Par Rahima Nato Kalfane, Avocat Associée Cabinet BWG

La crise sanitaire mondiale que nous traversons touche toutes les familles, lesquelles sont confrontées au difficile dilemme de protéger la santé de leurs êtres chers, qui passe notamment par le respect des règles de distanciation sociale, et le maintien des liens de leurs enfants avec chacun de leurs parents.

Au sein de ces familles séparées, il y a celles, nombreuses, qui vivent dans des pays différents.

En temps normal, la distance géographique existante entre des enfants et un de leur parent nécessite la mise en place d’une organisation précise, incluant très souvent des déplacements et des voyages.

Comment, dans le contexte actuel de l’arrêt des moyens de transport, tant ferroviaires qu’aériens et de la fermeture des frontières, les familles internationales peuvent-elles faire face à ces difficultés qui mettent à mal l’intérêt des enfants, pour lesquels le maintien des relations avec leurs deux parents est d’une importance vitale ?

La réponse n’est évidemment pas simple.

En revanche, la conséquence immédiate de l’impossibilité de voyager est claire : elle oblige, en pratique, un parent à renoncer à l’exercice de son droit de visite et d’hébergement, lequel a souvent lieu durant les congés scolaires pour tenir compte de la distance géographique.

C’est dans ce contexte que de nombreuses familles internationales se sentent déstabilisées, et qu’elles s’interrogent sur la manière d’affronter ces difficultés, qui plus est en l’absence de textes traitant spécifiquement de ces situations.

Bien sûr, la majorité d’entre elles font preuve de bonne foi et parviennent à trouver des solutions dans l’intérêt bien compris de leurs enfants.

Mais cette période inédite de confinement est évidemment source de tension et propice à déclencher désaccords et conflits parentaux.

Comment les gérer ? Ouvrent-ils droit à un dépôt de plainte pénale pour non représentation d’enfant ? Sont-ils inclus dans les cas traités en urgence par les tribunaux, notamment ceux d’enlèvements ou de rétentions illicites d’enfants ?

Voici quelques exemples pratiques pour illustrer ces difficultés :

Dès l’annonce de la fermeture des écoles et du confinement obligatoire, de nombreux parents ont décidé de partir avec les enfants se « mettre au vert », quittant leur pays de résidence habituelle pour un autre pays, sans l’accord de l’autre parent. Est-ce un cas d’enlèvement/déplacement illicite d’enfants couvert par la Convention de la Haye de 1980 sur les enlèvements internationaux d’enfants, qui permettrait une saisine en urgence des tribunaux ?

Au moment des dernières vacances scolaires de fin d’année et d’hiver, des enfants ont pu voyager pour aller rendre visite à leur parent demeurant dans un autre pays ; mais avant leur retour, certains pays, à commencer par la Chine, ont dû fermer leur frontière ou décider de ne laisser revenir que leur citoyen, à l’exclusion des résidents étrangers même détenteurs d’un visa, comme c’est par exemple le cas des Émirats Arabes Unis, qui autorisent la sortie du territoire de ses résidents mais leur refusent l’entrée. Ces enfants n’ont donc pas pu rentrer dans l’État de leur résidence habituelle. Est-ce que cette situation expose le parent qui retient les enfants à une procédure de non-retour illicite couverte par la convention de la Haye de 1980 sur les enlèvements internationaux d’enfants ?

Quid de l’exercice du droit de visite et d’hébergement pour les familles transfrontalières ou européennes mais qui ne vivent pas si éloignées, qui s’est posé en ces termes : est-il possible et comment passer une frontière terrestre ou ferroviaire, par exemple avec la Belgique ou le Royaume-Uni ? Existe-t-il des différences dans les entrées et sorties du territoire selon qu’il s’agit de citoyens ou simplement de résidents ? Une fois sortie, est-il possible de revenir à l’issue du droit de ce droit de visite et d’hébergement ? Où se renseigner ?

