Par Julien Pellefigue, Professeur à l’Université Paris II Panthéon Assas, Membre du CRED, Economiste Associé chez Deloitte | Taj et Alice de Massiac, Avocat Associée, spécialiste en Fiscalité des entreprises chez Deloitte | Taj

Le projet de Loi Finances rectificative pour 2021 comprend une mesure – déjà approuvée par l’AN le 11 juin – consistant à assouplir temporairement le mécanisme du report en arrière des déficits. Cette mesure s’inscrit dans un programme d’amélioration du niveau de liquidité des entreprises françaises, durement frappées par la crise de la Covid. Elle est probablement plus attractive qu’un prêt garanti par l’État, mais représente un montant d’aide assez limité.

En quoi consiste le report en arrière des déficits ou « carry-back » ?

En matière fiscale, le déficit réalisé par une entreprise au titre d’un exercice peut être utilisé sans limitation de durée, mais sous certaines contraintes, pour réduire les bénéfices des exercices ultérieurs.

En France, depuis de nombreuses années et de façon dérogatoire par rapport aux dispositifs existant dans la majorité des autres pays, une possibilité est offerte aux entreprises de reporter sur les bénéfices passés le déficit réalisé au titre d’un exercice (art. 220 quinquies du CGI). Depuis 2012, cette dérogation donne la possibilité aux entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés de reporter en arrière, sur option, le déficit constaté à la clôture d’un exercice sur le bénéfice de l’exercice immédiatement précédent dans la limite du montant le plus faible entre ce bénéfice et la somme de 1 million d’euros.

Ce report en arrière du déficit permet de constater une créance sur le Trésor égale au montant du déficit ainsi imputé sur le bénéfice antérieurement taxé multiplié par le taux d’impôt sur les sociétés. Cette créance peut être utilisée pour le paiement de l’impôt sur les sociétés dû au titre des exercices clos au cours des 5 années suivant celle au cours de laquelle l’exercice déficitaire a été clos. Au terme de ce délai de 5 ans, la fraction de la créance qui n’a pas pu être imputée sur l’impôt sur les sociétés fait l’objet d’un remboursement. Certaines entreprises (PME, entreprises ayant fait l’objet d’une procédure de conciliation, de sauvegarde, d’un redressement judiciaire …) peuvent obtenir un remboursement immédiat de leurs créances sans attendre ce délai de 5 ans.

Qu’est ce qui change concrètement ?

Sur la base des textes actuellement en vigueur, le recours au dispositif de carry-back est très encadré (i) l’option pour le carry-back doit être effectuée au plus tard lors du dépôt de la déclaration de résultat de l’exercice déficitaire (ii) le déficit ne peut être imputé que sur le bénéfice taxable de l’exercice immédiatement précédent et (iii) dans la limite maximale de 1 millions d’euros. De la sorte, en 2021, le montant maximal de la créance générée par ce report en arrière ne peut excéder 333 000€ (1 m€ x 33,33%).

L’article 1 du projet de loi de finances rectificative pour 2021 proposerait d’assouplir temporairement et de façon exceptionnelle ces règles et de modifier la limitation dans le temps, le plafond et le délai d’option de ce dispositif.

Ainsi, le texte prévoit :

  • Limitation dans le temps:
    • seul le 1er déficit constaté au titre du 1er exercice clos entre le 30 juin 2020 et le 30 juin 2021 serait éligible au dispositif temporaire;
    • ce déficit pourrait être imputé sur les bénéfices des 3 exercices précédents et non sur le seul exercice immédiatement précédent. Ainsi, pour une entreprise clôturant son exercice au 31 décembre, le déficit constaté au titre de l’exercice clos le 31 décembre 2020 pourrait être reporté sur les exercices clos les 31 décembre 2019, 2018 et 2017 ;
  • Plafond: ce déficit pourrait être imputé sur les bénéfices précédents sans limitation de montant, ni global ni au titre de chaque bénéfice d’imputation ;
  • Délai d’option: l’option pourrait être effectuée jusqu’à la date limite de dépôt des déclarations de résultats des exercices clos le 30 juin 2021, soit le 30 septembre 2021, et au plus tard avant que la liquidation de l’impôt sur les sociétés dû au titre de l’exercice suivant celui au titre duquel l’option est exercée ne soit intervenue.

