Par Eudoxie Gallardo – Maître de conférences HDR – Laboratoire de droit privé et de sciences criminelles – Aix-Marseille Université
L’arsenal judiciaire tendant à mieux protéger les victimes de violences domestiques ne cesse de s’étoffer. Après les lois du 28 décembre 2019 et du 30 juillet 2020, plusieurs propositions de lois envisagent d’aller encore plus loin dans la protection des victimes, dont la proposition de loi n°79 qui vise à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales, et qui a été adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 9 février 2023.

Quels sont les objectifs de cette proposition de loi ?

Les auteurs de la proposition de loi constatent l’insuffisance des dispositions actuelles relatives au retrait de l’autorité parentale ou de son exercice par le juge pénal, à deux égards : lorsque le mineur est témoin de violences intrafamiliales et lorsque les faits sont de nature incestueuse, en particulier lorsqu’une procédure pénale est en cours.

Le juge pénal est autorisé, par le Code civil, à interférer dans la sphère familiale en se prononçant, selon les cas, soit sur le retrait de l’autorité parentale, le parent ne disposant plus des attributs composants celle-ci (protection, éducation, choix du domicile etc..), soit sur le retrait de son exercice, lequel porte essentiellement sur le droit d’entretenir des relations personnelles avec son enfant, en lien direct avec le droit de visite et d’hébergement.

Ainsi, l’article 378 du Code civil autorise le juge pénal à prononcer le retrait de l’autorité parentale ou son exercice lorsqu’une condamnation pénale définitive a été prononcée à l’encontre du parent ayant agi en qualité d’auteur, de coauteur ou de complice d’un crime ou d’un délit commis sur la personne de son enfant ou de l’autre parent (article 378 du Code civil). Également, afin d’assurer une protection, en amont, du mineur en cas de crime commis sur l’autre parent, l’article 378-2 prévoit une suspension provisoire de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement du parent poursuivi ou condamné, même non définitivement, pendant une durée de 6 mois maximum, à charge pour le Procureur de la République de saisir le juge aux affaires familiales dans un délai de huit jours.

La proposition de loi entend durcir et élargir ces possibilités.

Quelles sont les principales nouveautés de cette proposition de loi ?

En premier lieu, l’article 378 du Code civil se voit réécrit et dédoublé en deux alinéas. Désormais, lorsque le parent est condamné pour un crime commis sur la personne de son enfant ou sur l’autre parent, le juge pénal est tenu de lui retirer totalement l’autorité parentale, ou à défaut son exercice. Il en va de même en cas de condamnation pour agression sexuelle incestueuse. Le juge pénal, qui doit se prononcer par décision expresse, ne peut déroger à ce retrait que par décision spécialement motivée.

Cela fait nécessairement écho à l’article 222-31-2 du Code pénal qui prévoit, depuis la loi du 14 mars 2016, qu’en cas de viol incestueux ou d’agression sexuelle incestueuse, la juridiction de jugement doit se prononcer sur le retrait total ou partiel de cette autorité ou sur le retrait de l’exercice de cette autorité. La proposition prévoit son abrogation.

Désormais, il n’est plus laissé de liberté au juge pénal qui, en cas de viol incestueux ou d’agression sexuelle incestueuse sera tenu de prononcer le retrait total de l’autorité parentale ou, à défaut, l’exercice de cette autorité. L’intérêt supérieur de l’enfant – auquel le texte ne se réfère nullement – sera sûrement l’arbitre entre un retrait total de l’autorité parentale et le retrait de son exercice.

Corrélativement, les articles 221-5-5 (pour les atteintes à la vie) et 222-48-2 (pour les atteintes à l’intégrité physique) ont été durcis puisqu’il est désormais prévu que si le juge pénal ne décide pas le retrait total ou partiel de l’autorité parentale, il ordonne le retrait de son exercice ainsi que des droits de visite et d’hébergement, en application des dispositions du code civil, sauf décision spécialement motivée.

La proposition de loi reprend les cas de retrait total de l’autorité parentale ou de son exercice déjà prévus en cas de condamnation pour délit sur la personne de son enfant ou sur la personne de l’autre parent. Ce retrait n’étant qu’une faculté pour le juge.

