Par Frédéric Pollaud-Dulian – Professeur à l’Université Panthéon-Sorbonne (Paris 1) – Directeur du M2 « Propriété industrielle et artistique »
Alors que la loi n°2022-267 du 28 février 2022 visant à moderniser la régulation du marché de l’art a été publiée au Journal Officiel le 1er mars dernier, quelques nouveautés ou améliorations méritent d’être signalées. Les dispositions sur la vente de gré à gré, sur la vente de biens non adjugés à l’issue d’une vente aux enchères (« after sale« ) et sur les conséquences d’une enchère sur un bien immobilier sans que l’enchérisseur puisse s’acquitter du prix dans le délai imparti (« folle enchère« ) sont précisées dans un esprit de protection du vendeur. Par ailleurs les maisons de vente obtiennent le droit d’établir des inventaires successoraux. Mais parmi ces nouveautés, c’est sans doute l’ouverture des ventes aux enchères volontaires à des meubles incorporels qui retiendra surtout l’attention.

En quoi consiste l’élargissement du droit des maisons de vente prévu par cette loi ?

Certaines ventes de biens incorporels (brevets, clientèles, licences…) sont déjà pratiquées par les notaires et, en matière judiciaire, par les commissaires-priseurs judiciaires et les futurs commissaires de justice. Désormais, les maisons de vente (telles que Sotheby’s France, Artcurial, Aguttes, Ader et les dizaines d’autres opérateurs de toutes tailles) pourront également procéder à de telles ventes, puisque l’article L.320-1, al. 1er du Code de commerce vise « les ventes aux enchères publiques de meubles  » et non plus seulement de meubles corporels. Cette ouverture des ventes aux enchères aux meubles incorporels pose la question de la vente d’œuvres numériques.

Certains meubles incorporels ne seront cependant pas concernés car ils font l’objet de dispositions particulières ou que leur vente ne se prête pas aux enchères publiques. C’est le cas, par exemple, des titres financiers côtés, des offices publics et ministériels, des droits d’exploitation d’un débit de tabac, des licences de taxi. Il faut y ajouter les biens incorporels qui appartiennent à l’Etat comme par exemple des droits de propriété intellectuelle.

Et les « NFT » ? Il est piquant de constater que, parmi les biens incorporels, le législateur n’a expressément envisagé que des biens incorporels tels que les droits de propriété intellectuelle et le fonds de commerce mais ne fait aucune allusion aux NFT (« non fungible tokens« ) et aux objets numériques (en général) dont ils certifient la propriété… Mais la nouvelle rédaction de l’article L.320-1 précité les inclut nécessairement.

Il n’y a généralement pas d’objet corporel impliqué en ce cas : le jeton est lié à un objet numérique, dont, au mieux, un support d’enregistrement peut être fourni à l’acquéreur du jeton (enregistrement de l’objet sur une clé). Mais le jeton enregistré dans une « blockchain » n’est qu’une sorte de certificat de propriété prétendue, sur un bien numérisé, qui, lui, a une valeur intrinsèque, par exemple celle d’œuvre d’art. Le NFT est donc un jeton, que la législation actuelle définit comme un  » bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien« .

Si le NFT (ou jeton) est légalement un bien incorporel en lui-même, alors il peut faire l’objet d’une vente aux enchères mais, s’agissant des œuvres, il n’est ni l’œuvre ni un support de l’œuvre. Il en résulte que l’acquéreur du NFT acquiert seulement la propriété d’un jeton censé attester que celui qui l’a émis possède un droit sur un fichier numérique associé, « représentant » un autre bien (corporel).

La sécurité du système reste incertaine car si le NFT est unique et infalsifiable, en revanche il n’est pas assuré qu’il soit sincère, c’est-à-dire que la propriété du bien sous-jacent (l’œuvre numérique ou corporelle) appartenait bien à celui qui a créé le jeton ou que le fichier numérique de l’œuvre ne soit pas contrefaisant. En outre que si le jeton est unique, rien n’empêche de dupliquer à l’infini l’objet numérique….

On signalera que certains musées dans le monde ont émis des NFT associés à des copies numériques uniques (mais éventuellement fragmentées, c’est à dire dont l’image a été fragmentée en de multiples parties numérisées et vendues individuellement) d’œuvres de leurs collections (Vinci, Modigliani, Klimt…) pour les vendre sur des plateformes Internet à des prix sans rapport avec ceux de simples reproductions, ce qui ne peut que contribuer à la confusion entre la qualification des objets numérisés.

Une autre problématique tient au moyen de paiement, c’est-à-dire à l’utilisation éventuelle des crypto-monnaies (« bitcoins« , « ethereum »…) dans le cadre de ventes aux enchères publiques, ce qui, politiquement, nous semblait à proscrire pour maintenir l’idée que les maisons de vente et les commissaires-priseurs contribuent à une certaine sécurité du marché de l’art. Mais ce n’est sûrement pas le « sens de l’histoire », de telles ventes étant déjà pratiquées dans d’autres pays, comme en témoigne le rapport de M. Barthalois pour le Conseil des Ventes Volontaires. En effet, dès lors que les crypto-monnaies sont qualifiées de « moyen de paiement contractuel » par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE, 22 octobre 2015, aff. C.264/14), il suffit que vendeur et acheteur acceptent volontairement ce mode de règlement pour qu’il puisse être pratiqué. Il suffit donc aux maisons de ventes de l’insérer dans leurs conditions générales de vente ou bien, peut-être préférablement, dans les conditions particulières d’une vente ayant des « NFT » pour objet. Mais, bien entendu, rien n’oblige le vendeur à souscrire à cette clause.

