Par Rahima Nato Kalfane et Clara Schlemmer, Avocats – bwg associés

A compter du mardi 2 juin s’ouvrira la deuxième phase du plan de déconfinement marquée par un assouplissement supplémentaire des mesures de restriction liées à l’épidémie de Covid-19. Si un certain nombre de libertés vont ainsi pouvoir être retrouvées, les difficultés générées par cette période intermédiaire vont se poursuivre.

En effet, si le « lock down » planétaire traversé il y a plusieurs semaines, et totalement inédit jusqu’alors, avait soulevé beaucoup d’interrogations, le déconfinement se révèle finalement encore plus compliqué à mettre en œuvre.

Les parents, en particulier, sont lourdement exposés à de nombreuses difficultés et incertitudes, et force est de constater que, face à une grande variété de situations rencontrées, les réponses sont encore bien souvent insatisfaisantes ou incomplètes. Ils doivent ainsi poursuivre leurs efforts pour trouver des solutions raisonnables qui permettent de concilier au mieux les impératifs requis par l’intérêt général (notamment le strict respect des gestes barrières et des règles de distanciation sociale, mais aussi la reprise de l’économie) et l’intérêt particulier de leur famille.

Le point sur quelques problématiques familiales « classiques » à l’ère du déconfinement.

Retour à l’école : quid en cas de désaccord parental ?

La reprise de l’accueil des jeunes enfants en crèche ou à l’école était un enjeu central du plan de déconfinement, notamment pour permettre la reprise du travail par leurs parents. Mais elle a soulevé beaucoup de questions pour les familles.

Dans son allocation du 28 avril 2020 à l’Assemblée nationale pour présenter le plan de déconfinement, le Premier ministre proposait « une réouverture très progressive des maternelles et de l’école élémentaire à compter du 11 mai, partout sur le territoire, et sur la base du volontariat ».

On comprend aisément la précaution prise de laisser les parents décider en leur âme et conscience de renvoyer ou non leurs enfants en collectivité dans un contexte sanitaire anxiogène et inédit.

Mais cette responsabilisation a été source de beaucoup de réflexions dans la plupart des familles, pas simplement pour celles où l’un des parents travaille en milieu hospitalier ou en Ehpad, et elle a pu avoir des effets cataclysmiques pour les parents en désaccord sur le sujet, quelle que soit d’ailleurs la configuration familiale.

Juridiquement, la difficulté s’explique simplement : les décisions relatives à la scolarisation des enfants et aux questions qui s’y rapportent relèvent de l’autorité parentale, laquelle est en principe exercée conjointement par les deux parents, peu important qu’ils soient séparés (article 373-2 du Code civil). Une décision sur un sujet aussi sensible que celui du retour à l’école par temps de coronavirus nécessite donc évidemment un consensus entre les parents.

Depuis le 11 mai, pour bon nombre de familles, la question du volontariat a été supplantée par les contraintes imposées aux établissements scolaires pour faire respecter les mesures de distanciation sociale. À titre d’exemple, au sein de l’Académie de Paris, des critères de priorité très stricts ont été posés pour l’accueil des élèves (fondés sur la profession des parents, la situation de décrochage scolaire de l’enfant ou encore sa situation sociale difficile), avec des groupes limités à cinq élèves en maternelle et dix élèves en élémentaire. On peut ainsi supposer que, dans un grand nombre de cas, la possibilité de n’accueillir qu’un nombre très limité d’élèves est venue, de fait, régler le désaccord éventuel au bénéfice du parent opposé au retour à l’école de son enfant. Les places ayant été à ce point limitées, on voit mal en effet qu’il ait été possible, en pratique, de faire primer le retour d’un élève sans l’accord de ses deux parents sur celui d’un autre élève.

Toutefois, la « solution » n’est guère satisfaisante pour les familles, et alors que le Gouvernement vient d’annoncer qu’à compter du 2 juin « toutes les familles qui le souhaitent doivent pouvoir scolariser leurs enfants au moins sur une partie de la semaine », la difficulté risque de se poser avec une acuité encore plus grande au cours des prochaines semaines.

Comment donc surmonter pareil désaccord entre les titulaires de l’autorité parentale, étant rappelé que les enfants sont malheureusement les premières victimes du chaos qui peut en résulter ?

