Par J.-B. Thierry, Maitre de conférences à l’Université de Lorraine

Mercredi 29 juin et au terme de dix mois d’audience, les cinq magistrats professionnels composant la cour d’assises spécialement composée de Paris ont suivi les réquisitions du ministère public et condamné Salah Abdeslam, seul membre encore en vie des commandos islamistes qui ont fait 130 morts lors des attentats du 13 novembre 2015, à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une période de sûreté incompressible. Cette peine rare avait été prononcée jusqu’alors quatre fois, toujours contre des auteurs de crimes sur mineurs. Les avocats de la défense, comme le ministère public, disposent maintenant d’un délai de dix jours pour faire appel de cette décision.

Qu’est-ce que la période de sûreté incompressible à laquelle a été condamné Salah Abdeslam ?

La période de sûreté est une modalité d’exécution d’une peine privative de liberté prévue à l’article 132-23 du code pénal. Elle consiste à exclure un condamné, pendant la durée de la période de sûreté, du bénéfice d’un aménagement de peine. Plus précisément, S. Abdeslam comme tout condamné sous le régime de la période de sûreté ne pourra pas prétendre à une suspension ou de fractionnement de peine, un placement à l’extérieur, des permissions de sortir, une semi-liberté, un placement sous surveillance électronique] ou une libération conditionnelle. Deux mesures restent tout de même envisageables : l’autorisation de sortie sous escorte et la suspension de peine pour motif médical, applicable aux condamnés dont l’état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention ou dont le pronostic vital est engagé.

Cette période de sûreté peut être obligatoire, pour certaines infractions qui ont donné lieu au prononcé d’une peine privative de liberté supérieure ou égale à dix ans. C’est le cas, par exemple, pour le viol, les tortures et actes de barbarie ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente, ou encore pour certains vols aggravés. Elle peut également être facultative : elle doit alors être expressément prononcée par la juridiction de jugement qui dispose d’une telle faculté lorsque la peine privative de liberté prononcée est supérieure à cinq ans. La durée d’une période de sûreté est en principe égale à la moitié de la peine prononcée ou de de dix-huit ans en cas de condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité. Ces durées peuvent, sur décision spéciale, être réduites ou portées jusqu’aux deux tiers de la peine ou jusqu’à vingt-deux ans, s’il s’agit d’une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité.

Enfin, depuis 1994, la période de sûreté peut, dans quelques cas exceptionnels, être portée jusqu’à trente ans, voire n’avoir aucune limite de temps. Dans ce dernier cas, la période de sûreté est elle-même perpétuelle : c’est la période de sûreté incompressible, encore appelée perpétuité réelle (même si ces termes ne sont pas employés par le code pénal) à laquelle S. Abdeslam a été condamné et qui rend dès lors infimes les possibilités de sa libération.

Quelle infraction retenue contre S. Abdeslam a-t-elle permis de retenir cette période de sûreté incompressible et quelle conséquence ?

Lorsque la perpétuité réelle a été créée en 1994, c’était en raison de l’émotion suscitée par la découverte en 1993 du crime d’une mineure par P. Tissier, plusieurs fois condamné pour meurtre et viols commis alors qu’il avait été libéré. Elle était donc réservée à deux infractions jugées particulièrement graves, prévues aux articles 221-3 et 221-4 du code pénal. Il s’agit du meurtre ou de l’assassinat commis sur un mineur de quinze ans, précédé ou accompagné d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie. En 2011, la loi dite « LOPPSI » a étendu la possibilité de prononcer la perpétuité réelle pour le meurtre ou l’assassinat commis sur un magistrat, un fonctionnaire de la police nationale, un militaire de la gendarmerie, un membre du personnel de l’administration pénitentiaire ou toute autre personne dépositaire de l’autorité publique, à l’occasion de l’exercice ou en raison de ses fonctions.

La loi du 3 juin 2016 a encore étendu le champ d’application de cette perpétuité réelle. Depuis cette loi, l’article 421-7 du code pénal prévoit que la perpétuité réelle est applicable pour les crimes terroristes qui font encourir la réclusion criminelle à perpétuité. Ce n’est toutefois pas sur ce fondement que Salah Abdeslam a été condamné à la perpétuité réelle (sous réserve des conséquences d’un éventuel appel). En effet, les faits pour lesquels il a été condamné sont antérieurs à la loi du 3 juin 2016. Or, la création de cette période de sûreté incompressible doit être vue comme une mesure plus sévère soumise au principe de la non-rétroactivité de la loi pénale nouvelle plus sévère (Décision n° 93-334 DC du 20 janvier 1994).

