Par Pierre EGEA – Professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole
Ce mercredi 6 juillet 2022, Elisabeth Borne a prononcé sa déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale. Cette déclaration n’a pas été suivie de la traditionnelle question de confiance que le Premier Ministre sollicite habituellement. Le refus d’y déférer a été annoncé par Olivier Véran, nouveau ministre chargé des relations avec le Parlement. Il a suscité l’ire des députés de l’opposition, en particulier de Mathilde Panot, cheffe des députés LFI qui a tweeté en réponse « Madame Borne on ne maltraite pas la démocratie impunément. Nous vous ferons donc venir de force devant le Parlement ». Dans le prolongement de cette déclaration, elle a annoncé le dépôt d’une motion de censure contre le gouvernement.

Que penser de l’affirmation selon laquelle la démocratie serait maltraitée par un refus de poser la question de confiance ?

Il s’agit d’une affirmation purement politique. La Constitution de 1958 n’impose nullement au Premier Ministre d’engager la responsabilité du gouvernement lors de la séance où il prononce son discours de politique générale (qu’il n’est d’ailleurs même pas tenu de faire). En définitive, la Constitution n’impose rien au chef du gouvernement sur ce chapitre. Il est libre de poser la question de confiance à tout moment, sous réserve d’en avoir délibéré préalablement en Conseil des Ministres (art. 49 al. 1).

Selon la logique propre à la cinquième République, qui est celle d’un parlementarisme rationalisé, le gouvernement dispose de la plénitude de ses capacités dès sa nomination par le Chef de l’État (art. 8). Il n’a donc nullement besoin de l’investiture de l’Assemblée Nationale, contrairement à ce qui était le cas sous les deux Républiques précédentes. S’il est politiquement bienvenu pour un Premier Ministre disposant d’une majorité solide et cohérente de solliciter la confiance d’une Assemblée Nationale qui lui est acquise, il peut se révéler imprudent d’y souscrire en situation de majorité relative, ce d’autant qu’aucune majorité qualifiée n’est exigée, de sorte qu’un nombre de voix hostiles à l’approbation, supérieur à celui des suffrages favorables, contraindrait le Premier Ministre à remettre au président de la République la démission du Gouvernement (art. 50).

Lors de la IXe législature (1988-1993), ni Michel Rocard, ni Edith Cresson, ni Pierre Bérégovoy n’ont sollicité la confiance, faute de disposer d’une majorité absolue au Palais Bourbon sans que ce choix constitutionnellement autorisé n’ait suscité en son temps un procès en déni de démocratie. Il n’y a donc pas de maltraitance démocratique en cette affaire, sauf à rejouer le procès permanent de la Constitution de 1958.

En l’absence de question de confiance, quels sont les moyens dont dispose l’Assemblée nationale pour mettre en cause la responsabilité du gouvernement ?

L’Assemblée Nationale n’est pas dépourvue de moyens pour répondre à l’atonie supposée du Gouvernement ou à sa prudence excessive. L’arme suprême demeure la motion de censure, prévue à l’article 49 alinéa 2 de la Constitution.

Face au refus d’Elisabeth Borne d’engager la responsabilité du Gouvernement, LFI NUPES a annoncé le dépôt d’une telle motion auprès du président de l’Assemblée. Juridiquement, le dépôt ne suscite aucune difficulté particulière pour un groupe composé de 75 membres puisqu’il suffit d’un dixième des députés, soit 58, pour provoquer un vote qui intervient obligatoirement 48 heures après le dépôt de la motion.

En l’état des forces politiques, la motion n’a cependant aucune chance de prospérer. En effet, à la différence de la question de confiance qui s’acquiert ou se perd à la majorité simple, la motion de censure n’est adoptée que si elle réunit la majorité absolue des députés (289 voix), étant par ailleurs précisé que seuls sont recensés les suffrages favorables à la censure (art. 49 al. 2). Ainsi, même s’il se trouve une majorité relative pour vouloir la chute du Gouvernement, seules les voix favorables à la censure seront décomptées et elles doivent passer le seuil des 289 suffrages.

Ces contraintes procédurales expliquent qu’aucune motion de censure n’ait été votée depuis 1962, en dépit de la situation inconfortable dans laquelle se trouvaient les trois Premiers Ministres successifs de la IXe Législature (M. Rocard, E. Cresson et P. Bérégovoy entre juin 1988 et mars 1993). L’histoire parlementaire de la Ve République montre que la censure est un instrument nécessaire mais dont l’usage est largement symbolique. Dans notre hypothèse, seule l’alliance improbable de l’ensemble de la gauche et de la droite, y compris le RN, permettrait d’atteindre une telle majorité. C’est mathématiquement possible et politiquement invraisemblable. Le Président de la République y trouverait d’ailleurs un motif suffisant, celui des alliances négatives, pour prononcer la dissolution. On doit donc considérer que l’initiative de LFI NUPES s’inscrit dans une démarche d’opposition frontale qui ne vise pas tant à renverser le Gouvernement qu’à tenir le cap de la radicalité politique, par contraste avec des formations plus enclines à la modération ou aux accommodements.

Existe-t-il d’autres procédures permettant un dialogue entre le Gouvernement et le Parlement ?

Dans la situation actuelle, celle d’un gouvernement minoritaire, il est vital pour ce dernier de maintenir un dialogue permanent avec le Parlement. Cela passe évidemment, dans le cadre du vote des lois, par des pondérations subtiles, des renoncements à des questions accessoires sans perdre de vue l’essentiel. La « diplomatie » parlementaire, inutile lorsque les majorités sont solidement ancrées dans un projet gouvernemental, devient une nécessité.

A cet égard, l’article 50-1 de la Constitution, issue de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, offre une alternative bienvenue au jeu mécanique de la question de confiance ou de la motion de censure qui sont les deux formes de la responsabilité politique du Gouvernement. Depuis 2008, le Gouvernement peut, sur un sujet déterminé, faire une déclaration qui donne lieu à un débat, lequel peut à sa discrétion faire l’objet d’un vote, sans engager sa responsabilité. Débarrassé du pathos souvent inutile de l’engagement de sa responsabilité politique, le Gouvernement a ainsi les moyens de provoquer la discussion et d’offrir aux parlementaires l’occasion de discussions de fond qui permettront à une assemblée plurielle d’exprimer les nuances qui la composent. De ce point de vue, la situation actuelle, issue des dernières élections législatives, offre d’intéressantes perspectives.