ne réside sans doute pas dans une évolution de la législation, mais selon nous plus dans des sanctions dissuasives comme la diffusion des condamnations sur le site Internet du commerçant.