Par Haritini Matsopoulou, Professeur de droit privé à l’Université Paris-Saclay, Experte du Club des juristes

Présentation générale

Prise en application de l’habilitation prévue par l’article 11, 2° de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, cette ordonnance vient édicter les mesures nécessaires à l’adaptation de la procédure pénale rendues indispensables pour faire face aux conséquences de la propagation de cette épidémie et des mesures prises pour limiter une telle propagation. Comme l’indique son article 1er, les règles de procédure pénale sont adaptées afin de permettre la continuité de l’activité des juridictions pénales essentielles au maintien de l’ordre public. Ces adaptations sont applicables sur l’ensemble du territoire de la République jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire.

L’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 contient sept chapitres. Le chapitre Ier comporte les mesures d’ordre général. Le chapitre II est relatif à la compétence des juridictions et à la publicité des audiences. Le chapitre III, qui est relatif à la composition des juridictions, vise à permettre que des audiences des juridictions collégiales se tiennent à juge unique. Les chapitres IV et V traitent des règles relatives à la garde à vue et à la détention provisoire. Le chapitre VI prévoit des adaptations relatives à l’affectation des détenus et à l’exécution des peines privatives de liberté, afin de prendre en compte la situation des établissements pénitentiaires qui sont fortement impactés par la crise sanitaire liée à la propagation du virus covid-19. Enfin, le chapitre VII traite de la situation des mineurs poursuivis ou condamnés.

Les Dispositions générales de l’Ordonnance

Quels sont les effets de l’état d’urgence sanitaire sur la prescription de l’action publique et de la peine ?

L’article 2 de l’ordonnance suspend « les délais de prescription de l’action publique et de prescription de la peine à compter du 12 mars 2020 » jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire. À la différence de l’interruption de la prescription, qui efface le temps déjà écoulé avant sa survenance et fait courir un nouveau délai, la suspension arrête le cours de la prescription, si bien que le temps déjà écoulé avant sa survenance entre en ligne de compte pour le calcul du délai.

Le législateur a prévu certaines causes de suspension, comme, par exemple, dans les cas où une mesure alternative aux poursuites est mise en œuvre (art. 41-1, al. 2, C. pr. pén.) ou une autorité administrative, telle que l’Autorité de la concurrence (art. L. 462-3 C. com.), est saisie pour consultation par le juge pénal. Mais, en dehors de ces hypothèses, la jurisprudence a admis que le cours de la prescription soit arrêté au profit de celui qui ne peut valablement agir. Aussi bien, à côté des causes légales de suspension, a-t-elle décidé que la prescription peut être suspendue lorsqu’il y a un obstacle de droit ou un obstacle de fait à l’exercice de l’action publique. En particulier, ont été considérés comme des obstacles de fait certains événements présentant les caractéristiques de la force majeure ou d’une circonstance insurmontable, telle qu’une occupation militaire, une catastrophe naturelle ou la démence du délinquant survenue après la commission d’une infraction. Tenant compte des critères jurisprudentiels, la loi n° 2017-242 du 27 février 2017 a inscrit, dans l’article 9-3 du Code de procédure pénale, les causes générales de suspension du délai de prescription. En particulier, ce texte dispose que « tout obstacle de droit, prévu par la loi, ou tout obstacle de fait insurmontable et assimilable à la force majeure, qui rend impossible la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique, suspend la prescription ». On pourrait donc considérer que l’épidémie de Covid-19 constituerait un obstacle de fait insurmontable rendant impossible la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique. Toutefois, pour éviter toute ambiguïté, les rédacteurs de la présente ordonnance ont préféré consacrer, par une disposition expresse, cette cause de suspension de prescription de l’action publique et de la peine.

Quelles sont les « règles dérogatoires » prévues pour l’exercice des voies de recours ?

L’article 4 de l’ordonnance prévoit l’allongement des délais institués par le Code de procédure pénale pour l’exercice des voies de recours, en doublant ces délais et précisant qu’ils ne peuvent être inférieurs à 10 jours. Ainsi, le délai pour former un appel étant, en principe, de dix jours (à partir du prononcé du jugement s’il est contradictoire, et de la signification si le jugement est rendu par défaut ou sur itératif défaut), il passe à vingt jours. De même, le délai pour se pourvoir en cassation étant en principe de cinq jours francs, il passe à dix jours.

Ce texte prévoit, par ailleurs, un assouplissement des formalités selon lesquelles une personne peut interjeter appel, former un pourvoi en cassation, ou déposer des demandes, conclusions ou mémoires devant les juridictions pénales. En particulier, ces différents actes peuvent être réalisés par lettre recommandée avec accusé de réception. S’agissant de l’exercice d’un appel ou d’un pourvoi en cassation, ces voies de recours peuvent également être formées par courriel à l’adresse électronique communiquée à cette fin par la juridiction de première instance ou d’appel. Et il en est de même des demandes d’actes, adressés par les parties au juge d’instruction, et tendant à ce qu’il soit procédé à des examens ou à toutes autres mesures utiles à la manifestation de la vérité (art. 81, avant-dernier alin., C. proc. pén.). Les courriels adressés font l’objet d’un accusé de réception électronique par la juridiction. Ils sont considérés comme reçus par cette dernière à la date d’envoi de cet accusé, et cette date fait, s’il y a lieu, courir les délais prévus par les dispositions du Code de procédure pénale, modifiés le cas échéant par la présente ordonnance.