 Le Conseil des maisons de ventes crée par la loi du 28 février 2022 est-il une véritable nouveauté ?

Le Conseil des ventes volontaires, autorité de régulation des ventes volontaires aux enchères créé par la loi n°2000-642 du 10 juillet 2000  a été modifié essentiellement à deux égards. D’abord sa composition, qui devient davantage corporatiste mais sans que la puissance publique s’en retire pour autant puisque sur onze membres, (i) six sont des opérateurs de vente ou commissaires-priseurs élus, dont la moitié exerçant en Ile-de-France et l’autre en province et (ii) cinq sont des personnalités qualifiées nommées par les ministres de la Justice, de la culture et du commerce. Ensuite l’exercice de sa fonction disciplinaire, à travers l’institution d’une « commission des sanctions » et d’une « commission d’instruction » composée d’un commissaire du gouvernement, magistrat de l’ordre judiciaire, « assisté » d’une personnalité ayant cessé d’exercer l’activité de vente volontaire aux enchères depuis moins de cinq ans.

Par ailleurs, le Conseil des ventes volontaires perd sa dénomination actuelle pour s’appeler « Conseil des maisons de vente », ce qui correspond au remplacement dans les textes de l’expression « opérateur de ventes volontaires » par « maison de ventes », certes plus élégant mais sans grande différence sur le fond.

Le Conseil des maisons de vente demeure un établissement d’utilité publique, doté de la personnalité morale. Les tâches qui lui sont assignées ne sont pas très différentes mais sa composition – désormais majoritairement professionnelle – lui confère une certaine parenté avec un ordre professionnel. Il reste d’ailleurs financé par des cotisations professionnelles. Le président reste toutefois nommé par le ministre de la Justice parmi les membres du conseil.

A votre sens, le Conseil des maisons de vente parviendra-t-il à jouer son rôle de régulateur des ventes aux enchères ?

Le Conseil des maisons de vente reçoit la mission de prévenir et concilier les différends d’ordre professionnel entre les maisons de vente ou commissaires-priseurs portant sur des questions commerciales et non pas disciplinaires.

Concernant son rôle disciplinaire, on aurait pu pousser la libéralisation du marché voulue par l’Union européenne à son maximum en supprimant cette fonction pour renvoyer la question au juge. Après tout, la responsabilité des marchands et galeristes comme des experts relève du contrôle judiciaire. Mais l’existence d’une instance disciplinaire présente certainement des avantages quant à la rapidité des décisions, la connaissance du marché et du milieu et l’adaptation des mesures.

Déjà en 2008, dans la proposition de réforme de la loi du 10 juillet 2000, le souhait avait été émis de faire évoluer le système disciplinaire vers des principes inspirés des pratiques anglo-saxonnes avec, était-il dit, moins de règles tatillonnes, moins d’examen a priori et plus de contrôles a posteriori sur la base de principes généraux, tels ceux de loyauté ou de sincérité appréciés in concreto.

Tel était l’un des rôles assignés au Conseil des ventes volontaires créé en 2000 et déjà réformé en 2011. Le rapport sénatorial sur la nouvelle loi fait cependant état de critiques adressées à cet organe. D’abord, certains opérateurs reprochent au Conseil des ventes volontaires « d’exercer un contrôle inutilement tatillon sur leur activité, sans réussir à prévenir les scandales qui défraient occasionnellement la chronique ».

Ensuite, « les professionnels peuvent légitimement s’interroger sur les raisons qui ont conduit le législateur à soumettre leur activité au contrôle d’une autorité ad hocalors que ce n’est pas le cas pour des activités connexes comme les ventes de meubles de gré à gré et tout particulièrement le commerce des œuvres d’art (activité des galeristes et des autres marchands d’art)« .

Par ailleurs, on a parfois soutenu que le Conseil des ventes volontaires se montrait plus rigoureux à l’égard des petites maisons de vente qu’à l’égard des grandes. Que ce grief soit ou non fondé, il convient de relever que les réclamations adressées au commissaire du gouvernement au sein du Conseil des ventes volontaires oscillent entre deux-cents et trois-cents par an et qu’elles sont soit écartées comme infondées, soit réglées à l’amiable, les sanctions restant très rares. Ainsi en 2020, le rapport annuel du Conseil des ventes volontaires fait état d’une seule sanction à l’égard d’un commissaire-priseur et d’un opérateur de ventes volontaires qui avaient manqué à leur devoir de loyauté et de transparence à l’égard des vendeurs.

Aux termes de la nouvelle loi, la liste graduée des mesures et sanctions ne change pas (avertissement, blâme, interdiction temporaire d’exercer, interdiction définitive), si ce n’est l’ajout non négligeable de sanctions pécuniaires proportionnées, à la place ou en plus des sanctions précitées. En outre, à titre conservatoire, le Conseil des ventes volontaires peut aussi suspendre provisoirement tout ou partie de l’activité de la maison de ventes pour une durée d’un mois, prorogeable de trois mois. Toutes ces mesures peuvent être contestées devant la cour d’appel de Paris. Quant à la commission des sanctions, elle comporte trois membres nommés par le ministre de la justice et non par le Conseil des ventes volontaires lui-même, un membre du Conseil d’Etat, un conseiller à la Cour de cassation et une personnalité ayant cessé d’exercer l’activité de vente volontaire depuis moins de cinq ans : on le voit, contrairement à ce qui a pu être dit, la commission des sanctions du Conseil des maisons de vente ne devient pas corporatiste.

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