Comme pour tout autre sujet relatif à l’exercice de l’autorité parentale, la saisine du Juge aux Affaires Familiales suivant une procédure d’urgence demeure théoriquement possible pour faire trancher le différend. Mais on ne peut que mettre en garde les justiciables sur l’opportunité et l’efficacité d’une telle démarche. D’une part, eu égard à l’engorgement des juridictions qui subissent de plein fouet les effets du confinement, venu aggraver le retard déjà pris du fait de plusieurs semaines de grève. D’autre part, parce que, même à supposer qu’une décision puisse être rendue en temps utile, cette décision qui donnerait satisfaction à l’un des parents serait inévitablement source de frustration pour l’autre, et risque ainsi d’avoir des répercussions néfastes à bien plus long terme sur une relation parentale déjà abîmée par le désaccord.

Face au dilemme qui se pose aux parents ainsi en conflit, on ne peut que leur recommander de privilégier la voie amiable pour tenter de solutionner la difficulté, en ayant recours si nécessaire à leurs avocats ou au dispositif de la médiation familiale dont l’opportunité n’a cessé d’être rappelée depuis le début de la crise sanitaire. L’inquiétude liée au risque sanitaire vaut sans doute celle liée aux implications de la déscolarisation d’un enfant, et inversement.

Retour du travail en présentiel : l’imbroglio de la garde des enfants

Le Gouvernement avait demandé que le télétravail demeure la norme encore quelques semaines après le déconfinement, et il reste privilégié à compter du 2 juin, mais nombreuses sont les professions où celui-ci n’est pas possible ou ne peut pas être généralisé. Pour les travailleurs ainsi contraints de reprendre leur activité en dehors du domicile familial, les questions soulevées par la prise en charge des enfants restés à la maison s’avèrent un véritable casse-tête.

Ce d’autant qu’à la simple mission de veiller sur les enfants et de les occuper s’ajoute bien souvent celle de continuer d’assurer le suivi du programme scolaire à domicile. La question s’est posée depuis le 11 mai, y compris pour les enfants qui ont pu bénéficier d’une place dans leur école, ceux-ci n’y étant le plus souvent accueillis qu’une ou deux journées par semaine, et elle va perdurer dans la deuxième phase du déconfinement puisque les établissements scolaires ne vont toujours pas pouvoir accueillir tous leurs élèves à temps plein.

Comment donc concilier les impératifs liés à la garde des enfants avec les restrictions posées par cette nouvelle phase ?

Pour les parents qui embauchent habituellement une garde d’enfants à domicile et qui avaient pris la décision de ne pas la faire travailler pendant la durée du confinement, le retour de celle-ci est tout à fait envisageable, sous réserve de respecter les mesures en vigueur. En particulier, en Île-de-France, l’utilisation des transports publics aux heures de pointe, soit entre 6h30 et 9h30, et entre 16h00 et 19h00, nécessite pour l’employeur de délivrer à son salarié une attestation dérogatoire qu’il devra présenter en cas de contrôle. Recruter une baby-sitter ou une nounou est également possible, avec les mêmes précautions. Sous réserve que l’activité professionnelle du particulier employeur le permette, aménager les horaires de la garde d’enfants à domicile peut présenter le double avantage, pour cette dernière, d’éviter de la faire déplacer aux heures de pointes, et pour le parent, de continuer d’assurer personnellement le suivi des devoirs à la maison.

Qu’en est-il des grands-parents, qui sont en temps normal, pour la plupart des familles, les premiers pourvoyeurs de solutions pour la garde de leurs petits-enfants ?

Même durant la première phase du déconfinement, aucune restriction n’empêchait en soi grands-parents et petits-enfants de se revoir. Les familles ont simplement été appelées à faire preuve de bon sens et de vigilance en reportant encore de telles rencontres dans l’hypothèse où les grands-parents présenteraient une fragilité liée à leur grand âge ou à leur état de santé.

En revanche, pour les familles séparées d’une distance importante, l’interdiction des déplacements à plus de 100 kilomètres du domicile, sauf motif professionnel ou motif familial impérieux, a pu poser question. La garde d’enfants par leurs grands-parents pouvait-elle rentrer dans cette seconde catégorie ? La garde d’enfants ayant été qualifiée de motif familial impérieux, le doute a progressivement été écarté.

A compter du 2 juin, la question ne se posera plus, ou presque, puisque la limitation des déplacements sera levée sur l’ensemble de la métropole. Un soulagement pour les familles à l’approche des vacances d’été qui pourraient apporter un lot de nouvelles questions.

