Par Emmanuel Tawil, Maître de conférences (HDR) de droit public à l’Université Paris II, Auteur de Cultes et congrégations, Dalloz-Juris éd., 2019

Le projet de loi confortant le respect des principes de la République présenté en Conseil des ministres le 9 décembre 2020, à l’occasion du 115e anniversaire de la promulgation de la loi de séparation, a déjà changé de nom trois fois : initialement intitulé « Projet de loi visant à lutter contre les séparatismes », il est devenu « Projet de loi confortant la laïcité et les principes républicains », puis « Projet de loi confortant les principes républicains ». Enfin, le Gouvernement a suivi l’avis du Conseil d’État du 7 décembre 20201, en retenant comme intitulé « Projet de loi confortant le respect des principes de la République ». Il a pour objet d’établir un nouveau régime des cultes, en rupture par rapport à la loi de séparation du 9 décembre 1905.

Le texte contient 4 titres. Le titre II est consacré au libre exercice du culte. Néanmoins, diverses dispositions du titre I, « Garantir le respect des principes républicains », ainsi que des titres 3 et 4 concernent les cultes.

Quelles modifications le projet de loi apporte-t-il aux règles de constitution des supports institutionnels du culte ?

Dans le cadre du régime de séparation, il existe plusieurs types de supports institutionnels du culte.

Le support de droit commun de l’exercice du culte est l’association cultuelle. Prévue par la loi de 1905, celle-ci ne peut avoir qu’un objet exclusivement cultuel. Elle est soumise à des obligations spécifiques (nombre de membres, obligation de respecter les règles d’organisation du culte dont l’association se propose l’exercice, etc.)2.

Par ailleurs, la loi du 2 janvier 1907 a rendu possible le recours à des associations régies par la loi du 1er juillet 1901.3

Enfin, depuis 1924, les catholiques constituent des associations diocésaines suivant des statuts-types sur lesquels le Gouvernement et le Saint-Siège se sont accordés.4

Association cultuelle, association de la loi de 1901 ayant un objet cultuel et association diocésaine ont en commun d’être constituées par libre déclaration, sans autorisation préalable de l’administration.

Le projet de loi modifie en profondeur les règles de constitution des associations cultuelles, et par ricochet l’organisation des cultes en France.

En effet, le projet de loi entend établir un contrôle a priori des associations cultuelles. Dans l’avant-projet de loi, était prévu l’obligation pour toute association cultuelle de faire préalablement constater sa qualité cultuelle par le représentant de l’État dans le département au moment de sa constitution, ce qui aurait donné au préfet la possibilité de s’y opposer.

Le Conseil d’État a demandé sur ce point au Gouvernement de revoir le texte au motif que « cette procédure d’agrément s’approche d’un régime d’autorisation. (…) La procédure prévue par le projet s’apparente donc à une barrière à l’entrée du statut d’association cultuelle. Un tel régime porte une atteinte certaine au régime actuel en vertu duquel les associations, y compris cultuelles, se constituent librement ».5

C’est pourquoi le projet de loi a été modifié : l’article 27 prévoit désormais une seconde déclaration, lorsque l’association cultuelle « souhaite bénéficier des avantages propres à la catégorie des associations cultuelles ». Le préfet dispose de deux mois pour s’opposer « au bénéfice des avantages » en question. L’on ne peut qu’être dubitatif devant la portée de cet article, qui conduit à créer plusieurs catégories d’associations cultuelles :

  • l’association cultuelle déclarée une seule fois, ne bénéficiant pas des « avantages » du statut d’association cultuelle, dont le régime juridique serait donc non prévu par le législateur ;
  • l’association cultuelle déclarée deux fois, et dont la qualité est reconnue par l’absence d’opposition du préfet, soumise pleinement au régime des associations cultuelles.

S’agissant de l’association cultuelle déclarée deux fois, mais faisant l’objet d’une opposition du préfet légalement fondée, elle ne peut être considérée comme cultuelle, puisque les conditions nécessaires à la reconnaissance de cette qualité ne seraient, par hypothèse, pas remplies ou que les exigences de l’ordre public y feraient obstacle. Une telle association devrait être requalifiée en association de la loi de 1901.

