La circulaire édictée par Christophe Castaner en décembre 2019 avait vocation à cesser d’attribuer des nuances politiques aux listes des communes de moins de 9000 habitants. Saisi en référé, le Conseil d’État a suspendu le 31 janvier, trois dispositions de la circulaire. Le 4 février, Christophe Castaner a décidé de revoir sa copie avec une nouvelle circulaire. Le nouveau document contraint désormais les préfets à nuancer d’office les candidats des villes avec plus de 3 500 habitants.
A quelques jours des municipales, c’est l’occasion de revenir sur cette polémique.

Décryptage par Jean-Pierre Camby, Professeur de droit associé à l’université de Versailles Saint-Quentin.

« Le Conseil d’Etat s’est fondé sur le respect du pluralisme des courants d’opinion et sur l’égalité entre les partis »

La circulaire prévoyait de ne plus renseigner le nuançage politique des candidats et des listes aux prochaines élections municipales pour les communes de moins de 9000 habitants. Pourquoi cela suscite-il une polémique ?

Le nuançage est l’attribution par les préfets d’une couleur politique aux candidats et aux élus. Le décret du 9 décembre 2014, qui l’organise, prévoit qu’il est destiné à l’information des pouvoirs publics et des citoyens.

Il dispose également qu’il n’y a pas lieu de procéder à de telles attributions dans les communes de moins de 1000 habitants, où sont notamment admises les candidatures individuelles et où le mode de scrutin est majoritaire.

La circulaire prévoyait de relever ce seuil à 9000 habitants, ce qui aurait abouti à priver 40% du corps électoral – soit plus de 18 millions d’électeurs – de cette information qui lui est pourtant destinée et aurait compromis la lisibilité des fusions de listes entre les deux tours. Pour fusionner, il importe de savoir avec qui on fusionne. Ceci aboutissait, au final à une présentation tronquée de résultats, privait les maires des communes concernées de l’attribution des nuances et les citoyens d’une connaissance de la réalité des résultats, notamment nationaux.

Certes, le nuançage est parfois difficile dans de petites villes où souvent les maires ne souhaitent pas se voir accoler une étiquette, mais il existe un droit individuel de rectification. 80 % des listes des communes comprises entre 1000 et 9000 habitants ne sont pas affiliées à un parti reconnu par le nuançage.  Le Conseil d’Etat relève que ceci n’a pas empêché, en 2014, le nuançage « divers droite » ou « divers gauche » de trois quarts de ces listes. Le nuançage doit donc aboutir à une photographie fidèle des résultats électoraux et non à un « selfie ».

En outre, la circulaire prévoyait de comptabiliser au titre de la majorité présidentielle les résultats de la nuance « divers centre » dès lors que l’un des partis de cette majorité apportait son « soutien » à une liste. Cette exception, prévue pour les listes simplement « soutenues » par ces partis, vivement critiquée, a également appelé l’attention du juge des référés. Compte tenu de l’avantage conféré à ces partis « soutiens », dont la République en marche, le juge a regardé comme propre à créer un « doute sérieux » quant à leur légalité, le moyen tiré de ce que ces dispositions sont contraires au principe d’égalité.

Une telle circulaire pouvait-elle faire l’objet d’un référé ?

Il y a bien urgence : le nuançage est attribué au moment du dépôt des listes, qui, pour l’un des requérants, débute le 6 février, pour d’autres le 10, etc. L’absence de publication de la circulaire n’a pas gêné le Conseil d’Etat : cette publication était imminente. La proximité des élections rend difficile la publication d’un nouveau texte dans ces délais.

Un intérêt pour agir a été reconnu à un parti pour contester le classement de sa nuance dans le bloc « extrême droite », alors que ses élus au Parlement européen ne siègent pas dans le même groupe que le rassemblement national. Le Conseil d’Etat y a vu une erreur d’appréciation.

Des droits et libertés invocables au soutien d’un référé sont affectés par la circulaire. Sont en cause le pluralisme des courants d’opinion, l’égalité entre les partis politiques, entre les électeurs, voire la sincérité du scrutin, qui n’a pas été relevée par le Conseil alors que les fusions de listes, ou les comportements électoraux au second tour, peuvent être influencés par l’absence de connaissance et d’analyse des résultats. Tous les référés ont donc été jugés recevables, qu’il s’agisse du référé liberté ou des référés suspension.

 

Que penser de la position du Conseil d’Etat ?

Le Conseil d’Etat s’est fondé sur le respect du pluralisme des courants d’opinion et sur l’égalité entre les partis, dont les « soutiens » ne peuvent être appréciés de façon sélective ; la nécessité pour l’électeur de disposer d’une information heuristique et complète en découle.

La décision du 31 janvier laissait  la porte ouverte à l’édiction d’un nouveau seuil, au-delà de 1000 habitants mais inférieur à 9000 habitants, qui serait respectueux de ces principes. Mais ce seuil présente l’avantage de reposer sur un critère objectif : celui des modes de scrutin aux élections municipales. Il incitait donc à revenir au seuil de 3500 habitants qui, avant 2013, était celui du passage au scrutin de liste.

Ce chiffre est aujourd’hui un critère de découpage des cantons : sauf exception justifiée, une commune de moins de 3500 habitants doit être intégralement incluse dans le même canton. En outre, ce seuil n’exclut pas de la carte électorale une trop grande partie du corps électoral, comme le fait le seuil de 9000 habitants.

Le ministre de l’Intérieur, dans le bref délai séparant l’ordonnance du juge des référés du 31 janvier de l’ouverture de l’enregistrement des candidatures a donc publié une nouvelle circulaire le 4 février sans explicitement abroger la précédente. En vertu du nouveau texte, le seuil en deçà duquel le nuançage ne s’applique pas est fixé à 3500 habitants, ce qui replace une partie significative des communes et de la population dans la carte électorale renseignée. Le soutien d’un parti politique ne détermine désormais la nuance d’une liste que si celle-ci n’a pas été investie et ce critère ne privilégie plus seulement les formations de la majorité présidentielle. Tous les partis seront donc logés à la même enseigne.  Enfin, Debout la France n’est plus classée dans le « bloc de clivage » extrême droite.

 

Pour aller plus loin :

Par Jean-Pierre Camby.