Par Emmanuel Derieux – Professeur émérite de l’Université Paris-Panthéon-Assas

Par une décision du 26 juillet 2023, l’ARCOM a prononcé, à l’encontre de la société de télévision C8, une sanction de 500.000 euros pour manquements, dans le cadre de l’émission « Touche pas à mon poste-TPMP », au respect des droits des personnes et à l’obligation de maîtrise de l’antenne. L’affirmation, en juillet 1982, du principe de liberté de la communication audiovisuelle a signifié l’abandon du monopole d’Etat de la radio-télévision, et donc ouverture au secteur privé. Le principe en a été repris par la loi du 30 septembre 1986. Pour en assurer l’application, était instaurée une instance dite de régulation : l’actuelle Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique-ARCOM. Le statut des entreprises du secteur privé de la radio-télévision par voie hertzienne est constitué d’une autorisation délivrée par l’instance de régulation qui veille au respect de leurs obligations et sanctionne leurs manquements.

Quelles sont les grandes lignes du statut des entreprises du secteur privé de la télévision ?

         Le statut des entreprises du secteur privé de la télévision est déterminé par la loi de septembre 1986 et les conventions que les titulaires d’une autorisation d’exploitation signent avec l’instance de régulation.

En son article 1er, la loi de 1986 pose que « la communication au public par voie électronique », dont la communication audiovisuelle est une sous-catégorie, incluant la télévision, « est libre ». Elle précise que « l’exercice de cette liberté ne peut être limité que dans la mesure requise » notamment « par le respect de la dignité de la personne humaine ».

L’article 22 de ladite loi dispose que l’ARCOM « autorise […] l’usage […] des fréquences ». Relatif à la convention passée, par l’ARCOM, avec le bénéficiaire de l’autorisation d’exploitation, l’article 28 pose que « cette convention fixe les règles particulières applicables au service ».

Quel est le pouvoir de sanction de l’ARCOM à l’encontre du secteur privé de la télévision ?

Les articles 42 et suivants de la loi de 1986 sont relatifs au pouvoir de sanction dont l’ARCOM dispose à l’encontre des sociétés du secteur privé de l’audiovisuel. S’agissant de la première étape de l’exercice de ce pouvoir de sanction, l’article 42 pose que « les éditeurs […] peuvent être mis en demeure de respecter les obligations qui leur sont imposées par les textes ». Aux termes de l’article 42-1, « si la personne faisant l’objet de la mise en demeure ne se conforme pas à celle-ci », l’ARCOM « peut prononcer […] :

1° la suspension, pour un mois au plus, de l’édition […] d’une catégorie de programme, d’une partie du programme ou d’une ou plusieurs séquences publicitaires ;

2° la réduction de la durée de l’autorisation ou de la convention dans la limite d’une année ;

3° une sanction pécuniaire assortie éventuellement d’une suspension de l’édition […] ou d’une partie du programme ;

4° le retrait de l’autorisation ».

L’article 42-2 précise : que « le montant de la sanction pécuniaire doit être fonction de la gravité des manquements commis et en relation avec les avantages liés au manquement, sans pouvoir excéder 3% du chiffre d’affaires hors taxes […] Ce maximum est porté à 5% en cas de nouvelle violation de la même obligation » ; que, « lorsque le manquement est constitutif d’une infraction pénale, le montant de la sanction pécuniaire ne peut excéder celui prévu pour l’amende pénale ».

L’article 42-7 détermine les conditions (engagement des poursuites, instruction par un rapporteur indépendant, audition de la société concernée) dans lesquelles l’ARCOM prononce ces sanctions.

L’article 42-8 prévoit que « les éditeurs […] peuvent former un recours de pleine juridiction devant le Conseil d’Etat contre les décisions » prises par l’ARCOM.

Quelle application l’ARCOM a-t-elle faite de ce pouvoir de sanction à l’encontre de la société C8 ?

         En cette affaire, l’ARCOM s’est référé aux dispositions de la loi de 1986 et de la convention signée, en 2019, entre le CSA et la société C8. Il y est posé que : « l’éditeur est responsable du contenu des émissions qu’il diffuse. Il conserve, en toutes circonstances, la maîtrise de son antenne » ; il « respecte les droits de la personne relatifs à sa vie privée, à son image, à son honneur et à sa réputation ». Mention y est faite du pouvoir de sanction de l’instance de régulation.

Rappel est fait des mises en demeure adressées à la société C8 et des sanctions préalablement prononcées contre elle.

Est visée l’émission « Touche pas à mon poste », du 9 mars 2023, au cours de laquelle un invité « a accusé nommément plusieurs personnalités publiques de consommation de produits stupéfiants, et même de trafic de ces substances […] ainsi que de pédophilie et de consommation ‘d’adrénochrome’, une substance présentée à l’antenne comme étant issue de sang d’enfants kidnappés et sacrifiés ».

L’ARCOM considère que « ces propos, accusant des individus de faits particulièrement graves et infamants […] sont de nature à porter atteinte aux droits des personnes […] relatifs au respect de leur honneur et de leur réputation », et que « cette séquence caractérise ainsi un manquement de l’éditeur aux stipulations […] de sa convention » d’exploitation.

S’agissant du manquement à « l’obligation de maîtrise de l’antenne », l’ARCOM retient que « les déclarations de l’invité n’ont pas été fermement et immédiatement contredites », et « une certaine complaisance » à son égard, car « relancé régulièrement et encouragé à développer certains de ses propos ». Il est considéré que « la circonstance que, à plusieurs reprises, l’animateur ait indiqué que les propos de l’invité n’engageaient que lui n’est pas de nature à atténuer la responsabilité de l’éditeur », et qu’« une telle situation est constitutive d’un défaut de maîtrise de son antenne par l’éditeur ».

« Au regard, d’une part, de la nature et de la gravité des manquements constitutifs d’une méconnaissance des obligations résultant » de la convention d’exploitation « et, d’autre part, des précédentes sanctions […] déjà prononcées pour des violations antérieures de ces mêmes obligations », l’ARCOM conclut qu’« il y a lieu de prononcer une sanction de 500.000 euros à l’encontre de la société C8 ».

Quelles interrogations soulève cette décision et quelles suites pourrait-elle connaître ?

Une telle sanction administrative pose notamment la question de la répartition des compétences et de la conciliation de l’intervention de l’ARCOM et d’une répression pénale. Elle est bien plus sévère que l’amende de « 12.000 euros » prévue, pour de mêmes faits de « diffamation commise envers les particuliers », par l’article 32 de la loi du 29 juillet 1881, même si peuvent alors s’y ajouter les dommages et intérêts alloués à la personne injustement mise en cause.

 En cas de recours de la société C8, il appartiendrait au Conseil d’Etat de statuer, et éventuellement, par la suite, à la Cour européenne des droits de l’homme-CEDH d’apprécier la proportionnalité de la sanction prononcée, au regard des faits reprochés, comme elle l’a fait dans un arrêt du 9 février 2023, n° 58951/18, validant une sanction, encore plus élevée (3 millions d’euros) précédemment ordonnée, par l’instance de régulation de l’audiovisuel, à l’encontre de la même société C-8.