Le régime de la double déclaration aboutit donc à rendre encore plus complexe et bien plus incertain le régime des cultes.

Quels contrôles des cultes le projet de loi ajoute-t-il ?

Le projet de loi crée de multiples contrôles de toute nature. Ainsi, les dispositions du projet de loi relatives aux contrôles des associations qui délivrent des attestations fiscales ouvrant droit aux crédits d’impôts prévus par les articles 200 et 238 bis du code général des impôts prévoient-elles des contraintes nouvelles6. Celles-ci concernent aussi les associations cultuelles. En outre, le projet de loi prévoit l’élargissement des cas de dissolution administrative, et crée une nouvelle procédure de suspension7. Ces dispositions seront applicables aux associations de la loi de 1901 ainsi qu’aux associations cultuelles.

L’article 35 du projet de loi prévoit de soumettre à déclaration préalable les financements accordés à des associations cultuelles ou des associations de la loi de 1901 ayant un objet cultuel par des Etats étrangers, des personnes morales étrangères ou des personnes physiques non résidentes en France, dès lors que le financement dépasse un seuil fixé par décret. Le montant ne peut être inférieur à 10 000 euros. L’autorité administrative peut s’y opposer en cas de menace réelle et suffisamment grave à un intérêt fondamental de la société résultant de l’activité de l’association bénéficiaire. Il en serait de même si la menace résultait du donateur étranger.

Comment évaluer ce projet de loi au regard de la loi de 1905 et du principe de laïcité ?

Le projet de loi constitue une rupture sans précédent avec la loi de 1905, prévoyant de remplacer un régime déclaratif par un régime de double déclaration, qui équivaut, de facto, à un régime d’autorisation préalable. Si l’on ajoute à cette procédure la multiplication des contrôles et des contraintes administratifs, il est difficile de soutenir que cela conforte le principe constitutionnel de laïcité, dont la liberté de culte constitue l’un des éléments.8

Si elles sont adoptées par le Parlement, ces dispositions seront ensuite certainement examinées par le Conseil constitutionnel, dont la jurisprudence en matière de culte n’est guère développée. Les restrictions envisagées à l’exercice de la liberté d’association et de la liberté de culte sont d’une telle importance que l’on ne peut exclure une censure. Une saisine de la Cour européenne des droits de l’homme est également probable. Il est difficile d’anticiper une décision. En effet, bien qu’elle ait affirmé que « le droit des fidèles à la liberté de religion suppose que la communauté puisse fonctionner paisiblement, sans ingérence arbitraire de l’État »9, la Cour de Strasbourg laisse une marge d’appréciation particulièrement large aux États pour fixer leurs rapports avec les religions. 10

 

CE avis 7 décembre 2020, NOR : INTX2030083L/Bleue-1, n°5
E. Tawil, Cultes et congrégations, Dalloz-Juris éd., 2019, n°8.03-8-17
L. 2 janv. 1907, art. 4
4 É. Poulat, Les diocésaines, La documentation française, 2007, 577 pages
5 CE avis 7 décembre 2020, préc., n°73
6 Projet de loi confortant le respect des principes de la République, art. 11
7 Projet de loi confortant le respect des principes de la République, art. 8
8 Cons. const. 21 févr. 2013, no 2012-297 QPC ; JCP A 2013, no 15, note Macaya et Verpeaux ; JCP A 2013, no 16, note Portelli ; Dr. adm. 2013, no 14, note de la Morena ; RDP 2013, p. 532, note Woehrling
9 CEDH 26 oct. 2000, Hassan et Tchaouch c/Bulgarie, req. no 30985/96, RTD eur. 2001, p. 185, n°62
10 Sur la marge d’appréciation des Etats, CEDH, gr. ch., 10 nov. 2005, Leyla Şahin c/Turquie, req. no 44774/98, n°109. V° également E. Tawil, Cultes et congrégations, préc., n°4.42-4.43