Par sa Résolution 2292 (2019) du 26 juin 2019, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a ratifié les pouvoirs de la délégation parlementaire russe. Ce faisant, elle lève la sanction politique qu’elle avait adoptée à l’encontre de la Russie dès 2014.

Décryptage par Carole Nivard, maître de conférences à l’Université de Rouen.

« Malgré la gravité des faits, la perspective que la Russie quitte le Conseil de l’Europe n’était pas souhaitée politiquement »

Pour quelle raison la Russie avait-elle été sanctionnée par le Conseil de l’Europe ?

En 2014, à la suite de la crise ukrainienne, la Fédération russe a été visée par une sanction politique au sein du Conseil de l’Europe (dont elle est membre depuis 1996) ; certes, moins médiatisée que les sanctions économiques adoptées à son encontre par l’Union européenne et certains pays industrialisés. En effet, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), composée de délégués parlementaires des 47 États membres, a décidé de réagir à l’annexion illégale de la Crimée en suspendant les droits de la délégation russe (Résolution 1990(2014)1). L’APCE condamne ainsi le non-respect de règles premières du droit international public que sont le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale d’un autre État, en l’espèce, l’Ukraine, également membre du Conseil de l’Europe. La Russie viole, en outre, les principes fondamentaux de l’organisation elle-même, tels qu’énoncés par son Statut, en premier lieu, la prééminence du droit et la consolidation de la paix.

Cette sanction arrive à la suite de plusieurs années d’un respect très inégal par la Russie de nombre de ses obligations conventionnelles, notamment de refus chroniques d’exécution des arrêts de condamnation rendus par la Cour européenne des droits de l’homme. Le comportement des représentants russes n’indiquait en outre aucune perspective de changement d’attitude.

Malgré cette condamnation ferme, l’APCE a toujours maintenu le dialogue avec cet État. En effet, si elle suspend le droit de vote des délégués parlementaires russes, ainsi que leur droit de participer aux organes de direction, elle a accepté en 2014 de ratifier les pouvoirs de la délégation russe, c’est-à-dire le principe de sa participation à la session parlementaire. Par ailleurs, les droits de la Russie au sein des principaux organes du Conseil de l’Europe n’ont pas été remis en cause. En particulier, elle jouit toujours de ses droits au Comité des ministres, qui est l’organe décisionnel du Conseil de l’Europe. Pour autant, la réaction de la Russie a été radicale. En signe de contestation, elle a retiré ses délégués parlementaires et n’a donc pas présenté ses pouvoirs entre 2016 et 2019. Surtout, elle n’a plus payé sa contribution au budget du Conseil de l’Europe à compter du 1er juillet 2017.

Pourquoi les parlementaires de l’Assemblée du Conseil de l’Europe ont-ils pris cette décision ?

Une conjonction de facteurs permet d’expliquer l’évolution de la position de la majorité des délégués parlementaires ainsi que la date à laquelle cette décision a été prise.

La sanction n’a pas eu l’effet escompté puisqu’elle n’a pas incité la Russie à des efforts pour se conformer à ses obligations internationales et européennes. À l’inverse, ses réponses ont été délétères pour les relations entre elle et l’organisation. La sanction introduisait en outre une incohérence dans la position du Conseil de l’Europe : la plénitude des pouvoirs était maintenue au sein du Comité des ministres, mais restreinte au sein de l’APCE.

La réaction de la Russie a même fait craindre un risque de retrait de l’organisation (possibilité prévue par l’article 7 du Statut). Cette menace a été proférée par les représentants russes et s’est faite plus pesante avec la perspective de l’élection du nouveau secrétaire général du Conseil de l’Europe par l’APCE, à laquelle la Russie souhaitait participer. Marija Pejčinović Burić a d’ailleurs été élue le 26 juin dernier immédiatement après le rétablissement des droits de la délégation russe.

En plus du risque de retrait, un risque d’exclusion se profilait. Certes, l’exclusion n’a jamais été clairement envisagée sur le fondement de l’article 8 du Statut qui prévoit pourtant cette possibilité si un État membre enfreint gravement les principes fondamentaux de l’organisation. En revanche, l’application de l’article 9 du Statut, tel qu’interprété par le Comité des ministres (décision du 10 novembre 1994 (95ème session ministérielle)), permet à ce dernier d’exclure un État qui n’aurait pas exécuté ses obligations financières pendant une période de deux ans. Tel aurait été le cas de la Russie à la date du 1er juillet 2019.

Or, malgré la gravité des faits, la perspective que la Russie quitte le Conseil de l’Europe n’était pas souhaitée politiquement, y compris par la France qui assume justement la présidence du Comité des ministres depuis mai dernier. Symboliquement, un tel départ aurait constitué un terrible échec en cette année de célébration du 70ème anniversaire de création du Conseil de l’Europe. Last but not least, le manque à gagner de la contribution russe à hauteur de 33 millions d’euros, pesait lourdement sur les finances de l’organisation. Il en allait à terme de la survie du Conseil de l’Europe.

Quelles seraient les suites de ce retour au sein du Conseil de l’Europe ?

Dans sa Résolution 2292 (2019) du 26 juin 2019 accordant les pouvoirs à la délégation russe à égalité de droits avec les autres délégations, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe liste les contreparties attendues de la Russie. Elle appelle bien entendu à faire marche arrière s’agissant de l’annexion de la Crimée mais également à des actions plus ciblées comme la libération des 24 marins ukrainiens capturés dans le détroit de Kertch. Cela étant, la Russie ne s’est aucunement engagée à donner suite à ces exigences.

Ce revirement de l’APCE a été vivement critiqué, en premier lieu, par les représentants ukrainiens qui se sentent trahis. De fait, alors que la Russie n’a montré aucune volonté de remédier à son comportement illicite, ni cherché à collaborer de bonne foi avec les organes européens, elle bénéficie d’une levée de sanction. La Russie se trouve ainsi confortée dans sa stratégie d’attentisme mêlée de chantage. Le message politique est effectivement dangereux car le Conseil de l’Europe apparaît impuissant à faire respecter les principes et obligations sur lesquels l’organisation est fondée.

Face au risque de sortie de la Russie, l’APCE semble bien avoir fait primer le principe de réalisme sur celui des valeurs.

L’intérêt des valeurs portées par le Conseil de l’Europe – la démocratie, la prééminence du droit et le respect des droits de l’homme – n’était toutefois pas absent de sa décision. Elle permet en effet de maintenir la protection des droits des ressortissants russes ainsi que de toute personne sous la juridiction de la Russie. Plus largement, elle assure la pérennité du Conseil de l’Europe en tant qu’organisation.

Un tel dilemme est malheureusement classique au sein des organisations internationales comme l’illustrent des exemples récents « toute chose égale par ailleurs » : la question de la contribution financière des États-Unis à l’ONU, le respect des valeurs de l’Union européenne par la Hongrie et la Pologne… Les États hésitent toujours à mettre un État cocontractant au ban d’une coopération internationale.

Pour aller plus loin :

Par Carole Nivard.