En conséquence, c’est parce que Salah Abdeslam a été reconnu coupable, notamment, de tentatives de meurtre sur des personnes dépositaires de l’autorité publique que la perpétuité réelle de l’article 221-4 a pu être prononcée. Cette précision sur le fondement n’a pas d’incidence sur les modalités de la période de sûreté. En revanche, elle emporte une conséquence sur son relèvement, c’est-à-dire la possibilité de mettre un terme anticipé à cette période de sûreté (v. infra).

Salah Abdeslam peut-il espérer une remise en cause du caractère incompressible de cette période de sûreté ?

Avant tout, il faut préciser que le condamné à la perpétuité réelle doit bénéficier d’un espoir réel de libération. Cette exigence résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui exige qu’un tel espoir de libération existe – et non une libération effective – pour que la réclusion à perpétuité ne soit pas constitutive d’un traitement inhumain et dégradant (CEDH Bodein c. France, 13 novembre 2014). Une exigence similaire peut se trouver dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui a affirmé, sur le fondement du principe de proportionnalité des peines, que des dispositions qui « ont pour conséquence de priver les personnes en cause de toute possibilité d’aménagement de leur peine, en particulier dans le cas où elles ont été condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité » sont manifestement contraires au principe de proportionnalité des peines (Décision n° 2019-799/800 QPC du 6 septembre 2019).

Le condamné à une peine assortie d’une période de sûreté peut bénéficier d’une grâce octroyée par le président de la République. Une telle hypothèse relève, dans le cas de Salah Abdeslam, d’un cas d’école. Le condamné peut ensuite solliciter le relèvement – c’est-à-dire la fin – de sa période de sûreté. S’il l’obtient, il n’est pas remis en liberté mais devient éligible aux aménagements de peine dont il était exclu jusqu’alors. Il n’y a aucune automaticité entre le relèvement d’une période de sûreté et l’octroi d’un aménagement de peine.

On notera par ailleurs que, pour les personnes condamnées pour une infraction terroriste, l’article 730-2-1 du code de procédure pénale soumet l’octroi d’une libération conditionnelle à l’exécution préalable d’un autre aménagement de peine (semi-liberté, placement à l’extérieur ou de placement sous surveillance électronique) pendant une période d’un an à trois ans ou, à défaut, impose qu’elle soit accompagnée d’un placement sous surveillance électronique mobile. En outre, la libération conditionnelle ne peut pas être octroyée si elle est susceptible de causer un trouble grave à l’ordre public.

Lorsque la perpétuité réelle a été prononcée en application des articles 221-3 ou 221-4 du code pénal – ce qui est le cas de Salah Abdeslam, condamné pour tentative de meurtre sur des personnes dépositaires de l’autorité publique –, le relèvement ne peut pas intervenir avant que le condamné ait subi une incarcération d’une durée au moins égale à trente ans (il faut pour cela tenir compte de la durée de la détention provisoire déjà effectuée avant la condamnation définitive). Le tribunal de l’application des peines ne peut octroyer ce relèvement qu’à titre exceptionnel, lorsque le condamné présente des gages sérieux de réadaptation sociale. Une expertise collégiale de dangerosité doit également être réalisée.

En revanche, lorsque la perpétuité réelle est prononcée pour un crime terroriste faisant encourir la réclusion criminelle à perpétuité (article 421-7 du code pénal), les conditions de relèvement ne sont pas les mêmes et apparaissent encore plus restrictives. Il résulte en effet de l’article 720-5 du code de procédure pénale que le tribunal de l’application des peines ne peut statuer qu’après avoir recueilli l’avis d’une commission composée de cinq magistrats de la Cour de cassation. Outre les conditions de l’article 720-4 (exigence d’une incarcération d’au moins trente ans, réalisation d’une expertise de dangerosité, gages sérieux de réadaptation sociale), il faut également que la réduction de la période de sûreté ne soit pas susceptible de causer un trouble grave à l’ordre public (comment le pourrait-elle puisque l’individu reste incarcéré ?) et que l’avis des victimes ayant la qualité de parties civiles lors de la décision de condamnation soit recueilli (ce qui, dans une configuration similaire à celle des attaques du 13 novembre 2015 serait matériellement titanesque et psychologiquement délicat pour les victimes). Ce régime particulier n’est toutefois pas celui qui s’appliquera à Salah Abdeslam.

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