À l’issue d’un comité interministériel sur l’immigration, le Premier ministre, Édouard Philipe, a présenté mercredi 6 novembre une vingtaine de mesures. Il a expliqué qu’il souhaitait « reprendre le contrôle de notre politique migratoire ».

Décryptage par Thibaut Fleury Graff, Professeur de droit à l’université de Versailles St-Quentin (Paris Saclay), Co-directeur du M2 Droit international et européen des droits fondamentaux

« L’instauration de quotas ne pourra concerner qu’un faible nombre d’étrangers »

Quelles sont les principales mesures annoncées ?

Il faut distinguer les différents aspects de la réforme envisagée pour bien la comprendre. Certains aspects en effet concernent moins la politique migratoire à proprement parler – qui consiste à définir politiquement qui peut entrer et séjourner légalement sur le territoire français – que les droits des personnes déjà présentes, régulièrement ou non, sur le territoire.
Sur ce dernier point, le Gouvernement prévoit ainsi, notamment, un délai de trois mois pour l’accès des demandeurs d’asile à la protection universelle maladie (alors qu’ils y ont accès aujourd’hui dès l’enregistrement de leur demande), ou encore la fin du versement rétroactif du RSA aux personnes dont la demande d’asile est favorablement accueillie.

Il ne s’agit pas ici de politique migratoire, même si le Gouvernement espère dissuader, par ces mesures, certaines personnes de venir sur le territoire français. Le durcissement de la politique migratoire tient donc plutôt au souhait du gouvernement d’instaurer des quotas en matière d’immigration, et de « remettre à plat » les conditions du regroupement familial.

L’Etat peut-il librement fixer des quotas d’immigration ?

C’est probablement l’effet principal recherché par le Gouvernement, dont certains des membres ne cachent pas que l’instauration de quotas ne changera probablement pas significativement le nombre de visa et titres de séjour délivrés.

En effet, et tout d’abord, l’instauration de quotas ne pourra concerner, du fait des contraintes juridiques pesant sur le Gouvernement, qu’un faible nombre d’étrangers. Les demandeurs d’asile en sont exclus : l’octroi d’une protection est guidé par des textes internationaux, dont la Convention de Genève de 1951, et européens, qui ne permettent pas l’instauration d’un nombre maximum de protection accordée sur un temps donné. Il en va de même pour la migration familiale : certains membres de la famille d’étrangers régulièrement présents en France ne peuvent être exclus du droit de s’en rapprocher au motif que le nombre maximum de regroupements sur l’année aurait été atteint.

Seuls peuvent donc être concernés par les quotas ceux dont le séjour en France n’est pas de droit : les étudiants et les travailleurs. Mais là encore, et c’est la deuxième raison pour laquelle cette « politique des quotas » tient davantage de l’effet d’annonce, les conséquences ne pourront être que très mesurées, puisque l’immigration pour des motifs professionnels ou d’études est déjà relativement faible. En 2018, un peu moins de 35 000 titres de séjour pour motifs économiques ont été délivrés – un nombre porté à 83 000 environ pour les étudiants. Dès lors que le Gouvernement a annoncé son intention d’augmenter le nombre d’étudiants accueillis en France, seule la première catégorie, celle des travailleurs, pourrait être concernée par les quotas. Cela peut certes permettre d’ajuster les titres accordés en fonction des besoins de la France en matière d’emplois. Mais cela, assurément, ne permettra pas de réduire l’immigration de manière globale, comme le terme pourrait le laisser entendre. En toute hypothèse, et contrairement à la perception qui semble être devenue dominante, la France est loin d’être submergée par les migrations : il suffit de consulter les chiffres en la matière pour le constater.

Les contraintes européennes empêchent-elles une évolution des conditions du regroupement familial?

Le regroupement familial est le motif d’octroi de titre de séjour le plus important : 90 000 titres environ en 2018. Pour autant, une « remise à plat » est impossible, puisque le regroupement familial s’impose à l’État en vertu des engagements européens et internationaux qu’il a souverainement contractés. La marge de manœuvre du gouvernement est donc étroite : il ne peut qu’ajuster les conditions existantes. Le droit de l’Union européenne laisse en effet une certaine marge aux États, notamment pour fixer les conditions de ressources ou de durée de résidence que doit remplir l’étranger qui, résidant régulièrement en France, souhaite y faire venir des membres de sa famille.

Le Gouvernement pourrait relever cette durée (actuellement de dix-huit mois, la Directive européenne exigeant un maximum de vingt-quatre mois) ou le plafond de ces ressources, de même qu’il pourrait imposer une condition tenant à la maîtrise de la langue française. Cela, sans doute, permettrait de refuser chaque année quelques centaines de titres de séjour sollicités sur le fondement du regroupement familial.

Pour aller plus loin :

Par Thibaut Fleury-Graff.