Le 16 septembre 2019, le Parlement européen a approuvé par 394 voix pour, 206 voix contre et 49 absentions, le rapport de la commission des affaires économiques et monétaire recommandant Christine Lagarde pour le poste de Présidente de la Banque centrale européenne (BCE). Le 4 septembre, Madame Lagarde avait été auditionnée par cette commission parlementaire, audition cruciale pour la future politique monétaire de la zone Euro.

Décryptage par Francesco Martucci, Professeur de droit à l’Université Panthéon-Assas.

« En ce qui concerne la politique monétaire, l’objectif principal de la BCE demeure la stabilité des prix »

Pourquoi l’audition de Madame Lagarde par les députés européens est-elle si importante ?

À lire la lettre de l’article 283 du traité FUE, le président de la BCE est nommé par le Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée, sur recommandation du Conseil et après consultation du Parlement européen et du conseil des gouverneurs de la BCE. En pratique, la nomination est éminemment politique d’autant plus qu’elle s’est faite, en ce qui concerne Christine Lagarde, au même moment que le choix de Ursula Von der Leyden, dans le cadre d’une négociation globale portant sur les postes clefs de l’Union (haut représentant pour la PESC et président du Conseil européen).

Toutefois, à la différence de la Présidente de la Commission, Madame Lagarde n’est pas investie politiquement par le Parlement européen. Celui-ci n’est que consulté de sorte que son avis ne lie pas en droit. Il ne faut cependant pas sous-estimer l’audition par la commission parlementaire et le vote du Parlement européen qui, politiquement, sont décisifs. Le traité fonde l’indépendance de la BCE qui n’est contrôlée ni par les institutions de l’Union, dont le Parlement, ni par les États membres. Des processus d’accountability ont néanmoins vu le jour depuis les débuts de la monnaie unique visant à permettre une reddition des comptes par la BCE qui s’est engagée à cet effet dans un « dialogue monétaire » avec le Parlement européen. Ce dernier ne contrôle certes pas la politique monétaire, mais c’est devant sa commission économique et monétaire que les membres de la BCE viennent expliquer une fois par trimestre les mesures adoptées. C’est de cette manière que la BCE est démocratiquement légitimée. Cela s’avère d’autant plus important qu’avec les crises financière et de dettes souveraines, la BCE a joué un rôle politique majeur. Certains ont fustigé la nomination de Madame Lagarde au motif que cette dernière ne serait pas issue du milieu des banquiers centraux et, en tant que juriste, n’aurait pas les compétences économiques requises. Je pense que le choix de Christine Lagarde révèle que la BCE est arrivée à maturité politique.

La nomination de Christine Lagarde marque-t-elle une rupture dans la politique monétaire ?

Il ressort de l’audition de Madame Lagarde que celle-ci entend s’inscrire dans la continuité de son prédécesseur. En ce qui concerne les objectifs de la politique monétaire, la Présidente comme tous les membres de la BCE, sont tenus par le mandat fixé par le traité. L’objectif principal demeure ainsi la stabilité des prix, définie comme un taux d’inflation entre 0 et 2 %, plus proche de 2 %, la difficulté de la présidence Draghi ayant été d’éviter une inflation trop forte, pouvant dériver vers une déflation.
Depuis les crises, les instruments sont de deux types. D’une part, les mesures conventionnelles consistent à fixer des taux d’intérêt. Christine Lagarde confirme la lecture du forward guidance consistant à fournir des indications sur l’évolution des taux d’intérêt à moyen terme. La question en revanche se pose des taux négatifs. D’autre part, les mesures non conventionnelles ont été introduites pour répondre aux crises. La seconde partie de la présidence Draghi a été marquée par l’assouplissement quantitatif (quantitative easing) consistant en des programmes d’achat du secteur privé et du secteur public par les banques centrales. Madame Lagarde n’entend pas renoncer à cette double palette et évoquer un « mix of instruments » qui sera mis en œuvre en fonction de la situation. Quant au « whatever it takes » par lequel Mario Draghi avait apaisé la spéculation sur les titres souverains des États membres en affirmant que la monnaie unique est irréversible et que la BCE fera tout ce qui est nécessaire pour sauver l’euro, la nouvelle présidente affirme qu’il ne sera pas nécessaire dès lors que les institutions de l’Union et les États membres assument leurs responsabilités. Au cours de l’audition, elle a ainsi invité les gouvernements à relancer leurs économies pour éviter une récession. On peut y voir le signe d’un dosage macroéconomique (policy mix), mais aussi la volonté de ne pas exploiter l’objectif secondaire de la politique monétaire défini par l’article 127, paragraphe 1, TFUE comme soutien aux politiques économiques dans l’Union.

 

Quels changements sont à prévoir sous la présidence de Madame Lagarde ?

Christine Lagarde rappelle que la politique monétaire est décidée par un conseil des gouverneurs composé des 6 membres du directoire et des 19 gouverneurs des banques centrales nationales de la zone euro, le cas échéant, en procédant à un vote. Elle a néanmoins saisi l’occasion pour ouvrir quelques pistes intéressantes d’évolution. Alors que le 2 septembre M. Mersch avait tenu un discours critique à l’encontre de la « monnaie » Libra, la qualifiant même de cartel, Madame Lagarde estime que l’introduction d’une monnaie digitale par les banques centrales doit être débattue. L’innovation la plus significative vient toutefois de l’annonce d’un potentiel verdissement de la politique monétaire. Madame Lagarde estime ainsi que la lutte contre le changement climatique fait partie du mandat de la BCE et que les « choses devront changer ». Concrètement, cela signifie que la BCE devra progressivement éliminer les titres financiers des entreprises polluantes qu’elle détient dans son bilan. Plus qu’un effet de mode, l’intégration du climat dans le mandat de la BCE signifie que l’article 127, paragraphe 1, TFUE est interprété de façon large. Il n’est pas certain que cette interprétation soit partagée par les autres banques centrales de l’Eurosystème. Les Allemands avaient déjà contesté le fait que l’achat de titres souverains ne relevait pas du mandat de la BCE, la Cour de justice concluant néanmoins dans les arrêts Gauweiler de 2015 et Weiss de 2018 à la validité des programmes d’achat de ces titres.

Le verdissement de la politique monétaire est cependant une demande de la société civile à laquelle Madame Lagarde lance un message clair. Elle s’est au demeurant engagée à écouter les syndicats, les ONG, les consommateurs et les partenaires de la société civile afin de renforcer l’élaboration de politiques de la BCE. La volonté est donc exprimée de concilier davantage encore l’indépendance de la BCE et son accountability. À cet effet, plus que jamais, le dialogue avec le Parlement européen doit être renforcé.

Pour aller plus loin :

Par Francesco Martucci.