Par Didier Rebut – Directeur de l’Institut de criminologie et de droit pénal de Paris – Membre du Club des juristes
Un peu plus d’un an après le début de la guerre en Ukraine, la Cour pénale internationale a émis, vendredi 17 mars 2023, deux mandats d’arrêt contre le Président russe Vladimir Poutine et Maria Lvova-Belova, commissaire aux droits de l’enfant en Russie. Une décision historique mais dont l’exécution reste complexe.

La CPI a émis un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine. Que sait-on de ce mandat d’arrêt ?

Ce mandat d’arrêt a été émis le 17 mars contre Vladimir Poutine et Mme Maria Lvova-Belova qui est commissaire aux droits de l’enfant auprès du cabinet de M. Poutine.

La CPI a publié un communiqué sur la délivrance de ces deux mandats d’arrêt qui renseigne sur leur fondement et leur motif, même s’il indique qu’ils ne seront pas rendus publics pour des raisons tenant à la protection des victimes et des témoins et à la sécurité des investigations. Ce communiqué énonce que ces mandats d’arrêt portent sur des crimes de guerre qui auraient consisté dans la déportation illégale ou le transfert illégal d’enfants de l’Ukraine vers la Russie depuis le 24 février 2022. Ces faits sont incriminés par l’article 8(2)(a)(vii) du statut de la CPI. Cette incrimination transpose l’article 49 de la convention de Genève du 12 août 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, lequel érige ce fait en crime de guerre.

Le communiqué de la CPI précise aussi que le mandat d’arrêt visant M. Poutine est justifié par des motifs raisonnables de croire qu’il encourt une responsabilité pénale individuelle dans la commission de ces crimes comme auteur au titre de l’article 25(3)(a) du statut de la CPI ou comme supérieur hiérarchique au titre de l’article 28(b) de ce même statut. Concernant ce second chef de mise en cause, il lui est reproché de ne pas avoir exercé le contrôle qu’il convenait sur ses subordonnés civils ou militaires qui ont commis ces crimes ou ont permis leur commission et alors que ceux-ci étaient sous son autorité et son contrôle effectifs. Le mandat émis contre Mme Maria Lvova-Belova la vise seulement comme auteur.

Ces mandats d’arrêt ont été délivrés à la suite d’une demande du Procureur de la CPI du 22 février 2023 conformément à la procédure applicable devant la CPI. Il faut en effet savoir que le Procureur de la CPI n’est pas habilité à émettre lui-même des mandats d’arrêt. Il doit solliciter cette émission par une chambre préliminaire de la CPI. Cette émission est donc le fait de juges de la CPI qui se prononcent en fonction des preuves produites par le Procureur à l’appui de sa demande. Il en découle que l’émission d’un mandat d’arrêt par la CPI témoigne, par hypothèse, de l’existence d’éléments de preuve suffisamment solides pour que la demande du Procureur ait été approuvée. Ces preuves portent à la fois sur la commission de crimes entrant dans la compétence de la CPI et sur la participation de la personne visée à la commission de ces crimes. On peut donc supposer que le Procureur a produit des éléments de preuve sur la commission de faits de déportation illégale ou de transfert illégal d’enfants ukrainiens vers la Russie et sur l’implication dans ces faits de M. Poutine comme auteur et supérieur hiérarchique et de Mme Lvova-Belova comme auteur.

Ce mandat d’arrêt pourrait-il être exécuté ?

