Par Raphaële Parizot – Professeure à l’Université Paris Nanterre – Codirectrice du Centre de droit pénal et de criminologie
Le 22 avril dernier, la presse faisait état d’un mandat d’arrêt international délivré à l’encontre de Carlos Ghosn, l’ancien PDG de Renault-Nissan, réfugié au Liban depuis décembre 2019 après avoir fui le Japon où il était poursuivi pour des accusations de malversations financières.

Quel est l’objet du mandat d’arrêt international émis par la justice française à l’encontre de C. Ghosn ?

Avant toute chose, il faut préciser qu’il n’existe pas, à strictement parler en procédure pénale, de mandat d’arrêt international.

Le code de procédure pénale français ne connaît en effet que le mandat d’arrêt tout court dont la diffusion peut, le cas échéant, être internationale. Selon l’article 122 du code, le mandat d’arrêt est l’ordre donné par un juge d’instruction à la force publique de rechercher, de conduire à la maison d’arrêt indiquée dans le mandat et de lui présenter une personne nommée, à l’égard de laquelle il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elle ait pu participer, comme auteur ou complice, à la commission d’une infraction. Le mandat d’arrêt vise une personne en fuite ou résidant hors du territoire de la République.

L’émission d’un mandat d’arrêt à l’encontre de C. Ghosn signifie donc qu’il existe contre lui des éléments suffisants (indices graves ou concordants) pour que le juge d’instruction en charge de l’information judicaire, pour les chefs notamment d’abus de biens sociaux et de blanchiment, le mette en examen.

Quelles conséquences concrètes de ce mandat d’arrêt à l’international pour C. Ghosn ?

Si le mandat d’arrêt vise spécifiquement le cas d’une personne en fuite ou résidant à l’étranger, cela ne signifie pas pour autant qu’il a un effet contraignant pour les pays étrangers, loin de là. Le juge français ne peut, en effet, en aucun cas conférer à un mandat une portée extraterritoriale, dans la mesure où la force publique n’a qu’une compétence nationale. Le mandat d’arrêt délivré à l’encontre de C. Ghosn n’a donc aucune portée directe à l’étranger. Bien sûr, au sein de l’Union européenne, il faudrait moduler ce propos au regard des instruments existants en matière de coopération judiciaire (mandat d’arrêt européen en tête).

Mais, qu’en est-il d’une personne qui se trouve sur le sol libanais ? Entre la France et le Liban, s’applique une convention bilatérale d’entraide judiciaire en matière pénale signée à Paris le 21 janvier 2010 (approuvée par le législateur français en 2012 et, on le suppose, également du côté libanais). Cette convention rend possible l’audition de C. Ghosn, comme témoin, à la demande des autorités françaises ou directement par les autorités françaises si les autorités libanaises y consentent (art. 7 §5 de ladite convention), audition qui a d’ailleurs déjà pu être faite dans cette affaire au Liban par des magistrats français.

Mais cette convention exclut toute entraide sur le plan de l’extradition. Et si, dans l’absolu, un mandat d’arrêt « international » peut être le support à une demande d’extradition, tel n’est pas le cas en l’espèce. D’une part il n’y a aucune convention d’extradition signée entre la France et le Liban ; d’autre part C. Ghosn étant de nationalité libanaise, il est protégé de toute extradition, y compris vers la France dont il est également un ressortissant (même s’il semble qu’il y ait un précédent au Liban avec l’acceptation de l’extradition en direction des Etats-Unis d’un ressortissant libano-américain).

Quelles suites peut-il y avoir à ce mandat d’arrêt international ?

Sans effet direct à l’international, le mandat d’arrêt délivré à l’encontre de C. Ghosn pourrait néanmoins produire des conséquences à moyen terme.

