Professeur de droit public, Université Grenoble-Alpes, Spécialiste de droit électoral

(http://blogdudroitelectoral.fr)

Pour le moment, les résultats des élections du 15 mars dernier sont, dans les communes où les élections ont été acquises au premier tour comme pour celles pour lesquelles le second tour est reporté au mois de juin, acquis mais suspendus. Les exécutifs sont maintenus dans leur fonction, ce qui permet aussi aux maires sortants de pouvoir face à la crise sanitaire le temps que les choses s’améliorent, même si, dans certaines communes, la cohabitation des anciennes équipes et des nouveaux élus peut être problématique.

Les conseils municipaux élus le dimanche 15 mars n’ont donc pas été installés ?

À titre liminaire, il faut préciser que, dans les villes où les élections ont été acquises au 1er tour dimanche 15 mars, c’est-à-dire qu’une liste a remporté la majorité absolue des suffrages exprimés, les résultats des élections sont préservés. Cela concerne environ 30.000 communes, représentant elles-mêmes 65% des 43 millions d’électeurs : en effet, dans beaucoup de communes en France, il n’y a eu qu’une seule liste, ou deux listes (assurant à l’une d’elles la majorité absolue), ou une prime importante au maire sortant. La loi n°2020-290 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 du 23 mars 2020 garantit ces résultats, de façon au demeurant superfétatoire, disposant que « Dans tous les cas, l’élection régulière des conseillers municipaux et communautaires, des conseillers d’arrondissement, des conseillers de Paris et des conseillers métropolitains de Lyon élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 reste acquise, conformément à l’article 3 de la Constitution » (art. 19).

Initialement, les conseils municipaux issus de ces élections devaient être installés, et élire le maire et les adjoints, conformément au calendrier classique de l’article L. 2121-7 CGCT, au plus tôt le vendredi 20 mars et au plus tard le dimanche 22 mars. Le ministère de l’intérieur avait même édicté une circulaire en ce sens. Seuls étaient prévues une restriction de l’ordre du jour à l’élection du maire et des adjoints, l’adaptation des modalités physiques de réunion des conseils municipaux (1 mètre de distance entre les personnes), la possibilité pour les plus fragiles de donner une procuration et la circulaire rappelait enfin la possibilité de tenir ces réunions, à titre exceptionnel, à huis clos. Cependant, la règle du quorum de la majorité des membres du conseil prévu par l’article L. 2121-17 CGCT s’appliquait de sorte que la moitié au moins des conseillers devaient être physiquement et personnellement présents.

Cette obligation pour les conseils municipaux de se réunir en pleine épidémie et alors que le confinement avait été décrété a été très mal perçue par beaucoup d’élus sur le terrain, conduisant le Premier ministre à annoncer devant les sénateurs, au cours du débat parlementaire, le report de l’entrée en fonction des nouveaux élus et de leur installation, demandant finalement aux conseils municipaux de ne pas se réunir. Désormais, la loi Covid-19 prévoit que « Les conseillers municipaux et communautaires élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 entrent en fonction à une date fixée par décret au plus tard au mois de juin 2020, aussitôt que la situation sanitaire le permet au regard de l’analyse du comité de scientifiques ». Le Conseil scientifique devra rendre son analyse au plus tard le 23 mai 2020. La loi précise enfin que « La première réunion du conseil municipal se tient de plein droit au plus tôt cinq jours et au plus tard dix jours après cette entrée en fonction ». Dans les communes de moins de 1 000 habitants pour lesquelles le conseil municipal n’a pas été élu au complet, les conseillers municipaux élus au premier tour entrent en fonction le lendemain du second tour de l’élection.

Ce report a-t-il été appliqué partout ?

Très majoritairement oui. Cependant, dans quelques communes, des conseils municipaux ont décidé de respecter le code général des collectivités territoriales, qui n’avait pas encore été modifié jusqu’à la publication au journal officiel de la loi Covid-19 le mardi 24 mars, plutôt que la déclaration du Premier ministre… ce qui juridiquement était rigoureux, mais politiquement moins ! Il est vrai que le droit a dû s’adapter aux circonstances exceptionnelles de la période…

En tout état de cause, pour éviter des différences de situation sur le territoire, la loi est venue suspendre l’activité de ces conseils déjà installés. En effet, l’article 19.V de la loi prévoit que « Dans les communes pour lesquelles le conseil municipal a été élu au complet au premier tour, les désignations et les délibérations régulièrement adoptées lors de la première réunion du conseil municipal mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 2127-7 du code général des collectivités territoriales prennent effet à compter de la date d’entrée en fonction des conseillers municipaux et communautaires élus au premier tour ». Ainsi, ceux qui ont malgré tout forcé la réunion des conseils municipaux et l’élection des maires et des adjoints ne pourront pas en tirer immédiatement le bénéfice…

Qui va diriger ces collectivités territoriales dans l’attente de l’élection des nouveaux maires ?

La loi Covid-19 prévoit que les conseillers municipaux en exercice avant le premier tour conservent leur mandat jusqu’à l’entrée en fonction des conseillers municipaux élus au premier tour. Le cas échéant, leur mandat de conseiller communautaire est également prorogé jusqu’à cette même date. Les exécutifs des communes et des EPCI restent aussi provisoirement en fonction.

Dans l’attente, si le « statut des candidats élus au premier tour dont l’entrée en fonction est différée ne leur confère ni les droits ni les obligations normalement attachées à leur mandat », c’est-à-dire que les nouveaux élus devront effectivement patienter pour bénéficier de leurs prérogatives, la loi leur garantit quand même un droit d’information. Ainsi, il est prévu que « Les candidats élus au premier tour dont l’entrée en fonction est différée sont destinataires de la copie de l’ensemble des décisions prises sur le fondement de l’article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales et, le cas échéant, de tout acte de même nature pris par le président de l’établissement public de coopération intercommunale ou son remplaçant, et ce jusqu’à leur installation ». Pendant quelques temps, les collectivités où les élections ont été acquises au premier tour vont vivre avec deux équipes coexistant… même si dans beaucoup de cas, l’ancienne et la nouvelle équipe sont en réalité la même.

 

À lire : « Comment tenir les élections municipales ? », par Jean-Pierre Camby

 

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