Par Jean-Jacques Urvoas, ancien garde des Sceaux, professeur de droit public à l’Université de Brest.
Le 9 décembre dernier, le gouvernement a transmis à ses interlocuteurs calédoniens un document présentant un projet de statut pour la Nouvelle Calédonie. En quelques pages, il dessine les évolutions jugées indispensables pour qu’une révision constitutionnelle puisse intervenir « début 2024 » selon le calendrier fixé par le Président de la République lors de son discours prononcé à Nouméa le 26 juillet 2023.

Que contient ce document et en quoi était-il attendu ?

Pour le moment, il n’est connu que grâce à un article de la chaine d’information télévisée « NC la 1ère ». Il convient donc d’être prudent, ni le gouvernement, ni les destinataires n’ayant pris l’initiative de le rendre public.

Il s’agit d’une première esquisse, présentée comme « martyre », indiquant les grandes lignes d’un futur statut pour l’archipel. Sont ainsi traités la réécriture de l’actuel titre XIII de la Constitution, l’adaptation des institutions (composition du congrès, répartition des compétences entre les trois provinces et le gouvernement, modification de la clé de répartition budgétaire,…), les modalités d’un dégel du corps électoral ou encore le devenir de la « citoyenneté de Nouvelle Calédonie ».

Ce document est un premier débouché concret aux échanges ayant occupé les différentes délégations présentes à Paris entre le 4 et le 9 septembre dernier. En le rédigeant, le gouvernement cherche à passer à une nouvelle étape : celle d’une véritable négociation. Son initiative est donc la bienvenue puisqu’il démontre sa détermination tout en affichant une volonté d’ouverture, aucune de ses suggestions n’étant présentée comme définitive.

Les propositions sont-elles de nature à permettre l’émergence d’un consensus ?

Certainement pas et le gouvernement le sait. D’ailleurs, dès sa réception le 14 septembre, le principal parti indépendantiste, l’Union Calédonienne l’a jugé « irrecevable » et a décidé de la « suspension de toutes les rencontres avec les représentants de l’Etat » jusqu’au congrès du FLNKS prévu pour le début novembre.

Une telle vivacité était prévisible pour au moins deux raisons. D’abord, en dépit des affirmations gouvernementales, le rapport de force est au détriment des indépendantistes. Ainsi, l’Etat considère pour acquis que « la Nouvelle-Calédonie est française parce qu’elle a choisi de rester française » pour reprendre les mots d’Emmanuel Macron, alors que les indépendantistes continuent de considérer que le dernier référendum du 12 décembre 2021 est un « affront au peuple de Nouvelle-Calédonie », au point de renforcer leur intention de ne voir les discussions porter que « sur l’accession à la pleine souveraineté et l’indépendance » comme l’a indiqué le 41ème Congrès du FLNKS en février 2023. De même, ce sont les loyalistes qui, sous la plume de l’actuelle secrétaire d’Etat à la citoyenneté, Sonia Backès, du député Renaissance Nicolas Metzdorf et de Virginie Ruffenach, présidente du Rassemblement, avaient demandé que le gouvernement communique « d’ici au 9 septembre » le calendrier d’adoption de la révision constitutionnelle. Enfin, les indépendantistes ont noté que le pouvoir exécutif ne faisait que rarement référence à l’identité kanak qui fonde pourtant l’essentiel de leurs revendications.

Ensuite, les indépendantistes sont divisés et ce sont leurs discordes qui favorisent l’adoption de positions publiques radicales. Le contraste, même si ce n’est pas une première, est saisissant entre la réaction du président du Congrès Roch Wamytan qui saluait au soir des réunions parisiennes « le bon état d’esprit de nos interlocuteurs […] qui voulaient avancer » et celle de l’UC sous la plume de son secrétaire général Pierre Chanel Tutugoro qui estime que « le projet n’est pas sérieux » car « il nous ramène 30 ans en arrière ».

Quelles sont les prochaines étapes ?

Il faudra d’abord être attentif au résultat des élections sénatoriales. Pour la première fois depuis longtemps, il n’est pas impossible qu’aucun des deux sénateurs calédoniens ne soit kanak. Ce ne serait pas un signal encourageant.

L’attitude du Sénat coutumier est aussi à observer avec attention. Dans son discours du 8 septembre, son président Victor Gogny, a réclamé un rééquilibrage des pouvoirs entre les structures coutumières et les structures républicaines. Le Covid a renforcé l’influence des chefs coutumiers alors que beaucoup misaient sur leur inéluctable obsolescence. Dès lors, c’est un paramètre à intégrer : l’avenir institutionnel ne s’imaginera pas sans eux.

Si le moment doit venir, il conviendra aussi d’expliquer l’objet de la révision. Si ce dernier ne fait pas débat au plan du droit, politiquement le chantier sera plus ardu. En effet dans les deux chambres, les revendications constitutionnelles s’entassent et nombreux seront les parlementaires qui chercheront à saisir l’opportunité calédonienne pour tenter de modifier d’autres articles de la Loi Fondamentale au risque de faire échouer la démarche.

Enfin, dans toute négociation il faut accepter de se mettre à la place de l’autre pour chercher non pas ce qui est juste mais ce qui est acceptable. Cette responsabilité repose sur l’Etat vers qui se sont toujours tournés les loyalistes comme les indépendantistes quand surgissaient des difficultés depuis la signature des accords de Matignon en 1988. Il n’a jamais été un simple clerc de notaire de consensus immanents. Sa responsabilité a toujours été de faire émerger des positions communes, de les nourrir pour que le projet l’emporte sur le rejet. De cette expérience, il faut retenir qu’il n’est jamais bon d’avancer à marche forcée. Fixer comme objectif d’aboutir « avant la fin de l’année » comme on a pu le lire est délicat. En Occident, le temps n’existe que de façon linéaire et doit être nécessairement un facteur de changement. En Océanie, le comptage de la durée du temps se fait par rapport à des événements. Il n’est donc pas quantitatif mais qualitatif…  Négocier dans le temps politique kanak ne peut donc se résumer à imposer le modèle démocratique où le nombre fait la loi.