Par Michel Degoffe, Professeur de droit public à l’Université Paris V-René Descartes

Dans une décision QPC du 19 mars 2021 (n°2021-891), le Conseil constitutionnel confirme la portée du principe de participation du public garanti par l’article 7 de la Charte de l’environnement et annule pour précision insuffisante la loi qui encadre les chartes d’engagements réglementant l’usage des pesticides à proximité des habitations.

Dans quel contexte le Conseil constitutionnel a-t-il rendu cette décision ?

Sous la pression de courants hostiles à l’usage des produits phytopharmaceutiques, le Parlement vote des lois qui cherchent à encadrer leur utilisation. Ainsi, à l’occasion du vote de la loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, le gouvernement a déposé un amendement inséré dans l’article L. 253-8-III du code rural en vertu duquel « l’utilisation des produits phytopharmaceutiques à proximité des zones attenantes aux bâtiments habités et aux parties non bâties à usage d’agrément contiguës à ces bâtiments est subordonnée à des mesures de protection des personnes habitant ces lieux ». « Les utilisateurs formalisent ces mesures dans une charte d’engagements à l’échelle départementale, après concertation avec les personnes, ou leurs représentants, habitant à proximité des zones susceptibles d’être traitées avec un produit phytopharmaceutique ». À défaut d’adoption d’une charte, le préfet pourra restreindre ou interdire l’utilisation des produits phytopharmaceutiques. Le Premier ministre a édicté un décret pour fixer les modalités d’application de cette disposition (décret n° 2019-1500 du 27 décembre 2019). Plusieurs associations ont introduit un recours pour excès de pouvoir contre ce décret et, à cette occasion, ont soulevé une question prioritaire de constitutionnalité relative à l’article L. 253-8-III. Selon elles, en ne prévoyant qu’une concertation avec les personnes habitant à proximité des zones susceptibles d’être traitées avec un produit phytopharmaceutique, la disposition législative méconnaît le principe de participation du public à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement affirmé à l’article 7 de la Charte de l’environnement. Le Conseil constitutionnel fait droit à cette demande.

La Charte de l’environnement encadre-t-elle suffisamment l’action du législateur ?

Le Conseil constitutionnel censure la disposition contestée parce qu’elle est contraire à l’article 7 de la Charte de l’environnement. De ce point de vue, la décision ne surprendra pas : dès 2008, le Conseil constitutionnel avait jugé que la Charte de l’environnement adossée à la Constitution depuis la révision constitutionnelle entrée en vigueur en 2005 avait valeur constitutionnelle (décision n° 2008-564 DC du 19 juin 2008, loi relative aux OGM). Par le passé, il a déjà censuré des dispositions législatives qui méconnaissaient les prescriptions de l’article 7 (décision n°2011-183/184 du 14 octobre 2011). Mais, la question de l’efficacité de la Charte peut se poser puisque le président de la République a déposé un projet de révision constitutionnelle dont l’objet serait d’inscrire à l’article 1er de la Constitution une phrase aux termes de laquelle la France « garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique ». Certains soutiennent que cette révision n’est pas nécessaire parce que tout est dans la Charte de l’environnement. Le Conseil constitutionnel a déduit de cette Charte que « la protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains, constitue un objectif de valeur constitutionnelle », alors qu’il lui avait jusque-là conféré le caractère d’un objectif d’intérêt général » (décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020 – Interdiction de la production, du stockage et de la circulation de certains produits phytopharmaceutiques). Par une décision n° 2020-809 DC du 10 décembre 2020 (Loi relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières), le Conseil constitutionnel a jugé que les limites apportées par le législateur à l’exercice du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, consacré par l‘article 1er de la Charte de l’environnement « ne sauraient être que liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi ».

Le législateur a-t-il suffisamment encadré le régime juridique des chartes d’engagements ?

Pour considérer que l’article L. 253-8-III méconnaît l’article 7 de la Charte de l’environnement, le Conseil constitutionnel procède en deux temps.

Dans un premier temps, il qualifie les chartes départementales d’engagements de décision publique ayant une incidence sur l’environnement, régies donc par l’article 7 de la Charte de l’environnement. Dans un second temps, le Conseil juge que le législateur a commis une incompétence négative en définissant avec insuffisamment de précision la concertation qui doit précéder l’adoption de la charte départementale. Le Conseil juge également que le législateur ne pouvait pas limiter la participation aux seules personnes habitant à proximité des zones susceptibles d’être traitées par des produits phytopharmaceutiques. L’article contesté souffre, sans aucun doute, de son insertion in extremis dans la loi du 30 octobre 2018. Il ne figurait pas dans le projet de loi initial. C’est le gouvernement qui l’a introduit par amendement. Il n’a donc pas fait l’objet d’une étude d’impact comme l’exigence en a été posée pour les projets de loi depuis la loi organique du 15 avril 2009. Les parlementaires l’avaient regretté. La censure obligera donc le législateur à voter une disposition qui définira avec plus de précision la concertation préalable à l’adoption de la charte d’engagements et à ouvrir cette concertation au-delà des personnes qui se trouvent dans le voisinage de l’épandage des produits phytopharmaceutiques. Cela impliquera un changement de méthode profond par rapport à ce qui s’est fait jusqu’ici. En effet, en pratique, le plus souvent, la chambre d’agriculture a élaboré un projet de charte, validé ensuite dans chaque département par les organisations professionnelles agricoles en concertation avec les associations de maires et transmis aux préfets (c’est le cas dans les Pays de Loire). La même démarche a été suivie dans le Gers. La charte a été élaborée par la chambre d’agriculture, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) et les jeunes agriculteurs et ensuite signée par les associations de maires. En revanche, la charte a été soumise à une concertation qui a permis aux particuliers de faire part de leurs observations. Si on prend l’exemple de la charte d’engagements de Loire Atlantique, son caractère prescriptif est limité. La charte rappelle la réglementation applicable à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques : le décret du 27 décembre 2019 contesté par les associations et l’arrêté interministériel du 27 décembre 2019 instaurant des distances de sécurité par rapport aux habitations. Pour le reste, la charte recommande des bonnes pratiques comme, par exemple, traiter tôt le matin, tard le soir ou de nuit, traiter un moment où les riverains sont absents. On peut s’interroger sur la précision que la loi rendue nécessaire par cette déclaration d’inconstitutionnalité pourra apporter.

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