Depuis près de deux mois, la succession de Johnny Hallyday est l’objet de toutes les spéculations. Jusqu’à présent, l’identification de la résidence de l’intéressé au moment de son décès semblait constituer l’enjeu principal : ce lieu commande en effet la détermination de la loi applicable à sa succession et de ce fait la possibilité pour lui de transmettre la majeure partie de son patrimoine à son épouse. Mais un élément nouveau est venu compliquer les termes du débat dont la grande presse se fait l’écho depuis maintenant plusieurs semaines : de son vivant, Johnny Hallyday a transmis l’essentiel de son patrimoine à un trust.

Décryptage par Sara Godechot-Patris, professeur de droit à l’Université Paris-Est Créteil (UPEC).

  » Les procédures conduites en France ou ailleurs concernant les biens mis en trust ne peuvent l’être sans que le trustee n’ait été mis en cause « 

Qu’est-ce qu’un trust ?

Outil de gestion et de transmission du patrimoine sans équivalent en droit français, le trust est un mécanisme né en Angleterre qui s’est propagé dans tous les Etats de common law. Au terme du deed act, le constituant va ainsi confier à un trustee le soin de gérer son patrimoine, à charge à terme de le transmettre à un ou plusieurs bénéficiaires. Rien de commun entre le dédoublement de propriété sur lequel repose le trust – propriété dite légale du trustee et propriété dite équitable du bénéficiaire – et les démembrements de propriété consacrés en droit français. Au-delà le trust frappe par son extrême flexibilité. Sans doute, certaines institutions de droit français peuvent-elles ponctuellement remplir des fonctions similaires, qu’on pense à la fiducie ou au mandat posthume, mais aucune ne présente une souplesse comparable. La flexibilité du trust tient au fait qu’il peut être constitué par une personne de son vivant, comme il peut l’être à son décès. Il peut présenter un caractère irrévocable ou révocable. Les pouvoirs conférés au trustee peuvent être plus ou moins étendus. Et c’est d’ailleurs pour contrebalancer les pouvoirs du trustee, que le constituant peut désigner un protector, chargé de veiller à la bonne exécution du trust ! Le constituant peut être le trustee, ainsi en allait-il de Johnny Hallyday de son vivant ; il peut aussi être un des bénéficiaires. Quant aux droits de ces derniers, ils peuvent être très variables : certains se voient reconnaître des droits sur les revenus produits par les biens mis en trust là où d’autres ont droit au capital. Plus encore, si parfois ils sont en mesure de contrôler le trustee voire même de mettre un terme au trust, il se peut aussi que leurs droits sur le patrimoine mis en trust ne soient qu’hypothétiques. La physionomie du trust dépend donc étroitement des termes de l’acte constitutif et donc de la volonté du constituant.

Quel intérêt de recourir à un trust pour Johnny Halliday ? 

Dans les pays de common law, la constitution de trust est extrêmement fréquente. C’est en effet un outil d’anticipation successorale très courant qui permet ainsi au constituant de s’assurer d’une gestion dynamique de son patrimoine tout en organisant librement la distribution de son patrimoine à plus ou moins long terme ; c’est d’ailleurs ce qui explique qu’en l’espèce le trust puisse contenir des sous trusts en faveur du conjoint (marital trust) et de certains enfants (descendant trust). Au-delà, la constitution d’un trust entre vifs présentait pour Johnny Halliday au moins trois intérêts. D’abord, les biens qui y figuraient se trouvaient dispensés de la procédure judiciaire dite du probate qui accompagne tout règlement de succession aux Etats Unis. De la sorte, une relative confidentialité autour du patrimoine mis en trust pouvait être préservée. Des considérations fiscales peuvent aussi expliquer un tel choix ; le souhait de ne pas priver son conjoint de certains avantages fiscaux existant aux Etats Unis a pu conduire le défunt à privilégier un tel mode de transmission de la succession. Enfin, nul doute que la volonté de Johnny Hallyday de mettre ainsi son projet d’anticipation successorale à l’abri de toute remise en cause a en partie commandée le recours à un tel mécanisme.

Quelles sont les conséquences de l’existence d’un trust dans le cadre du règlement d’une succession ?

Il est difficile de répondre précisément à la question, tant la nature d’un trust peut varier selon la volonté du constituant. Gardons-nous donc de tirer trop rapidement des conclusions sur le trust constitué de son vivant par Johnny Halliday. Il faudrait en analyser toutes les clauses afin de bien en mesurer la portée. 

Pour autant, une chose est certaine, la présence de ce trust est de nature à compliquer le règlement de la succession de Johnny Halliday. Le trustee détient la propriété légale des biens mis en trust ; il en est la colonne vertébrale. Partant, les procédures conduites en France ou ailleurs concernant les biens mis en trust ne peuvent l’être sans que le trustee n’ait été mis en cause.

L’exécution aux Etats Unis de décisions rendues en France, si elles venaient à contredire les termes et la portée du trust, risque néanmoins d’être délicate. Pour autant, il ne faudrait pas en conclure trop rapidement que les bénéficiaires doivent demeurer à l’écart des procédures engagées en France. D’une part, dans la mesure où le trustee œuvre dans l’intérêt des bénéficiaires, il est leur interlocuteur privilégié. Pour atteindre le trustee, il faut donc, le plus souvent, en passer par les bénéficiaires, qui, s’ils ne faisaient pas montre de diligence, pourraient être sanctionnés. D’autre part, en désignant des personnes en qualité bénéficiaire du trust, le constituant a entendu les gratifier. Ce sont eux qui à plus ou moins long terme sont appelés à recevoir les biens. Ils sont par conséquent directement concernés par toute décision concernant le trust. Il est évident, enfin, que si la succession venait à être soumise à la loi française, il ne saurait être fait abstraction du trust. Et il est tout aussi évident que le règlement de la succession dans un tel contexte risque d’être particulièrement compliqué : un bras de fer se dessine entre la logique successorale française et la dynamique du trust américain dont on ne se risquera pas à pronostiquer le résultat.

Par Sara Godechot-Patris