Quid de l’exercice du droit de garde ou de visite et d’hébergement à l’heure du déconfinement ?

Compte tenu des dernières annonces faites par le Premier ministre, cette seconde phase est sans aucun doute très positive, puisque les familles vivant en France métropolitaine, dans des villes différentes et à plus de 100 kilomètres, vont pouvoir sans plus aucune difficulté a priori, reprendre l’organisation des contacts de leurs enfants avec chacun de leur parent, que l’organisation soit prévue par décision de justice ou le fruit d’un commun accord entre les parents, le tout en continuant bien évidemment à respecter les gestes barrières et de distanciation physique.

Pour les autres familles, soit celles qui résident en dehors du territoire national et qui souhaitent venir en France pour exercer un droit de garde ou de visite et d’hébergement : la situation reste encore compliquée et la reprise du rythme normal des visites, notamment en vue des vacances d’été, peut encore être incertaine, compte tenu notamment des restrictions de circulation à nos frontières en vigueur jusqu’au 15 juin 2020 (par voie aérienne par exemple) et de la mise en place de mesures sanitaires.

En effet, la loi du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire a prévu la possibilité de mettre en place des mesures sanitaires spécifiques pour les voyageurs arrivant en France ou dans une collectivité d’Outre-Mer.

Le gouvernement a en outre mis en place, depuis le 25 mai, un dispositif de quatorzaine volontaire en fonction du pays de provenance des voyageurs.

  • Ainsi, pour les personnes arrivant d’un pays membre de l’Union Européenne (inclus notamment le Royaume-Uni, la Suisse, Monaco, la Norvège…), les frontières ne sont pas fermées et, outre les Français ou résidents permanents en France, de nouvelles catégories de personnes sont autorisées à accéder au territoire, notamment pour des motifs familiaux (dont les conjoints séparés/enfants dans le cadre de l’exercice d’un droit de visite et d’hébergement).
    En termes de mesures sanitaires, aucune exigence d’une quatorzaine pour accéder au territoire français s’ils ne présentent pas de symptômes du COVID 19, et sauf par réciprocité, dans l’hypothèse où le pays européen d’où provient le voyageur exige une quatorzaine à l’entrée sur son territoire, comme par exemple l’Espagne et le Royaume-Uni.
  • S’agissant des personnes en provenance de tous les autres pays du monde, le principe est celui du maintien de la fermeture des frontières et de l’interdiction d’entrée sur le territoire jusqu’à nouvel ordre.
    Seuls les Français ou les résidents permanents en France ainsi qu’une nouvelle liste limitative de personnes (travailleur saisonnier agricole, travailleurs détachés, voyageurs étrangers en transit de moins de 24h…) sont autorisées à entrer sur le territoire.
    Mais attention, car sont a priori exclus ici, les conjoints étrangers séparés, de sorte qu’ils ne peuvent, à l’heure actuelle, venir en France pour rendre visite à leur enfant…
    En termes de mesures sanitaires, ces personnes seront invitées à effectuer une quatorzaine volontaire à domicile, ou dans un lieu dédié mis à leur disposition, à leur arrivée sur le territoire français, sauf pour les voyageurs qui se rendent en Outre-mer qui se verront imposer une mesure de quarantaine obligatoire à leur arrivée.

ATTENTION enfin à ne pas oublier d’avoir tous les documents nécessaires à ces déplacements lesquels devront être présentés aux transporteurs avant l’embarquement ainsi que lors des contrôles d’arrivée :

  • depuis le 8 avril 2020, tout voyageur a l’obligation de compléter et d’avoir sur soi l’attestation correspondant à sa situation : déplacement international dérogatoire depuis l’étranger vers la France métropolitaine, ou voyage international depuis l’étranger vers une collectivité d’Outre-mer ou déplacement dérogatoire de la France métropolitaine vers l’Outre-mer ;
  • à compter du 25 mai 2020, les voyageurs doivent par ailleurs compléter et avoir sur eux une déclaration sur l’honneur attestant qu’ils ne présentent pas de symptômes d’infection au covid-19.

Il reste donc aux familles encore un certain nombre de difficultés à surmonter et on ne peut que les encourager à puiser encore dans leur réserve d’énergie pour qu’elles arrivent à trouver, dans l’intérêt bien compris de leurs enfants, des solutions amiables en toute sérénité, ce que les modes alternatifs de règlement des conflits permettent de faire.

 

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