Par Jean-Jacques Urvoas, ancien garde des Sceaux, maître de conférences en droit public à l’Université de Bretagne Occidentale et à l’Université Paris-Dauphine

Vendredi 5 février 2021, les élus nantais ont adopté un vœu demandant à l’État d’organiser un référendum relatif au rattachement du département de la Loire-Atlantique à la région Bretagne. Le 8 février, ce fut au tour du conseil municipal de Rennes d’adopter un vœu identique, replaçant la question de la réunification de la Bretagne au cœur de l’actualité.

Quel est l’intérêt de tels vœux ?

Par essence, un vœu est l’expression d’un souhait. Le dernier alinéa de l’article L. 2121-29 du CGCT ouvre cette possibilité aux conseils municipaux sur « tous les objets d’intérêt local » mais il est constant depuis une décision du Conseil d’État de 1936 que les thèmes dépassent ce seul critère. Dans tous les cas, l’adoption d’un vœu ne produit aucun effet juridique.

Tel n’est d’ailleurs pas l’ambition de l’association « À la bretonne » née cet été à Nantes. Sa perspective est clairement politique. Elle cherche à créer les conditions pour engager le processus conduisant au retour de la Loire-Atlantique dans la région Bretagne. Et à cette fin, elle multiplie les initiatives pour réinscrire cette revendication dans l’agenda politique et médiatique à la veille des élections régionales.

La nouveauté vient essentiellement du fait que le conseil municipal de Nantes en ait adopté un. L’engagement d’y procéder figurait dans le programme de Johanna Roland, réélue en juin dernier. Ce fut même l’une des concessions acceptée par la maire de Nantes permettant ainsi la fusion avec la liste écologiste pour le second tour.

Mais la liste de tels vœux est bien plus dense. Au fil des décennies, plus de 600 communes sur les 1 436 que comptent la Loire-Atlantique et les quatre départements bretons ont délibéré en ce sens, certaines n’hésitant pas à renouveler régulièrement leur expression. Ainsi, dans le seul Morbihan, cela concerne 63 % des collectivités locales. Les conseils départementaux ne sont pas en reste, y compris celui de Loire-Atlantique qui adopta en 2001 une résolution réclamant la réunification. Enfin, au sein du Conseil régional de Bretagne, l’attachement aux frontières historiques demeure l’un des sujets les plus consensuels comme le démontre l’approbation unanime des vœux en 2001, 2008 et 2014.

Il faut encore citer, comme preuve de la vitalité de ce combat, la collecte en 2018 en Loire-Atlantique par une autre association, « Bretagne réunie », de 104 000 signatures, soit 10 % du corps électoral, demandant au conseil départemental de se prononcer sur le droit d’option ouvert par la loi NOTRe. Promulgué en 2015, cette loi avait modifié un dispositif existant dans l’article L. 4122-1-1 du CGCT prévoyant la possibilité pour un département de quitter une région au profit d’une autre qui lui est limitrophe. Même si les conditions étaient très restrictives, les partisans du rattachement de la Loire-Atlantique à la Bretagne y avaient vu une opportunité à saisir avant le 1er mars 2019, date d’extinction de l’option. Et le 17 décembre 2018, le conseil départemental concerné, s’il refusa d’envisager son départ de la région Pays de la Loire, se prononça à la quasi-unanimité (55 pour / 3 contre / 3 abstentions) en faveur de la tenue d’un référendum sur cette question.

Il faudrait encore évoquer les enquêtes d’opinion faute de pouvoir compter les voix dans les urnes. La dernière enquête réalisée date du 28 août 2019. Elle fut commandée par le cercle de réflexion « Breizh Civic Lab » et réalisée par l’institut rennais TMO. Elle indique que 53 % des habitants de la Loire-Atlantique sont favorables à la réunification de la Bretagne et que 68 % des Bretons souhaiteraient – si un rattachement était envisagé – l’organisation d’un référendum (63 % en Loire-Atlantique). Ces résultats corroborent ceux des cinq enquêtes conduites entre 2000 et 2009 puisqu’en moyenne 58 % des sondés s’étaient alors prononcés en faveur du retour de la Loire-Atlantique au sein de la région Bretagne.

Pourquoi ce vœu s’adresse-t-il au chef de l’État ?

Parce qu’une loi est nécessaire pour qu’un tel référendum soit organisé. En l’état actuel du droit, comme l’indique l’article 72-1 de la Constitution, sans mesure législative nouvelle, une consultation sur ce sujet et sur une seule partie du territoire est tout simplement impossible.

C’est ainsi par exemple que la consultation qui s’est tenue en Corse le 6 juillet 2003 fut préparée par un projet de loi « organisant une consultation des électeurs de Corse sur la modification de l’organisation institutionnelle de la Corse » délibéré en conseil des ministres le 30 avril 2003 et promulgué le 11 juin 2003.

Certes, depuis la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, une collectivité peut aussi organiser une votation (articles LO 1112-1 et suivants du CGCT) mais portant uniquement sur un projet de texte relevant de sa compétence. Ce qui n’est pas le cas évoqué ici.

Les auteurs du vœu se tournent donc vers le Président de la République qui, lors d’un discours prononcé le 21 juin 2018 à Quimper, avait proclamé sa volonté de « rompre avec une conception jacobine de l’exercice des responsabilités publiques » et son souhait de « faire de la Bretagne un laboratoire de cette décentralisation de projets ». Sans doute estiment-ils plus efficace de le saisir d’une telle demande de référendum que de miser sur une initiative parlementaire.

Il est vrai que l’Assemblée nationale ressemble de plus en plus à ces chambres consultatives des constitutions napoléoniennes. Uniquement concentrée sur sa fonction d’incarnation du « cœur battant de la démocratie », elle délaisse ses prérogatives les plus essentielles et se résout, navrée ou impuissante, à n’être qu’un greffier du pouvoir gouvernemental.

Promouvoir une proposition de loi ou inspirer un amendement sont donc des efforts probablement vains. Mieux vaut tenter de convaincre, dans un esprit de sagesse et de responsabilité, le Président.

Existe-t-il d’autres obstacles à l’organisation d’un tel référendum ?

La formule est indifféremment prêtée à Lénine, Churchill ou Einstein mais elle convient certainement aux promoteurs de la réunification de la Bretagne : « là où il y a une volonté, il y a un chemin ». Celui-ci s’annonce cependant assez escarpé.

Ce qui est réclamé est un « référendum », pas seulement une « consultation », c’est-à-dire que le vote vaudra décision. De ce point de vue, le souvenir de l’exercice conduit sur le projet de construction d’un aéroport à Notre-Dame-des-Landes reste douloureux. Le 26 juin 2016, les 966 016 inscrits du département de Loire-Atlantique étaient conviés aux urnes. 493 481 se déplacèrent soit 51,08 % de participation. Le « oui » l’emporta avec 55,17 % et le 17 janvier 2018, le Premier ministre annonça l’abandon définitif du projet…

Il faudra ensuite définir le périmètre géographique concerné. Le corps électoral sera-t-il celui de la Loire-Atlantique ? De la région des Pays de la Loire ? Des deux régions ? De ce choix peut dépendre l’issue du scrutin.

Il conviendra encore de rédiger la question, ce qui dans l’exercice référendaire se révèle particulièrement sensible, comme l’exemple calédonien le démontre amplement. Enfin, il restera à décider de la répartition des coûts que génèrera l’organisation de ce référendum. En 2018, celui organisé en Nouvelle-Calédonie avait coûté 5 millions d’euros assumés par le budget de l’État.