Par opposition aux textes en vigueur à ce jour, le montant de la créance ainsi générée par le report en arrière du déficit ne serait pas déterminé en utilisant le taux d’impôt sur les sociétés applicables aux exercices de réalisation des bénéfices sur lesquels les déficits sont imputés mais celui applicable aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2022 déterminé sur la base du chiffre d’affaires de l’exercice au titre duquel l’option est exercée (soit principalement un taux de 25%). En raison de la baisse du taux d’impôt sur les sociétés en place depuis quelques années, l’utilisation du taux applicable en 2022 et non celui applicable aux exercices 2017/2019 pourrait apparaître comme moins attractive que le régime actuel.

De façon assez logique, le projet précise que les bénéfices d’imputation seraient diminués du montant des déficits constatés au titre des exercices antérieurs pour lesquels l’entreprise avait déjà opté pour le report en arrière.

Par ailleurs, à ce stade du projet, la faculté pour les entreprises de demander le remboursement anticipé de leur créance de carry-back n’est pas prévue. Le remboursement et l’utilisation suivraient donc les conditions de droit commun (i.e. 5 ans).

Cette nouvelle mesure serait également ouverte, selon les mêmes modalités, aux groupes intégrés fiscalement.

Quelle serait la portée pratique de ce dispositif pour les entreprises ?

Ce nouveau dispositif ne sera pas utile pour toutes les entreprises.

D’un côté, les entreprises qui ont réalisé un déficit au titre de l’exercice 2020 inférieur à 1 million d’euros et qui anticipent un résultat fiscal maximal de 1 million d’euros en 2021 pourraient ne pas avoir intérêt à opter pour ce dispositif. Les règles standard de report en avant du déficit permettront d’imputer la totalité du déficit 2020 sur le résultat 2021, et l’option dans le cadre du nouveau dispositif pourrait se révéler moins attractive en raison du différentiel de taux entre celui applicable au résultat 2021 versus la créance constatée avec le taux d’impôt 2022.

En revanche, pour les entreprises qui ont réalisé un déficit 2020 supérieur à 1 millions d’euros ainsi que des bénéfices taxables au cours des exercices antérieurs, ce nouveau dispositif offrant une assiette d’imputation beaucoup plus large, l’option pourrait être particulièrement attractive. En effet, elle permettrait de reconnaître une créance de carry-back nettement supérieure et conduirait, par la même, à une amélioration mécanique du résultat 2021 ainsi qu’à un renforcement des fonds propres de l’entreprise. En cas de mobilisation de la créance auprès d’un établissement financier ou de son remboursement immédiat (PME ou entreprise en difficultés) l’effet en trésorerie offert par ce dispositif pourrait d’autant plus être accentué.

Enfin, le report en arrière du déficit pourrait conduire à améliorer le taux effectif d’imposition affiché par l’entreprise en l’absence de reconnaissance antérieure d’impôt différé actif sur le déficit réalisé au titre de l’exercice 2020 (dans les comptes consolidés et dans les comptes sociaux en cas d’option pour la comptabilisation des impôts différés).

D’un point de vue économique, cette mesure correspond à une avance de trésorerie accordée aux entreprises rentables mais qui ont subi une perte exceptionnelle en 2020. Ces entreprises auraient eu besoin de plusieurs années pour absorber leur déficit de 2020 en raison de la règle de plafonnement, les nouvelles dispositions leur permettent de bénéficier plus rapidement de ce crédit d’impôt, et ainsi de disposer de davantage de liquidités dès 2021 pour faire face aux coûts fixes ou pour investir. Du point de vue du Trésor, la mesure est comparable au plan de report de charges sociales, ou aux prêts garantis, qui ont été mis en œuvre en 2020 : la mesure n’affecte pas le montant total d’impôt perçu, juste le calendrier de perception. Le carry-back a toutefois un avantage sur d’autres mesures d’amélioration de la liquidité, comme les prêts garantis : si une entreprise réussit à mobiliser sa créance d’impôt tout de suite, elle n’aura rien à rembourser avant d’être de nouveau rentable (une fois rentable, elle paiera en revanche plus d’impôt que si elle n’avait pas mobilisé sa créance).

La mesure est donc potentiellement avantageuse pour les entreprises, son ampleur est cependant limitée, d’après le projet de loi, il s’agit d’un décalage d’un montant d’IS d’environ 3Mds€ sur 7 ans, à comparer à une enveloppe de mesure améliorant la liquidité des entreprises d’environ 50 Mds€ (hors prêts garantis par l’État).

Il convient enfin de noter que cette proposition de texte est en ligne avec les recommandations de la Commission européenne du 18 mai 2021 (Recommandation (UE) 2021/801) et va même au-delà puisque cette dernière préconisait d’instaurer un plafond d’imputation des déficits limité à 3 m€ au titre des bénéfices des 3 années précédentes.

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