  • Certains pays, le plus souvent via le site de leur ambassade, comme par exemple l’Allemagne, ont réaménagé les règles en prévoyant notamment que la frontière terrestre entre la France et l’Allemagne n’est pas fermée (contrairement à l’Espagne) mais soumise à des contrôles renforcés.  Ainsi, les retours vers la France des Français et résidents permanents en France sont autorisés (sur présentation de l’attestation de déplacement international vers la France métropolitaine et de l’attestation obligatoire pour tout déplacement en France), mais sont également autorisés les retours vers l’Allemagne des Allemands et résidents permanents en Allemagne. Il est en outre précisé que toutes les personnes entrant sur le territoire allemand à compter du 10 avril 2020 seront soumises à une quatorzaine obligatoire à domicile. Ainsi, le droit de visite et d’hébergement d’enfants français vivant en Allemagne doit être respecté et le refus sans motif légitime d’un parent de l’appliquer pourrait, en tous cas en théorie, donner lieu à un dépôt de plainte pour non représentation d’enfant.
  • S’agissant des déplacements entre la France et le Royaume Uni, via Eurostar, il est prévu que les voyageurs (impérativement munis des deux mêmes formulaires) sont autorisés à passer la frontière européenne uniquement s’ils sont :
    • Citoyens européens rentrant chez eux en Europe continentale ;
    • Citoyens non-européens titulaires d’un permis de séjour dans un pays de l’UE
    • Professionnels occupant des fonctions essentielles ;
    • Quant aux citoyens britanniques et non-européens, ils peuvent toujours voyager à destination du Royaume-Uni.

La même conclusion trouverait à s’appliquer pour des enfants français vivant en Angleterre avec l’un de ses parents et devant se déplacer en France pour rendre visite à l’autre.

Autant d’exemples et de sollicitations auxquels les avocats de la famille sont amenés à réfléchir et à répondre, au cas par cas, pour venir en aide à ces familles.

Voici quelques pistes de réflexion :

  1. Si une décision fixe les modalités d’exercice du droit de visite et d’hébergement du parent éloigné, le principe en est le respect dans la mesure du possible et dans l’intérêt des enfants ;
  2. En l’absence de décision judiciaire mais en présence d’une organisation mise en place d’un commun accord entre les parents suite à leur séparation, là encore, elle devrait être respectée ;
  3. Ainsi, la renonciation d’un parent à l’exercice du droit de visite et d’hébergement est nécessairement temporaire et en aucun cas, elle ne constitue une suspension du droit de visite et d’hébergement ;
  4. L’impossibilité pratique d’un parent d’exercer son droit de visite et d’hébergement ne peut pas non plus servir de prétexte à l’autre pour violer les règles de l’exercice commun de l’autorité parentale, en décidant par exemple de modifier unilatéralement et définitivement le lieu de la résidence habituelle des enfants (par exemple par le biais d’une demande de rapatriement dans son pays d’origine ou encore à la ré ouverture des frontières) ou leur établissement scolaire ;
  5. Il faut en appeler au bon sens et à la responsabilité des parents pour trouver des solutions ensemble :
    • Le parent confiné avec les enfants doit pouvoir favoriser les contacts par le biais de Facetime, Skype, etc. tout en adressant plus souvent à l’autre des nouvelles des enfants via l’envoi de photos, d’emails… ;
    • Prévoir d’ores et déjà une ré organisation des contacts une fois la crise passée, en proposant des solutions pour « rattraper » le temps, par exemple en augmentant la durée des semaines de vacances des enfants passées avec le parent éloigné, en proposant à l’autre parent de venir plus souvent et de faciliter son droit de visite et d’hébergement dans le pays de résidence habituelle des enfants, ce qui pourrait aussi se traduire par une aide financière exceptionnelle en proposant de partager les frais de voyage afférents à des déplacements supplémentaires…

Il est donc évident que pour ces familles qui vivent éloignées, une adaptation de l’organisation de la vie de leurs enfants est inévitable compte tenu des difficultés de se déplacer et de la fermeture des frontières rendant impossible tous voyages.

Sauf en cas de véritable enlèvement ou non-retour illicite d’enfants pour lesquels une procédure de retour en urgence est maintenue sur le fondement de la Convention de la Haye de 1980 et des textes adoptés par le gouvernement pendant la période d’état d’urgence, les désaccords entre les parents sur cette ré organisation ne peut, en l’état, à priori faire l’objet d’une saisine du juge en urgence.

Mais des solutions existent pour aider ces familles fragilisées, qui ont la possibilité de se faire aider par des professionnels compétents et formés à la résolution des conflits familiaux.

Si un groupe de médiation familiale d’urgence spécialement dédié à la gestion des conflits parentaux en raison du confinement vient d’être créé par l’Ordre des avocats du Barreau de Paris, le recours aux conseils d’avocats spécialistes en droit international de la famille peut s’avérer moins compliqué et plus efficace.

 

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