La CPI n’a pas de police pour exécuter ses mandats d’arrêt. C’est aux États parties -qui sont au nombre de 123- qu’il incombe d’exécuter ces mandats si les personnes visées se trouvent sur leur territoire. Leur adhésion au statut de la CPI leur confère en effet l’obligation d’exécuter les décisions prises par celle-ci comme ses mandats d’arrêt. Cette obligation est en mesure de faire craindre à M. Poutine ou à Mme Lvova-Belova qu’ils soient arrêtés s’ils venaient à se rendre dans un État partie au statut de la CPI. Certes, cette arrestation n’est pas certaine car un État partie peut préférer s’en abstenir malgré l’obligation qui lui incombe du fait du statut de la CPI. Cela est arrivé dans le passé avec le mandat d’arrêt qui avait été délivré contre le Président du Soudan, M. Omar El-Bechir. Celui-ci avait visité plusieurs États parties sans avoir été inquiété. Mais il avait aussi soigneusement évité de se rendre dans de nombreux autres où il craignait d’être arrêté. Car l’émission d’un mandat d’arrêt par la CPI opère comme une « épée de Damoclès » pour celui qu’elle vise. Celui-ci sait qu’il risque une arrestation dès lors qu’il pénètre sur le territoire d’un État partie. Aussi est-il enclin à ne pas sortir de ses frontières ou à limiter ses déplacements dans les seuls Etats où il a l’assurance qu’il n’est pas exposé à une arrestation, parce qu’ils ne sont pas parties au statut de la CPI ou parce qu’ils sont ses alliés alors même qu’ils sont parties à ce statut.

S’agissant de M. Poutine, le mandat d’arrêt de la CPI devrait le dissuader de se rendre dans un très grand nombre d’États parties. Certes, cette entrave à ses déplacements peut apparaître de faible portée parce que M. Poutine quitte rarement la Russie. Mais elle est en mesure de faire obstacle à sa présence à de nombreux événements internationaux organisés dans des États parties. Elle est en outre susceptible de perdurer et de l’entraver durablement dans ses déplacements internationaux et cela alors même que la guerre en Ukraine serait terminée.

Quelle est la portée politique de ce mandat d’arrêt ?

Ce mandat d’arrêt a une portée politique par rapport à la guerre en Ukraine parce qu’il met en cause les autorités de la Russie et son Président comme auteur de crimes de guerre, lesquels auraient de surcroît été commis à l’encontre d’enfants. Cette mise en cause est d’autant plus importante qu’elle émane d’une juridiction pénale internationale reconnue par 123 États dans le monde, ce qui lui confère une dimension internationale. M. Poutine est ainsi suspecté d’être un criminel de guerre par une juridiction qui représente une grande partie de la communauté internationale.

Ce mandat d’arrêt a également une portée politique pour la CPI elle-même. Celle-ci montre qu’elle peut enquêter et poursuivre des faits concernant une grande puissance qui est de surcroît membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. C’est une réponse aux critiques récurrentes dont elle est l’objet qui lui reprochent de seulement enquêter sur des faits commis dans des États faibles et principalement africains. Elle montre aussi qu’elle a compétence pour poursuivre des faits commis en Ukraine et pour mettre en cause M. Poutine alors que sa compétence est contestée au motif qu’elle ne pourrait pas concerner celui-ci, puisqu’elle ne peut pas poursuivre le crime d’agression. La CPI fait savoir qu’elle peut mettre en cause M. Poutine nonobstant son absence de compétence pour le crime d’agression. Elle répond ainsi aux griefs suivant lesquels son action ne serait pas à la mesure de la guerre en Ukraine parce qu’elle ne pourrait pas concerner M. Poutine. Certes, sa mise en cause ne porte pas sur le crime d’agression. Mais elle intervient sur une base juridique solide par une juridiction existante alors qu’une mise en cause pour crime d’agression demeure hypothétique parce que liée à la mise en place future d’une juridiction ad hoc dont l’organisation et le fonctionnement sont loin d’être acquis.

La CPI montre aussi qu’elle peut poursuivre un chef d’État. Certes, son statut prévoit que la qualité de chef d’État ne confère aucune immunité pénale au titre des crimes du statut de la CPI. La CPI a ainsi déjà poursuivi un chef d’État en exercice quand elle a émis un mandat d’arrêt contre M. Omar El-Béchir alors qu’il était président du Soudan. Mais il s’agissait d’une mise en cause visant le chef d’un État qui n’est pas comparable à la Russie. L’émission d’un mandat d’arrêt contre le Président de la Russie, qui est une puissance nucléaire et membre permanent du Conseil de sécurité, marque assurément une étape pour la CPI. C’est de sa part une affirmation sinon d’autorité du moins d’existence qui lui est permise par les vingt-cinq ans écoulés depuis sa création en 1998.

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