La loi transformant la fonction publique a été promulguée le 7 août 2019 au Journal officiel, une semaine après le feu vert du Conseil Constitutionnel. Certains députés critiquent ce texte car il méconnaîtrait selon eux « le principe d’égalité devant la loi pour l’accès aux emplois publics » et « le droit de grève » toutefois le Conseil constitutionnel a jugé toutefois que la loi ne porte pas atteinte à ces principes constitutionnels.

Décryptage par Olivier Dord, Professeur de droit public à l’Université Paris-Nanterre.

« Le texte simplifie le recours aux contractuels »

Quelle est la philosophie générale du texte ?

En dépit d’un titre ambitieux, la loi du 6 août 2019 n’opère pas de bouleversement du statut général des fonctionnaires. Elle offre en revanche, sur fond d’économies budgétaires attendues, de nouvelles et substantielles souplesses de gestion aux employeurs publics en n’hésitant pas, le cas échéant, à déroger aux règles classiques du fonctionnariat. La loi réforme cinq grands domaines : le dialogue social, les leviers managériaux, le cadre de gestion des agents ; leur mobilité et les transitions professionnelles. Ce texte est unanimement rejeté par les syndicats.

Les méthodes utilisées pour réformer ne sont pas nouvelles. La première est de transposer dans le droit de la fonction publique des mécanismes de droit du travail jugés plus souples : sont ainsi opérées une refonte des instances du dialogue social, l’expérimentation des ruptures conventionnelles pour les titulaires et les contractuels ou la création d’un « contrat de projet ».
La seconde méthode est la simplification des procédures : en témoignent l’extension du recours aux contractuels pour occuper des emplois publics ou la suppression des conseils de discipline de recours et de leurs équivalents. La dernière méthode est l’harmonisation des trois versants de la fonction publique, en matière de grilles des sanctions disciplinaires ou de réglementation du droit de grève. Le caractère très managérial de la loi du 6 août 2019 s’accompagne toutefois d’avancées réelles en matière sociale. Le protocole d’accord de 2018 sur l’égalité professionnelle entre femmes et hommes est mis en œuvre. La transition professionnelle des agents est mieux accompagnée. La politique d’emploi des personnes handicapées est rénovée.

Les principales dispositions contestées de la loi ont été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision n°2019-790 DC du 1er aout 2019.  Le texte entre en vigueur le 1er janvier 2020. Outre une cinquantaine de mesures d’application, quatre ordonnances sont attendues dans des domaines sensibles comme la réforme de la négociation collective ou celle de la haute fonction publique.

Quels sont les principaux apports de la loi ?

Ils sont au nombre de trois. Tout d’abord, en matière de dialogue social, la loi fusionne les comités techniques et les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail au profit d’une instance unique : les comités sociaux d’administration dans la fonction publique d’État, les comités sociaux territoriaux dans la territoriale et les comités sociaux d’établissement pour le versant hospitalier.

Chaque comité social sera désormais consulté sur des lignes directrices de gestion qui déterminent la stratégie pluriannuelle de pilotage des ressources humaines d’une collectivité publique. S’agissant des commissions administratives paritaires, elles sont désormais constituées par catégorie de fonctionnaires (A, B ou C) et non plus par corps ou cadres d’emplois. Leurs attributions sont par ailleurs recentrées sur les situations individuelles complexes : leur avis préalable est donc supprimé en matière d’avancement, de mutation ou de mobilité.

Ensuite, le recours aux contractuels dans la fonction publique est élargi de façon substantielle. D’une part, les emplois de direction sont ouverts de la façon suivante. Dans l’État, la liste des emplois retenus est fixée par décret en Conseil d’État. Dans la territoriale, sont concernés les emplois fonctionnels de directeur général des services des régions, départements et communes ou intercommunalités de plus de 40 000 habitants ou de directeur d’établissement public territorial. Dans le versant hospitalier, tous les emplois supérieurs sont ouverts. D’autre part, les autres catégories d’emplois sont également concernées. Ainsi dans l’État, des contractuels peuvent être recrutés sur des emplois désormais de toute catégorie hiérarchique lorsque la nature des fonctions, les besoins du service ou l’échec du recrutement d’un titulaire le justifient.

Enfin, la loi comprend un nouveau volet sur l’égalité professionnelle entre femmes et hommes qui reprend le protocole d’accord conclu le 30 novembre 2018. Les employeurs publics sont soumis à de nouvelles obligations : l’élaboration avant la fin 2020, à peine de sanction financière, d’un plan d’action relatif à l’égalité professionnelle incluant notamment des mesures sur la prévention et la lutte contre les discriminations, les rémunérations, la promotion et l’avancement de grade ; la mise en place d’un dispositif de signalement et de traitement des violences sexuelles, du harcèlement et des agissements sexistes. Enfin l’obligation de nomination équilibrée est précisée pour la composition des jurys de concours et adaptée pour les nominations et promotions dans les corps et cadres d’emplois.

Peut-on parler d’une nouvelle étape dans le renforcement du cadre déontologique des fonctionnaires ?

Il s’agit plutôt d’un prolongement des avancées issues de la loi du 20 avril 2016. Trois principales évolutions interviennent. D’abord, la Commission de déontologie de la fonction publique est abrogée. Ses attributions sont étendues et reprises par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).

Ensuite, en matière de contrôle des allers et, désormais, des retours entre Administration et secteur privé, la saisine obligatoire de la HATVP ne concerne que les agents jugés les plus exposés :

-ceux qui veulent pantoufler alors qu’ils « occupent un emploi dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions le justifient » (la liste sera fixée par décret) ;

-les personnes qui exercent ou ont exercé dans le privé durant les trois dernières années et dont la nomination est envisagée sur certains emplois fonctionnels ;

-les membres des cabinets ministériels et les collaborateurs du Chef de l’État qui veulent créer une entreprise, pantoufler ou ont exercé dans le privé avant leur nomination.

Enfin, les référents-déontologues créés en 2016 voient leur rôle renforcé. Lorsque l’autorité hiérarchique a un doute sérieux sur la compatibilité d’un projet de pantouflage, de création ou de reprise d’une entreprise avec les fonctions exercées par un agent public non soumis au contrôle obligatoire de la HATVP, elle saisit pour avis le référent déontologue compétent. Si le doute persiste, elle saisit alors la HATVP.

Pour aller plus loin :

Par Olivier Dord.