Mediapart a publié des enregistrements de conversations entre Alexandre Benalla et Vincent Crase, tous deux mis en examen pour des violences commises lors des manifestations de mai 2018. Le parquet a ouvert une enquête préliminaire pour « atteinte à la vie privée » et pour « détention illicite d’appareils ou de dispositifs techniques de nature à permettre la réalisation d’interception et de télécommunications ou de conversations ». Après la tentative de perquisition par les magistrats du parquet, le site d’informations a remis le 5 février dernier des enregistrements inédits dans lesquels on entend les deux hommes évoquer l’éventualité de détruire des preuves qui les incrimineraient.

Décryptage par Jacques-Henri Robert, Expert du Club des juristes, Professeur émérite de l’Université Paris II Panthéon-Assas, Directeur de l’Institut de Criminologie de l’Université de Paris II de 1994 à 2008.

« Pour avoir, volontairement, violé cette interdiction, ils s’exposent à être placés en détention provisoire »

Que risquent les deux hommes en violant le contrôle judiciaire ?

Le contrôle judiciaire a pour finalité d’éviter qu’une personne mise en examen ne perturbe le déroulement de l’instruction qui le vise ou ne commette de nouvelles infractions. C’est aussi l’objet de la détention provisoire, mais les magistrats sont invités, par l’article 137 du Code de procédure pénale, à lui préférer le contrôle judiciaire, moins rigoureux. Il est mis en place par le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention qui impose au mis en examen une ou plusieurs des interdictions ou obligations choisies sur la liste dressée par l’article 138 du même code, qui comprend dix-neuf numéros. La mesure qui visait Alexandre Benalla et Vincent Crase est l’interdiction prévue par son numéro 9 et qui a pour objet de « s’abstenir de recevoir ou de rencontrer certaines personnes… ainsi que d’entrer en contact avec elles, de quelle que façon que ce soit », un entretien téléphonique par exemple comme dans l’affaire considérée.

Pour avoir, volontairement, violé cette interdiction, ils s’exposent à être placés en détention provisoire, en vertu de l’article 141-2par le juge des libertés et de la détention saisi à cet effet par le juge d’instruction. Les conditions de cette décision sont plus larges que celles qui auraient permis une détention imposée en premier lieu : peu importe la durée de l’emprisonnement encouru pour le délit objet de l’instruction, alors que, s’il s’agit d’une détention prononcée ab initio, ce seuil de gravité est de trois ans. L’ordonnance de placement en détention provisoire est motivée par la seule constatation de la violation des obligations, mais cette sanction n’est pas automatique et est laissée à l’appréciation du juge des libertés et de la détention.

Dans ces enregistrements, les deux hommes évoquent la destruction des preuves qui les incriminent : Que risque t on en cas de destruction de preuves ?

L’article 434-4 du Code pénal menace de « trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait, en vue de faire obstacle à la manifestation de la vérité́ 2° De détruire, soustraire, receler ou altérer un document public ou privé ou un objet de nature à faciliter la découverte d’un crime ou d’un délit, la recherche des preuves ou la condamnation des coupables ».

A ces peines principales, l’article 434-44 ajoute des peines complémentaires, notamment l’interdiction des droits civils, civiques et de famille et celle d’exercer une fonction publique.

Ces enregistrements pourraient-ils être considérés comme nul ?

Les enregistrements diffusés par Mediapart auraient été recueillis par des procédés délictueux. Il s’agit d’une part de l’atteinte à l’intimité de la vie privée commise en « captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel » (art. 226-1, 1° Code pénal) et d’autre part, de la  détention illicite d’appareils ou de dispositifs techniques de nature à permettre la réalisation d’interception de télécommunications ou de conversations (art. 226-3 C. pén.). Selon une jurisprudence constante, la preuve d’une infraction obtenue par un particulier selon des procédés déloyaux peut être produite en justice, à condition d’être discutée contradictoirement et à condition aussi que des officiers publics n’aient pas participé à l’obtention de cette preuve : c’est ce qui a été de nouveau jugé à propos d’un chantage exercé contre le roi du Maroc : en l’espèce, le point litigieux était de savoir si des officiers publics avaient prêté leur concours à l’enregistrement clandestin des conversations téléphonique du maître-chanteur, allégation que l’assemblée plénière de la Cour de cassation a rejetée (Cass. ass. plén., 10 nov. 2017, n° 17-82.028). En conséquence, l’enregistrement de la conversation entre Monsieur Benalla et Monsieur Crase peut être utilisé en justice, sauf si c’est un fonctionnaire ou agent public qui l’a réalisé, ce que les derniers développements mettant en cause une fonctionnaire de police pourraient laisser craindre.

Pour aller plus loin :

 

Par Jacques-Henri Robert