Par Mireille Couston – Professeur à l’Université Lyon III – Vice-Présidente de la Société Française de Droit Aérien et Spatial
À l’heure où l’on vient d’apprendre que le français Thomas Pesquet sera le premier spationaute de la mission Artemis à poser le pied sur la Lune et alors que la NASA a dévoilé, lundi 3 avril, les noms des quatre astronautes qui iront faire le tour de la lune en 2024, étape cruciale avant le retour de l’Homme sur la lune prévu en 2025, une présentation du cadre juridique de cette extraordinaire aventure humaine s’impose.

Quel est l’objectif de la mission spatiale Artemis 2 et dans quel cadre s’inscrit-elle ?

Les accords Artemis manifestent l’adhésion à un vaste projet d’implantation sur la Lune et sur Mars. Initié par le gouvernement de Donald Trump, Artemis est un programme visant à renvoyer l’homme sur la Lune pour 2025 (approximativement) et plus tard sur Mars. En substance, le projet comporte : une station orbitale autour de la Lune (Gateway) et une base implantée au pôle Sud de la Lune. Ce projet a été proposé à la coopération à d’autres Etats, qui confirment leur intérêt à être partie prenante au projet par la signature d’accord de participation (« accords Artemis »). La mise en œuvre complète du projet d’implantation sur la Lune d’abord puis sur Mars ensuite, devra faire l’objet d’accords et d’ententes ultérieures plus précises, techniques, tenant compte de la complexité du projet et du nombre croissant de participants. On peut penser que la portée juridique de ces accords sera assez semblable à celle des Accords sur la station spatiale internationale (1988, accords concertés mais non conventionnels).

Le programme Artemis regroupe aujourd’hui 21 Etats[1] qui sont en phase avec les principes directeurs proposés par les USA. Certains de ces principes sont très classiques tels que ceux indiquant que les activités à venir dans le cadre d’Artemis doivent être pacifiques, civiles, menées dans la transparence et l’interopérabilité, et les résultats scientifiques seront largement diffusés. Trois principes en revanche sont novateurs : la protection des sites archéologiques sur la Lune ; la possibilité d’établir des zones de sécurité (pour éviter les interférences et gênes, on parle de « déconfliction ») ; la possibilité d’extraire et exploiter les ressources spatiales. Ces nouveaux principes enrichissent le droit spatial, en tant que tels et par les interprétations et polémiques variées qui en sont issues.

Le projet Artemis et les accords de coopération viennent utilement se substituer au traité sur la Lune (1979) qui échoua à rassembler non seulement les puissances spatiales mais également les autres Etats dans le monde (à ce jour il n’est ratifié que par 17 Etats). Si les accords Artemis (droit souple) remplacent et pallient l’échec du droit dur, c’est sans le contredire puisqu’ils mentionnent à plusieurs reprises la nécessité de respecter les traités spatiaux et de respecter le droit international. À cet égard, il sera intéressant d’observer comment le Mexique et l’Australie, tous deux parties à la fois au traité de 1979 et aux accords Artemis (ils sont les seuls dans ce cas), vont gérer ce double engagement. L’Arabie Saoudite qui était dans la même situation a opté pour la solution consistant à se retirer du traité de 1979.

À terme, le programme international Artemis entend permettre le retour des humains sur la lune et établir une présence durable par la « construction d’une base sur la surface de la lune et d’une station spatiale en orbite autour d’elle. » Quel est le statut juridique de la lune ?

La Lune, Mars et tous les autres corps célestes entrent dans le champ d’application des traités spatiaux. Le droit international spatial applicable à la mission Artemis prend source dans un « « traité-cadre » : le Traité de l’espace de 1967, qui pose de grands principes fonctionnels relatifs aux activités des Etats dans l’espace et sur les corps célestes (très largement ratifié par les Etats, dont toutes les puissances spatiales). Ces principes ont été précisés par la suite dans 3 autres textes dits « d’application » : l’Accord sur la restitution des astronautes et des objets spatiaux de 1968, la Convention sur la responsabilité internationale des Etats pour les activités spatiales de 1972 et la Convention sur l’immatriculation des objets spatiaux de 1975. Le principe fondamental de cet ensemble normatif est le principe de liberté d’utilisation, d’exploration et de recherche scientifique (article I du Traité de 1967). C’est une liberté entendue au sens très général, englobant toutes sortes d’activités, y compris potentiellement l’activité d’exploitation des ressources spatiales et attachée aussi bien à l’espace qu’aux orbites, ainsi qu’à l’ensemble des « corps célestes ». La Lune, Mars et toutes les autres planètes du système solaire entrent donc dans le champ des traités spatiaux, avec également les astéroïdes, les comètes, etc.

La conquête actuelle de la Lune et de Mars obéit au régime général instauré par le droit de l’espace. Les activités d’exploration et d’installation sur la Lune, puis Mars, envisagé dans le programme Artemis, sont appelées à être organisées sur la base : du couple fondateur de la liberté et de la responsabilité internationale des Etats, qui engendre la nécessité d’une autorisation et d’un contrôle continu sur les activités privées par les Etats ;  des trois mesures stratégiques ayant pour but d’éviter les confrontations hégémoniques : non appropriation nationale de l’espace et des corps célestes ; dénucléarisation des orbites ; utilisation pacifique de la Lune et des corps célestes ;  sur des règles procédurales et techniques : restitution des objets et des équipages en cas de retombée ;  immatriculation des objets lancés ; coopération et assistance mutuelle.

Quels sont les enjeux des accords Artemis ?

Les accords Artemis révèlent des enjeux de pouvoir : la France après avoir fait la fine bouche (parce que le projet fut présenté sous la présidence Trump) a finalement rallié les accords Artemis le 7 juin 2022, obtenant la première place pour Thomas Pesquet. Restent en dehors de ce programme (pour l’heure) de grands pays tels que l’Inde et l’Allemagne. Quant à la Chine, elle a un très ambitieux programme lunaire et a signé avec la Russie un accord de coopération pour un programme d’implantation sur la Lune : ILRS (station internationale de recherche lunaire), concurrent d’Artemis, auquel le Venezuela vient d’être très récemment invité. L’on se dirige vers une bipolarisation politique de la conquête des corps célestes (équipe Artemis, équipe ILRS).

[1] Australie, Bahreïn, Brésil, Canada, Colombie, France, Israël, Italie, Japon, Luxembourg, Mexique, New Zealand, Pologne, Corée du sud, Roumanie, Arabie Saoudite, Singapour, Ukraine, Emirat Arabes Unis, UK, USA.