Par Jacques-Henri Robert – Professeur émérite de l’Université Paris-Panthéon-Assas
Le tribunal d’application des peines a décidé lundi dernier d’accorder à M. Balkany une liberté conditionnelle. Le Parquet a immédiatement interjeté appel de cette décision dont l’exécution a ainsi été suspendue : M. Balkany restera donc incarcéré à la prison de Fleury-Mérogis.

Pourquoi M. Balkany restera-t-il en prison alors que le tribunal de l’application des peines avait prononcé sa libération conditionnelle ? 

Revenons sur les faits : M. Patrick Balkany a été condamné à un l’emprisonnement, dont une partie, trois ans, était ferme, c’est-à-dire non assortie d’un sursis. Après une première incarcération, il a bénéficié d’un premier aménagement de cette peine sous forme de surveillance électronique, qui est un emprisonnement à domicile dont l’exécution est assurée par le port d’un bracelet électronique connecté aux services pénitentiaires. Elle est assortie de conditions qui restreignent la liberté de mouvements.

Pour s’en être affranchi, M. Balkany a été réincarcéré le 7 février 2022, à la prison de Fleury-Mérogis (art. 723-13 C. proc. pén.), pour y subir le reste de sa condamnation. En cette situation, il a formé une demande de libération conditionnelle, qui est une autre modalité d’exécution de l’emprisonnement. Cette institution est bien plus ancienne que la surveillance électronique, puisqu’elle remonte à la loi du 4 août 1885. Contrairement à ce que l’on a pu croire, elle ne comporte pas l’obligation de porter un bracelet électronique, sauf dans des cas limités qui ne comprennent pas celui de M. Balkany (condamnations pour des infractions qui font encourir le suivi socio-judiciaire). Mais le libéré conditionnel subit un grand nombre d’interdictions et d’obligations positives qui sont celles que la loi permet d’imposer au titre de sursis probatoire (obligations de soin, obligations de travailler etc.).

La libération conditionnelle est accordée par un jugement du juge de l’application des peines, après un débat contradictoire entre le condamné et le ministère public ; si l’une de ces parties le demande, l’affaire est portée devant le tribunal de l’application des peines qui rassemble trois juges de l’application des peines, appartenant à l’un des tribunaux judiciaires de la cour d’appel. C’est ce qui est arrivé en l’espèce et, les débats s’étant tenus le 19 mai 2022, le tribunal de l’application des peines d’Évry a rendu un jugement en date du 30 mai suivant accordant la liberté conditionnelle à M. Balkany.

Le procureur de la République d’Évry a interjeté appel de ce jugement. Il jouissait d’un délai de 10 jours pour le faire (art. 712-11, 2° C. proc. pén. ), mais il l’a fait dans les 24 heures pour empêcher l’exécution immédiate de la décision, en application de l’article 712-14, 2ème phrase du Code de procédure pénale : « Toutefois, lorsque l’appel du ministère public est formé dans les vingt-quatre heures de la notification, il suspend l’exécution de la décision jusqu’à ce que la chambre de l’application des peines de la cour d’appel ou son président ait statué ».

La décision du parquet est, dit son communiqué, « en cohérence » avec les réquisitions qu’il avait présentées à l’audience du tribunal et qui tendaient au rejet de la demande de M. Balkany. Elles étaient fondées, dit encore le communiqué, sur les manquements répétés du condamné observés au cours de sa surveillance électronique. Le magistrat craignait donc qu’il en soit de même à l’égard des obligations auxquelles est soumis un libéré conditionnel.

Le tribunal avait rejeté l’argument en relevant que le requérant avait pris conscience des manquements que lui reproche le procureur et qu’il remboursait, à raison de 1.300 € par mois sa dette fiscale de quatre millions.

Sur quoi M. Balkany peut-il désormais compter pour espérer sa sortie de prison ? 

La dernière phrase de l’article 712-14 du Code de procédure pénale, relatif à l’effet suspensif de l’appel rapide du parquet en complète la conséquence par la disposition suivante : « L’affaire doit être examinée au plus tard dans les deux mois suivant l’appel du parquet, faute de quoi celui-ci est non avenu ».

Examinée, mais non encore résolue, car la loi ne fixe pas de délai pour le prononcé de la décision, mais les délibérés en ces affaires sont moins longs que ceux de décisions des juridictions de jugement. La juridiction compétente est « la chambre de l’application des peines », qui est une formation de la cour d’appel locale. Elle peut infirmer ou confirmer le jugement entrepris. Elle peut le confirmer (c’est-à-dire maintenir l’octroi de la libération conditionnelle) en considérant que l’argument du parquet d’Évry est hypothétique et ne repose pas sur une analyse des dispositions actuelles du condamné, de son âge et de son état de santé.

Si la chambre infirme le jugement et maintient M. Balkany en détention, elle « peut fixer un délai pendant lequel toute nouvelle demande tendant à l’octroi de la même mesure sera irrecevable. Ce délai ne peut excéder ni le tiers du temps de détention restant à subir ni trois années » (art. 712-13, al. 3 C. proc. pén.). Mais à défaut de cette clause, le condamné peut renouveler sa requête aussi souvent qu’il lui plaît, sauf à lasser ses juges.

Cet appel du Parquet est-il surprenant au regard par exemple de l’infraction de fraude fiscale en cause ?

Le parquet d’Évry s’est fondé sur le comportement de M. Balkany qui avait exaspéré le juge de l’application des peines d’Évreux et le service pénitentiaire d’insertion et de probation : non seulement le condamné violait impudemment ses obligations, mais il traitait le magistrat et les fonctionnaires avec mépris et insolence. Certes, les instructions générales de politique pénale invitent les parquets à poursuivre avec diligence les manquements à la probité des dépositaires de l’autorité publique, à la suite de l’affaire Cahuzac ; mais les condamnés emprisonnés de ce chef ne souffrent pas d’une persécution particulière.