Par Jean-Jacques Urvoas, ancien garde des Sceaux, maître de conférences en droit public à l’Université de Bretagne Occidentale et à l’Université Paris-Dauphine

Le 4 octobre 2020, lors de la deuxième consultation référendaire prévue par l’Accord de Nouméa, les électeurs calédoniens ont à nouveau choisi de demeurer dans la République Française. Le scrutin a été marqué par une très forte participation puisque l’abstention ne fut que de 14,3 % et si le « oui » a progressé en passant en deux ans de 43,33 % à 46,74 %, le « non » est resté majoritaire avec 53,26 % (soit une baisse de 3,44 %). Jean-Jacques Urvoas, ancien garde des Sceaux, maître de conférences à l’Université de Bretagne Occidentale ainsi qu’à Paris-Dauphine, revient sur ce résultat.

Que faut-il retenir de ce référendum ?

Trois observations s’imposent. D’abord l’incroyable mobilisation des électeurs. Le record de 81,01 % des inscrits obtenu le 4 novembre 2018 lors du premier référendum est dépassé puisque 85,4 % des électeurs se sont, cette fois-ci, déplacés. A titre indicatif, lors du 1er tour de l’élection présidentielle, la participation n’était que de 48,14 % (52,81 % au tour décisif) et l’an passé, au moment des élections provinciales, elle n’atteignait que 66,50 %. A l’évidence, pour les calédoniens, la question de leur avenir institutionnel domine tous les autres enjeux.

Ensuite, le resserrement de l’écart entre les deux options. En 2018, 18 535 voix séparaient le « non » victorieux du « oui » défait. Cette année, le « non » ne devance que de 9 965 voix. Comme il est probable que l’écrasante majorité des électeurs n’a pas changé d’avis, ce rétrécissement est le produit de la mobilisation électorale réussie par les partisans de l’indépendance. C’est notamment évident dans la ville de Nouméa où résidaient en 2018 près de 10 000 abstentionnistes (la participation était de 80,29 %), et où le 4 octobre la fréquentation des urnes atteint 84,8 % avec une notable progression du « oui » de 4 %. La même remarque peut être faite concernant les iles Loyauté.

Enfin, la confirmation du choix du maintien de l’archipel dans la République. Quelle que soit la référence électorale, à chaque fois que les électeurs calédoniens se prononcent, une nette majorité d’entre eux répètent cette même volonté. Cette première constance se double d’une seconde : trente-deux ans après la signature des Accords de Matignon-Oudinot, vingt-deux ans après celui de Nouméa, les kanak se prononcent toujours massivement en faveur de l’indépendance et ceux qui ne le sont pas restent tout aussi fermement attachés au maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la France. Le premier référendum avait frappé par le caractère figé des votes profondément structurés sur un clivage ethnique, géographique et social, le second référendum ne fait que le confirmer une fois de plus.

Quelle est la prochaine étape ?

Elle n’est pas écrite, même si l’Accord de Nouméa la dessine. Tout dépendra de l’État or depuis sa nomination Jean Castex semble indifférent à ce dossier. Pourtant, depuis Michel Rocard, Matignon est la maison de la Nouvelle-Calédonie. Tous ses successeurs ne s’y sont d’ailleurs pas trompé, consacrant, chacun selon son tempérament, énergie et imagination pour que la voie pacifique du consensus forgée par Jean Marie Tjibaou et Jacques Lafleur puisse continuer à être empruntée par les responsables politiques d’aujourd’hui.

Si l’État ne prend aucune initiative audacieuse, alors dans deux ans, un troisième référendum sera organisé comme l’Accord de Nouméa en laisse la possibilité. Le FLNKS a d’ailleurs déjà dit qu’il le demanderait. Or, il y a fort à parier que le résultat ne diffèrera pas des deux précédents et l’on voit mal comment d’une nouvelle confrontation binaire pourrait sortir le nouveau statut dont a besoin de manière durable la Nouvelle Calédonie.

Car dans deux ans, le processus ouvert par l’Accord sera clos et alors « l’ombre l’emporte sur la lumière » comme l’ont écrit Jean Courtial et Ferdinand Melin-Soucramanien1. Il ne faut donc pas tarder à dissiper l’incertitude et à éclairer l’avenir. Et c’est au premier chef sur le Premier ministre que repose cette responsabilité. Depuis la signature fondatrice des Accords de Matignon, l’État s’est toujours comporté comme un partenaire positif, ne limitant pas sa fonction à une approche notariale qui ferait de lui le simple garant de l’impartialité des procédures. « L’État ne peut pas s’abriter derrière une position d’arbitre. Il n’est pas juge, il est acteur », écrivait Jean-Marie Tjibaou le 25 juin 1988, au cœur des négociations de Matignon. C’est encore vrai, l’État est très attendu.

Que peut-il faire ?

Écrire une nouvelle page de cette histoire singulière en œuvrant ardemment pour éviter l’organisation du troisième référendum binaire et chercher à le transformer en approbation d’un nouveau projet institutionnel pour l’archipel qui s’inspirerait de celui d’un État fédéré au sein de la République ou d’un État associé dans le cadre d’un partenariat avec la France.

Depuis trente ans tout a changé mais l’essentiel n’est pas tranché. Il va donc bien falloir traiter cette question de la « pleine souveraineté » et pour cela, le droit a montré que par une lecture assurément constructive de ses ressources, il pouvait être un allié déterminant. Pour chaque question, sur chaque sujet, la réponse élaborée fut empirique, à l’abri des grands schémas théoriques préétablis et des constructions idéologiques dominantes.

Il suffit de relire le titre XIII de la Constitution (intitulé « dispositions TRANSITOIRES relatives à la Nouvelle-Calédonie ») pour constater combien l’actuel statut du territoire déroge par de nombreux aspects à la tradition unitaire et républicaine française. Il faut s’en inspirer pour rouvrir les discussions sur une nouvelle organisation politique et économique au sein de la République avec des modalités nouvelles pour l’exercice et le droit à l’autodétermination.

1 Jean Courtial, Ferdinand Mélin-Soucramanien, Réflexions sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, La Documentation Française, 2014, p. 55.