Par Margaux Bouaziz, Maîtresse de conférences à l’Université de Bourgogne
Jeudi 17 novembre 2022, les Républicains ont la confirmation qu’ils reprennent la Chambre des Représentants aux Démocrates, même si ces derniers gardent le contrôle du Sénat. La « vague rouge », c’est-à-dire républicaine, annoncée par les médias n’a pas eu lieu.

 Quel était l’objet de ces élections de mi-mandat et comment se sont-elles déroulées ?

Les élections de mi-mandat (midterm) s’appellent ainsi, car elles interviennent à la moitié du mandat du Président, qui dure quatre ans. Afin d’assurer la continuité de l’État et du régime politique, les mandats des membres des trois institutions politiques fédérales (Président, Sénat, Chambre des Représentants) n’ont pas la même durée. Le mandat du président est de quatre ans, celui des membres de la Chambre des Représentants de deux ans et celui des sénateurs de six ans. Toujours pour assurer une continuité institutionnelle, le Sénat se renouvelle par tiers tous les deux ans. Cela signifie que des élections fédérales ont lieu tous les deux ans.

En 2020, les Américains ont voté pour élire le Président, mais aussi les membres de la Chambre des Représentants et un tiers des sénateurs. En ce mois de novembre 2022, les élections ont permis de désigner l’ensemble des membres de la Chambre des Représentants, ainsi qu’un tiers des sénateurs, alors que les Démocrates disposaient de la majorité au sein de ces deux chambres.

S’agissant des membres de la Chambre des Représentants, le nombre de représentants dont dispose chaque État est proportionné à la population de cet État. L’ensemble du territoire est ainsi divisé en circonscriptions, dont le découpage est laissé à la discrétion des États. Ce dernier a lieu tous les dix ans après un recensement de la population. Il doit correspondre à une base démographique, mais les États disposent d’une large marge de manœuvre, ce qui peut conduire à des découpages partisans (gerrymandering). Le recensement de 2020 a ainsi donné lieu à un nouveau calcul de la répartition des sièges et à un nouveau découpage des circonscriptions pour les élections de 2022.

S’agissant du Sénat, chaque État est représenté par deux sénateurs, quelle que soit sa population, ce qui favorise les États peu peuplés.

Les membres du Congrès (membres de la Chambre des Représentants et sénateurs) sont élus au suffrage universel direct. Tous les citoyens américains de plus de dix-huit ans disposent du droit de vote. Le mode de scrutin pour les sénateurs ou les membres de la Chambre des Représentants est uninominal majoritaire, généralement à un tour. Cela oblige les électeurs à choisir dès le premier tour, renforce le bipartisme et empêche l’émergence d’autres partis.

Quel est l’enjeu de ces élections de mi-mandat et quelles vont être les conséquences pour les institutions politiques en place ?

Les élections de mi-mandat sont généralement défavorables au Président au pouvoir et mobilisent également moins les électeurs que les élections présidentielles. Une « vague rouge » (c’est-à-dire républicaine) avait ainsi été annoncée pour ces élections, mais elle n’a pourtant pas eu lieu. Si les Démocrates perdent le contrôle de la Chambre des Représentants, ils conservent leur majorité au sein du Sénat qui joue un rôle clé dans le fonctionnement du régime politique américain.

La perte de la majorité à la Chambre des Représentants signifie que pour voter les lois ou le budget les Démocrates devront parvenir à des compromis avec les Républicains. En l’absence de compris, le système risque la paralysie. Le président Biden aura plus de difficultés à mettre en œuvre sa politique et, si le budget n’est pas voté dans les temps, cela peut arrêter le fonctionnement du gouvernement fédéral (« shutdown ») qui cesserait alors de payer ses fonctionnaires et se replierait sur les fonctions essentielles de l’État. Tel avait par exemple était le cas en 2018-2019 lorsque Donald Trump refusait de céder sur son projet de mur à la frontière mexicaine et que le Congrès refusait de voter un tel budget.

Le bon fonctionnement du régime américain repose sur cette logique de compromis et de politique bipartisane. Néanmoins, les dernières années ont été marquées par une polarisation croissante de la vie politique américaine qui met ainsi en échec le régime. Cela s’illustre particulièrement par la politique de l’ancien président Donald Trump et de ses alliés, qui sont les grands perdants de ce scrutin. Si Joe Biden est connu pour être modéré, il reste à voir si les Républicains qui tiendront la Chambre des Représentants à partir de janvier seront disposés à travailler avec lui.

Au Sénat, les Démocrates conservent une très courte majorité. Le Sénat a notamment pour compétence de confirmer les nominations présidentielles, c’est-à-dire que ces dernières ne peuvent intervenir qu’avec son avis et son consentement. Le président Biden ne sera donc pas entravé dans le choix des hauts fonctionnaires et des juges fédéraux. Il pourra continuer à nommer à ces postes clés, sans risque de voir ses candidats refusés par le Sénat. Cela sera déterminant si un membre de la Cour suprême décède ou prend sa retraite dans les deux ans à venir.

Alors que l’attente des résultats a favorisé les pronostics, sondages, conclusions anticipées, quelles leçons tirer de ces résultats ?

La mobilisation électorale a été importante pour des élections de mi-mandat : le taux de participation est le plus haut de ces trente dernières années pour ces types de consultations électorales. Cela peut s’expliquer notamment par les deux principales crises politiques ayant traversé les États-Unis depuis l’élection de Joe Biden : la tentative de coup d’État le 6 janvier 2021 et la décision de la Cour suprême mettant fin à la protection constitutionnelle du droit à l’avortement rendue en juin dernier (voir Article sur notre Blog). La crise climatique, la crise sanitaire, la sécurité sociale, l’immigration et le contrôle des armes sont autant de sujets supplémentaires qui ont mobilisé et polarisé les électeurs.

Les résultats des élections de mi-mandat sont à peine connus que les yeux se tournent déjà vers la présidentielle de 2024. Joe Biden n’exclut pas de se représenter et a pour l’instant annoncé que ce serait une décision familiale. Donald Trump lui a déjà déclaré sa candidature mardi 15 novembre, alors même que ses alliés ont dans l’ensemble perdu les élections. Les Républicains proches de lui et contestant les résultats électoraux de 2020 ont été repoussés par les électeurs. Cela illustre une crise plus importante que traverse ce parti.

Le parti républicain peine ainsi à mobiliser en particulier chez les jeunes et les personnes appartenant à des minorités raciales. Il est tiraillé entre une ligne « dure » portée par Donald Trump et les trumpistes et un courant plus modéré et habitué au travail bipartisan. L’ancien Président en soutenant à mots à peine couverts une tentative de coup d’État et un remettant en cause les résultats électoraux fait ainsi vaciller la démocratie américaine, mais le parti républicain n’a pas pour autant réellement tourné la « page Trump » de son histoire.

Dans ce contexte, la victoire à la Chambre des Représentants s’apparente presque à une défaite tant la majorité obtenue est courte et limitée à la chambre basse. Les deux ans à venir seront déterminants pour la reconstruction du parti républicain en vue des prochaines élections présidentielles et congressionnelles de 2024.