Par Guillaume Rousset, Maître de conférences en droit privé, HDR, Université Jean Moulin Lyon 3 (IFROSS)

La crise sanitaire du Covid-19 a produit des effets sur une très grande diversité de dimensions sociales. L’une d’entre elles, particulièrement symbolique, est la gestion de la mort et du deuil. En effet, l’état d’urgence sanitaire a permis un nombre important de dérogations au droit funéraire lorsque les personnes décédées sont atteintes ou « probablement atteintes » du Covid-19, voire pour toute personne : agonie hors de la présence des proches en EHPAD, interdiction des soins de conservation et des toilettes mortuaires, mise en bière immédiate, délai d’inhumation rallongés, limitation forte des cérémonies funéraires etc.

Tous ces éléments ont un impact majeur sur les pratiques funéraires et la manière de vivre le deuil, produisant des répercutions humaines, sociales et psychologiques particulièrement fortes pour les proches et les familles des personnes défuntes. Analysés par certains comme une « rupture anthropologique » [1] , ces changements tendent à accentuer la forme de déni de la mort que nos sociétés connaissent déjà. Reprenons ces modifications diverses sur la base des différentes étapes de gestion de la mort.

La constatation de la mort

Le premier élément porte sur le constat de la mort à travers les personnes autorisées à rédiger un certificat de décès. Face au nombre insuffisant de professionnels, un décret du 18 avril 2020 précise les modalités d’établissement de certificat de décès par les médecins retraités sans activité, par les étudiants en cours de troisième cycle des études de médecine en France ou par un praticien à diplôme étranger hors Union européenne. Sous les effets de la crise sanitaire, de fortes dérogations sont donc autorisées puisque des personnes qui n’ont plus du tout d’activité ou qui ne l’ont pas encore pleinement voient leurs compétences accrues.

Les soins du corps

Une dérogation plus fondamentale porte sur les soins du corps au sein desquels il faut distinguer la toilette mortuaire des soins de conservation. Pour la toilette mortuaire, c’est-à-dire celle qui consiste à laver le corps du défunt, elle est totalement interdite par un premier décret avant qu’un second texte ne permette une exception si elle est réalisée par un professionnel de santé ou un thanatopracteur en respectant les consignes sanitaires. Comment interpréter cette évolution ? Soit l’intensité de la crise sanitaire était moins forte et les autorités ont estimé qu’elles pouvaient desserrer les contraintes, soit l’interdiction totale de toilette mortuaire a été très mal acceptée pour les professionnels et/ou les familles puisque laver le corps d’un défunt existe depuis la nuit des temps et constitue l’un des gestes les plus universels qui soit. Quant aux soins de conservation, c’est-à-dire ceux qui ont pour but d’empêcher la dégradation du corps sont totalement interdits sur le corps des défunts atteints ou probablement atteints du covid-19 au moment de leur décès, quelle que soit la personne qui les ferait et les conditions de réalisation.

La mise en cercueil

Il faut également traiter de la mise en bière, c’est-à-dire la mise en cercueil. Elle doit être immédiate pour les défunts atteints ou probablement atteints du covid-19 au moment de leur décès. Ce caractère immédiat se justifie d’autant plus que les soins de conservation sont interdits. Concrètement, si la mise en cercueil a lieu tout de suite et que le cercueil est fermé au plus vite, cela signifie que la famille ne peut pas voir le corps du défunt, d’autant qu’il n’y a pas de présentation du corps en chambre funéraire. En réalité, la seule possibilité pour la famille de voir le défunt existe lorsque le corps est déposé dans une housse mortuaire avec une recommandation des autorités sanitaires d’une ouverture de 5 à 10 cm sur la partie haute pour que le visage soit vu. Imaginons un instant la violence psychologique que cela signifie : voir le corps d’un membre de sa famille dans une housse, fermée à l’exception du visage et en devant respecter les gestes barrières (distance et aucun contact) !

D’autres dérogations portent sur le transport du corps. Ainsi, avant la mise en bière, aucun transport sur demande de la famille n’est possible. Après la mise en bière, cela nécessite une déclaration préalable adressée au maire du lieu de fermeture (ou de dépôt temporaire) avec, en cas de crémation, copie au maire du lieu de crémation mais il y a la possibilité de s’abstenir de déclarer préalablement le transport à condition de transmettre la déclaration dans le mois qui suit l’opération. En tout cas, les exigences en matière de type de cercueil exigé n’ont pas été modifiées. Il s’agit d’un cercueil simple, et non pas hermétique (empêchant toute fuite de liquide au milieu extérieur, et qui contient une matière absorbante), même si la fermeture doit se faire dès que possible. L’établissement de l’autorisation de fermeture de cercueil par le maire du lieu de fermeture du cercueil reste obligatoire, mais elle peut être transmise par voie dématérialisée avec certaines dérogations possible (si le maire n’a pas pu faire parvenir l’autorisation avant un délai de 12 heures avant l’inhumation ou la crémation, l’opérateur funéraire peut procéder à la fermeture du cercueil à condition d’avertir le maire du lieu de fermeture du cercueil dans un délai maximum de 48 heures après l’inhumation ou la crémation).

L’inhumation

Au sujet des délais d’inhumation, alors que la règle prévoit que l’inhumation, le dépôt en caveau provisoire ou la crémation doivent avoir lieu, si le décès s’est produit en France, vingt-quatre heures au moins et six jours au plus après le décès, un délai dérogatoire est fixé, lequel ne peut alors dépasser 21 jours ou, le cas échéant, un délai supérieur fixé par le préfet pour tout ou partie du département. Dans tous les cas, l’opérateur funéraire doit adresser au préfet une déclaration précisant le délai dérogatoire mis en œuvre au plus tard 15 jours après l’inhumation ou la crémation. Réalisons ce que cela peut signifier si ce délai maximum est atteint puisque, dans ces conditions, une famille qui n’a pas vu le corps du défunt ou seulement le visage dans une housse, sans aucun contact, n’ayant pas pu récupérer les effets personnels tout de suite (du fait de la quarantaine), doit, en plus, attendre trois semaines avant que la cérémonie n’ait lieu, laquelle sera le seul moment de lien.

[1] Selon les mots du philosophe Damien Leguay.

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