D’abord, un tel mandat met une pression supplémentaire sur C. Ghosn qui sait désormais que, si son interdiction de quitter le territoire libanais était levée, il serait sous le coup d’une arrestation dès son arrivée sur le sol français. Par ailleurs, si d’aventure il quittait le Liban pour aller ailleurs qu’en France, il s’exposerait sûrement à une demande d’extradition formulée par les autorités françaises avec, il faut le relever, une mise en concurrence de deux mandats d’arrêt internationaux (le premier japonais appuyé par une notice rouge d’Interpol, le second français), que l’Etat requis (c’est-à-dire le pays sur le sol duquel Monsieur Ghosn serait arrêté), devrait trancher. En cas de concours de requêtes, sont classiquement pris en considération les circonstances et la gravité de l’infraction, le lieu de commission, les dates respectives des demandes, la nationalité de l’individu réclamé et la possibilité d’une extradition ultérieure vers un autre Etat (voir, par ex., l’art. 17 de la Convention européenne d’extradition de 1957 ou encore l’art. 696-5 c. proc. pén.), ce qui pourrait faire préférer le Japon, la France n’extradant pas non plus ses nationaux.

Autrement dit, si C. Ghosn, souhaitait (pouvait) sortir du Liban, il vaudrait mieux pour lui soit se rendre directement en France pour y être jugé soit choisir un pays qui n’extrade ni vers le Japon ni vers la France, au risque sinon d’être extradé par priorité au Japon, ce qui n’est sans doute pas la meilleure option compte tenu de la dureté du système judiciaire japonais particulièrement mise en lumière dans cette affaire.

Ensuite, le mandat d’arrêt émis peut être une étape avant un acte de dénonciation officielle par les autorités françaises auprès du Liban pour que la justice libanaise juge C. Ghosn, sachant, en tout état de cause, que des poursuites et un jugement au Liban pour les faits instruits en France ne protégeraient pas C. Ghosn de nouvelles poursuites en France. En effet, le principe ne bis in idem ne s’applique pas lorsque les faits ont été commis en tout ou en partie sur le territoire national (l’art. 113-9 c. pén. ne vise pas l’hypothèse des infractions commises sur le sol français).

Mais un tel acte de dénonciation de la part des autorités françaises est une hypothèse incertaine dans la mesure où, en l’absence d’une convention le prévoyant, rien n’obligerait les autorités libanaises à poursuivre en cas de dénonciation officielle (à titre de comparaison, la Convention d’extradition signée entre la France et l’Algérie en 2019 prévoit, dans son art. 3 2°, que « Si la Partie requise n’extrade pas son ressortissant, elle devra, à la demande de la Partie requérante, soumettre l’affaire aux autorités compétentes afin que des poursuites judiciaires puissent être exercées s’il y a lieu. Dans ce cas, la Partie requérante lui adressera par la voie diplomatique une demande de poursuite accompagnée des dossiers et documents y afférents et instruments relatifs à l’infraction en sa possession »). Par ailleurs, même possible, il n’est pas sûr qu’une telle voie soit opportune.

Reste la possibilité que C. Ghosn soit renvoyé devant un tribunal correctionnel français pour y être jugé en son absence, comme l’y autorise le droit français. Ce renvoi en jugement ne serait pas forcément une mauvaise chose pour l’intéressé dans la mesure où l’ordonnance de renvoi conférerait à C. Ghosn la qualité de partie au procès pénal que, pour le moment, il n’a pas, faute d’être mis en examen.

En effet, contrairement à ce que l’on lit ça et là dans la presse ces jours-ci, un mandat d’arrêt ne vaut pas mise en examen (la jurisprudence, fondée sur l’art. 134 c. proc. pén., qui peut être critiquée au regard des droits de la défense, est constante sur ce point depuis 2001). Une mise en examen ne sera possible que si C. Ghosn est présenté à un juge d’instruction français, réellement ou bien par l’intermédiaire d’une visioconférence (art. 706-71 al. 2 c. proc. pén.), dès lors que celle-ci serait envisageable sur le fondement de la Convention d’entraide judiciaire franco-libanaise (ce serait sans doute une première). Si une telle présentation n’est pas possible, seul un renvoi en jugement est susceptible de conférer à C. Ghosn la qualité de partie et, dans le même temps, l’accès au dossier de la procédure le concernant.

Si l’on se projette plus loin encore, sans présumer en aucun cas de la culpabilité de l’intéressé, il faut relever que, dans l’hypothèse d’une condamnation en France, la Convention franco-libanaise d’entraide judiciaire en matière pénale pourrait être mobilisée, après jugement, pour faire exécuter une peine pécuniaire d’amende (art. 1) ou de confiscation des produits de l’infraction (art. 18).

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