En second lieu, l’article 378-2 est modifié en ce qu’il permet une suspension provisoire de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement au cours de la procédure pénale. Deux alinéas sont également prévus.

D’une part, il est précisé que l’exercice de l’autorité parentale et les droits de visite et d’hébergement du parent, non seulement poursuivi ou condamné même non définitivement, mais également mis en examen, sont suspendus de plein droit jusqu’à la décision du juge des affaires familiales en cas de commission présumée, non seulement, d’un crime commis sur la personne de l’autre parent, mais également d’un crime commis sur la personne de son enfant ou d’une agression sexuelle incestueuse commise sur la personne de son enfant.

A la différence de la rédaction actuelle de l’article 378, il n’est pas précisé que la disposition s’applique même si le parent est coauteur ou complice, ce qui laisse entendre qu’il soit uniquement auteur des faits reprochés.

En outre, la durée de suspension n’est plus conditionnée à la saisine du juge des affaires familiales par le parquet dans le délai de 8 jours. Cette suspension s’appliquera jusqu’à la décision de non-lieu ou la décision de jugement ou l’arrêt pénal, sauf si le juge aux affaires familiales saisi par le parent poursuivi, en décide autrement.

Enfin, un nouveau cas de suspension est prévu en cas de condamnation, même non définitive, pour des violences volontaires commises sur l’autre parent ayant entraîné une incapacité totale de travail de plus de huit jours, lorsque l’enfant a assisté aux faits.

L’exercice de l’autorité parentale et les droits de visite et d’hébergement sont suspendus de plein droit à compter de la décision pénale et ce, jusqu’à la décision du juge aux affaires familiales. Mais alors que le mécanisme de l’article 378-2 actuel repose sur une saisine du JAF par le parquet, c’est désormais l’autre parent qui doit saisir ce juge dans un délai de 6 mois à compter de la décision pénale, à défaut de quoi, les droits du parent condamné seront rétablis. Ce changement de modalités interroge, en particulier en cas d’emprise d’un parent sur l’autre parent, laquelle ne disparaît pas nécessairement du fait d’une condamnation pénale.

Le mécanisme prévoyant le retrait provisoire de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite ne risque-t-il pas d’être déclaré inconstitutionnel, au regard notamment de la présomption d’innocence ?

Ce mécanisme déjà existant et complété peut interroger quant au principe de la présomption d’innocence, en ce qu’il conduit à un retrait de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement alors même que le parent n’a pas été condamné définitivement. On rappellera utilement que la chambre criminelle considère, au sujet du retrait total de l’autorité parentale réalisé à l’issue d’une décision pénale, qu’il ne s’agit nullement d’une peine complémentaire mais d’une mesure de protection des enfants d’ordre purement civil (Crim. 16 février 2005, n°04-82.395, inédit). Dans le même esprit, la première chambre civile a eu l’occasion de se prononcer sur une QPC contestant la constitutionnalité, au regard du principe de la présomption d’innocence, des mesures prononcées par le juge aux affaires familiales dans une ordonnance de protection en vertu de l’article 515-11 du Code civil (Civ. 1ère, 16 septembre 2021, n°21-40.012). Elle a estimé ne pas avoir à renvoyer cette question, car ces mesures « ne constituent ni une peine, ni une sanction ayant le caractère de punition, de sorte que le principe de la présomption d’innocence ne trouve pas à s’appliquer ». Il serait tentant de déduire les mêmes conclusions pour le retrait provisoire de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite, lequel ne consiste pas en un retrait définitif et dont la durée est encadrée par une décision du JAF, du juge pénal ou limitée dans le temps. Une telle suspension peut être rapprochée de l’information, créée par la loi du 14 avril 2016, par le parquet, des administrations concernant les personnes qu’elles emploient lorsque celles-ci font l’objet d’une interdiction d’entrer en contact avec les mineurs en vertu de leur contrôle judiciaire, ou ont été condamnées, même de façon non définitive, pour des atteintes commises à l’encontre d’enfants (articles 706-47-4). La protection des mineurs n’est-elle pas à ce prix ?

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