Le recours à la visioconférence est-il encouragé par la présente ordonnance ?

L’article 5 de l’ordonnance généralise la possibilité de recourir à la visioconférence, devant l’ensemble des juridictions pénales, autres que les juridictions criminelles. On rappellera que l’article 706-71, alinéa 1er, du Code de procédure pénale prévoit qu’« aux fins d’une bonne administration de la justice, il peut être recouru au cours de la procédure pénale, si le magistrat en charge de la procédure ou le président de la juridiction saisie l’estime justifié, dans les cas et selon les modalités prévues au présent article, à un moyen de télécommunication audiovisuelle ». Cet article, institué par la loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne, devait initialement être utilisé « dans le cadre de procédures anti-terroristes », afin « d’interroger des personnes à distance, d’assurer la célérité, la sécurité et l’efficacité des procédures et de surmonter des obstacles procéduraux ou physiques liés au déplacement de ces personnes ou des autorités susceptibles de les entendre ». Le recours à la visioconférence, autorisé principalement pour certains actes, tels que l’audition, l’interrogatoire ou la confrontation, a été progressivement étendu, par de nombreuses lois, à toutes les phases du procès pénal : enquêtes, instruction préparatoire, jugement.

En particulier, le troisième alinéa de l’article 706-71 du Code de procédure pénale énonce que les dispositions prévoyant l’utilisation d’un moyen de télécommunication audiovisuelle « sont applicables devant la juridiction de jugement pour l’audition des témoins, des parties civiles et des experts. Elles sont également applicables, avec l’accord du procureur de la République et de l’ensemble des parties, pour la comparution du prévenu devant le tribunal correctionnel si celui-ci est détenu ». Or, par dérogation à ces dispositions, l’article 5 de l’ordonnance du 25 mars 2020 dispose qu’ « il peut être recouru à un moyen de télécommunication audiovisuelle devant l’ensemble des juridictions pénales, autres que les juridictions criminelles, sans qu’il soit nécessaire de recueillir l’accord des parties ». Il en résulte donc que l’ordonnance prive la personne intéressée de la possibilité de s’opposer au recours à la visioconférence.

Mais un tel dispositif est-il conforme aux exigences constitutionnelles ? A cet égard, on doit faire observer que le Conseil constitutionnel a censuré, par sa décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019, les dispositions de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ayant supprimé l’obligation de recueillir l’accord de l’intéressé pour recourir à la visioconférence lorsqu’il s’agit d’un débat au cours duquel il doit être statué sur la prolongation d’une mesure de détention provisoire. Cependant, une étude attentive de la jurisprudence constitutionnelle fait apparaître que des dérogations peuvent être tolérées en fonction des circonstances particulières justifiant le recours à la visioconférence. Ainsi, en ce qui concerne le contentieux relatif à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), le Conseil constitutionnel a considéré, dans sa décision n° 2018-770 DC du 6 septembre 2018, que le recours à la visioconférence, sans le consentement de l’étranger, se justifiait au regard, à la fois, de la finalité poursuivie (contribuer à la bonne administration de la justice et au bon usage des deniers publics) et des garanties procédurales prévues par le législateur (salle d’audience spécialement aménagée à cet effet, assistance par un avocat et un interprète ; procès-verbal d’audience).

Les circonstances particulières de l’état d’urgence sanitaire et sa durée limitée pourraient donc justifier l’utilisation de la visioconférence sans l’accord des intéressés. Quant aux garanties procédurales, l’article 5 de l’ordonnance prend soin d’indiquer que le juge doit organiser et conduire la procédure en veillant au respect des droits de la défense et en garantissant le caractère contradictoire des débats. Le droit à un procès équitable doit donc être respecté.

Ces précisions données, le recours à la visioconférence n’est toutefois pas autorisé devant les juridictions criminelles, car l’accusé doit en principe comparaître devant la Cour d’assises (art. 318 C. proc. pén. ; « l’accusé comparaît libre et seulement accompagné de gardes pour l’empêcher de s’évader »).

Enfin, l’article 5 de la présente ordonnance prévoit qu’en cas d’impossibilité technique ou matérielle de recourir à un moyen de télécommunication audiovisuelle, le juge peut décider d’utiliser tout autre moyen de communication électronique, y compris téléphonique, permettant de s’assurer de la qualité de la transmission, de l’identité des personnes et de garantir la confidentialité des échanges entre les parties et leurs avocats. Le juge s’assure à tout instant du bon déroulement des débats et le greffe dresse le procès-verbal des opérations effectuées.

 

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