Par Jean-Paul Markus – Professeur à l’Université Paris-Saclay – Directeur de la Rédaction des Surligneurs
Dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux, le député La France Insoumise Louis Boyard a appelé la jeunesse à bloquer les établissements scolaires mardi 7 mars dans le cadre de la journée de mobilisation contre la réforme des retraites, portée par le gouvernement. Ce « blocus challenge » lancé par le député et visant à récompenser, par une visite de l’Assemblée nationale, la « plus belle photo » de blocus d’un lycée ou d’une université, a suscité de nombreuses réactions. A commencer par celle de la présidente de la région Île-de-France. Valérie Pécresse a en effet annoncé porter plainte, au nom de la région Île-de-France en charge des lycées, contre le député pour « incitation au délit d’entrave et incitation à la violence ».

Le retentissement dans la presse de la vidéo postée par Louis Boyard, auprès du personnel politique et surtout des juristes interrogés de toutes parts est considérable, tant le procédé est inédit.

Quelles sanctions un lycéen ou un étudiant peut-il encourir pour avoir bloqué son établissement ?

S’agissant d’abord des lycéens, l’article L. 431-22 du Code pénal est très clair : “Le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement scolaire sans y être habilité  (…) ou y avoir été autorisé (…), dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement, est puni d’un an d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende”. Cette peine a été créée en raison de la hausse des violences dans le milieu scolaire, afin de dissuader les intrus (parents violents notamment). Mais un lycéen qui se maintient dans son lycée en bloquant les accès se place dans la même situation. En dehors de cette incrimination, le lycéen encourt une sanction disciplinaire classique pour avoir perturbé le déroulement du service public de l’éducation. C’est le chef d’établissement qui a la responsabilité d’initier les poursuites disciplinaires (C. éduc., art. R. 421-10), en saisissant au besoin le conseil de discipline. Les sanctions vont de l’avertissement à l’exclusion définitive (C. éduc., art. R. 511-13).

Il n’existe pas de texte similaire pour les étudiants, mais les blocages sont potentiellement visés par une disposition plus large : le Code de l’éducation prévoit que “Les usagers du service public de l’enseignement supérieur (…) disposent de la liberté d’information et d’expression à l’égard des problèmes politiques, économiques, sociaux et culturels. Ils exercent cette liberté (…) dans des conditions qui ne portent pas atteinte aux activités d’enseignement et de recherche et qui ne troublent pas l’ordre public”. Empêcher les cours constitue incontestablement une atteinte à l’ordre public. La sanction est uniquement d’ordre disciplinaire, avec la saisine de la section disciplinaire de l’université. Les sanctions encourues vont de l’avertissement à l’exclusion de tout établissement public d’enseignement supérieur.

Des lycéens ou étudiants ont-ils déjà été condamnés pour avoir bloqué leur établissement ?

À notre connaissance, les sanctions pénales n’ont jamais été appliquées à l’encontre de lycéens. De plus, la pratique montre que les poursuites disciplinaires pour de simples blocages, non assortis de violences, sont rarissimes, car elles déclencheraient plus de troubles qu’elles n’en éviteraient. En tout état de cause, les éventuelles sanctions disciplinaires sur ce motif ou d’autres ne sont pas mentionnées dans les gazettes juridiques en dehors des rares cas où elles sont contestées devant les tribunaux. Il est donc difficile d’en évaluer la fréquence.

Même constat pour les étudiants : d’abord parce que les sections disciplinaires des universités, qui ont un faible rendement, ont déjà fort à faire avec les cas de tricherie et, de plus en plus, de violences dans l’établissement, qu’il s’agisse de violences sexistes ou en raison de l’origine. Ensuite parce que là encore, poursuivre un étudiant pour blocage sans violence braquerait la communauté étudiante. Le président d’université, qui dispose de l’opportunité des poursuites disciplinaires, sera plutôt tenté d’apaiser les choses.

La présidente de la région Île-de-France, Valérie Pécresse, a annoncé porter plainte contre le député pour « incitation au délit d’entrave et incitation à la violence ». Louis Boyard peut-il ainsi être poursuivi pour ses déclarations appelant au blocage des établissements scolaires ?

Dans son appel vidéo lancé sur plusieurs réseaux sociaux, Louis Boyard, député rappelons-le, appelle à violer la loi, ce qui en soi est assez remarquable, sinon choquant.

Reste que le choix des incriminations par Mme Pécresse laisse perplexe : de quel délit d’entrave s’agit-il ? Assurément pas celui du droit du travail, qui consiste à empêcher le fonctionnement ou contourner les organes de représentation des salariés (C. trav. art. L2317-1). Pas non plus le délit d’entrave à la fonction d’enseignant : l’article 10 de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, avait créé ce nouveau délit à la suite de l’assassinat de l’enseignant Samuel Paty. Il consiste à « entraver, d’une manière concertée et à l’aide de menaces, l’exercice de la fonction d’enseignant » : le blocage ne s’apparente nullement à une telle action (C. pén., art. 431-1). Il reste le délit d’entrave à la circulation prévu par le code de la route (art. L. 412-1), mais qui vise l’action d’« entraver ou de gêner la circulation, de placer ou de tenter de placer, sur une voie ouverte à la circulation publique, un objet faisant obstacle au passage des véhicules ou d’employer, ou de tenter d’employer un moyen quelconque pour y mettre obstacle ». Bloquer un lycée ou une université n’est pas bloquer la voie publique.

Quant à l’incitation à la violence, et sans préjuger, la mise en œuvre de cette incrimination dans le cas présent semble bien improbable : l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse punit « comme complices d’une action qualifiée de crime ou délit ceux qui, soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, (…)  par tout moyen de communication au public par voie électronique, auront directement provoqué l’auteur ou les auteurs à commettre ladite action, si la provocation a été suivie d’effet ».

Il est clair qu’en créant un « challenge » au blocage avec une récompense à la clé (la visite de l’Assemblée) pour les plus belles photos de blocage, Louis Boyard incite à de telles actions. Mais, d’abord, le juge assimile-t-il blocage et violence ? Rien n’est moins sûr, la loi pénale s’interprétant strictement. Ensuite, faudra-t-il le cas échéant imputer tous les blocages qui se seront produits à la vidéo de Louis Boyard et donc à lui-même, ou seulement ceux « revendiqués » par des étudiants et lycéens envoyant des photos de blocages ? En tout état de cause, cette disposition de la loi de 1881 est très rarement appliquée, au contraire de l’article suivant (art. 24) relatif à l’incitation, par les mêmes moyens, à des atteintes à la vie, à la haine raciale, ou encore à opérer des « destructions, dégradations et détériorations volontaires dangereuses pour les personnes ». Louis Boyard s’est montré imprudent, mais pas à ce point.