Actuellement en discussion au Parlement après que, ces dernières années, d’autres projets de textes ayant le même objet ont été abandonnés, la proposition de loi de transposition de la directive européenne 2016/943, du 8 juin 2016, « sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulguées (secret d’affaires) contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites », quelle que soit la marge de détermination (limitée) laissée aux autorités françaises, se heurte à de nombreuses critiques. L’appréciation de la valeur de ces dernières implique une juste connaissance du contenu et de l’apport du texte en préparation visant à introduire quelques dispositions nouvelles dans le Code de commerce.

Décryptage par Emmanuel Derieux, professeur de droit à l’Université Paris II Panthéon-Assas.

« Le texte détermine l’« information protégée » et les « détenteurs légitimes du secret des affaires »»

Quelle est la nature de la proposition de loi sur le secret des affaires ?

Comme l’a fait la directive européenne dont elle vise à assurer la transposition, l’« exposé des motifs » de la proposition de loi mentionne que « les entreprises investissent dans le développement et la mise en œuvre de savoir-faire et d’information, qui vont des connaissances technologiques aux données commerciales telles que les informations relatives aux clients et aux fournisseurs, les plans d’affaires ou les études et stratégies de marché » qui, lorsqu’ils ne peuvent pas être « couverts par un droit de propriété intellectuelle, doivent demeurer confidentiels, dans l’intérêt de l’entreprise en ce qu’ils constituent la base de ses capacités de recherche et développements. Ils méritent par conséquent de bénéficier d’une protection adéquate ».

Le texte en préparation détermine l’« information protégée » et les « détenteurs légitimes du secret des affaires ».

Pour ce qui est de l’« information protégée », est ainsi envisagée « toute information présentant l’ensemble des caractéristiques suivantes : 1° elle n’est pas (…) généralement connue ou aisément accessible (…) 2° elle revêt une valeur commerciale (…) 3° elle fait l’objet, de la part de son détenteur légitime, de mesures de protection raisonnables pour en conserver le secret ».

Est considéré comme « détenteur légitime d’un secret des affaires (…) celui qui l’a obtenu par l’un des moyens suivants : 1° une découverte ou une création indépendante ; 2° l’observation, l’étude, le démontage ou le test d’un produit ou d’un objet (…) 3° l’expérience et les compétences acquises de manière honnête dans le cadre de l’exercice normal de son activité professionnelle » ainsi que « celui qui n’a pas obtenu, utilisé ou divulgué ce secret de façon illicite ».

Quels sont les moyens envisagés pour protéger le secret des affaires ?

Identifiant différents moyens d’obtention, d’utilisation et de divulgation illicites de secrets des affaires, le texte en discussion envisage des moyens de prévention, de cessation ou de réparation des atteintes qui y seraient portées.

Il y est d’abord posé que « toute atteinte au secret des affaires (…) engage la responsabilité civile de son auteur », et seulement celle-là, à l’exclusion de toute disposition pénale.

Au titre des mesures de prévention, il est envisagé que la juridiction saisie puisse « prescrire, y compris sous astreinte, toute mesure proportionnée de nature à empêcher ou à faire cesser une atteinte au secret des affaires » et notamment « 1° interdire la réalisation ou la poursuite des actes d’utilisation ou de divulgation d’un secret des affaires ; 2° interdire les actes de production, d’offre, de mise sur le marché ou l’utilisation des produits résultant de l’atteinte au secret des affaires (…) 3° ordonner la destruction totale ou partielle de tout document, objet, matériau, substance ou fichier numérique contenant le secret des affaires ».

Diverses dispositions sont par ailleurs destinées à renforcer la protection du secret des affaires, contre des risques de divulgation, au cours même de la procédure.

Quelles seront les garanties des droits concurrents ?

Dans le texte en préparation, la garantie de droits concurrents découle de la détermination de diverses « dérogations à la protection du secret des affaires ».

L’« exposé des motifs » de la proposition de loi fait état de ce que la directive européenne invite « les Etats membres à veiller à ce que la mise en place du dispositif de protection du secret des affaires ne modifie pas le cadre juridique permettant de protéger l’exercice du droit à la liberté d’expression et de communication, les droits des salariés (…) ainsi que les lanceurs d’alerte et plus largement toute personne qui révèle une information visant à la protection d’un intérêt légitime reconnu par le droit de l’Union européenne ou le droit national ».

A ce titre, il est notamment prévu que la protection du secret des affaires ne s’applique pas « lorsque l’obtention, l’utilisation ou la divulgation du secret est intervenue : 1° pour exercer le droit à la liberté d’expression et de communication (…) 2° pour révéler de bonne foi une faute, un acte répréhensible ou une activité illégale dans le but de protéger l’intérêt public général, y compris lors de l’exercice du droit d’alerte tel que défini par l’article 6 de la loi n° 2016-1691, du 9 décembre 2016 (…) 3° pour la protection d’un intérêt légitime (…) et notamment pour la protection de l’ordre public, de la sécurité publique et de la santé publique ».

La détermination des secrets protégés et des moyens de leur protection, autant que celle de droits concurrents, telles qu’envisagées par le texte en préparation, susceptible d’un contrôle de constitutionnalité (avant la promulgation du texte ou dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité), et dont il reviendra aux juges d’assurer à l’application, dans le respect du contradictoire, des droits de la défense et des voies de recours, et sous l’autorité des juridictions européennes (éventuelles questions préjudicielles portées devant la Cour de Justice de l’Union Européenne et saisine de la Cour européenne des droits de l’homme), ne devraient-elles pas suffire à rassurer ceux qui, notamment parmi les journalistes -qui, avec force, revendiquent le droit au secret de leurs sources d’information !- et lesdits « lanceurs d’alerte », disent craindre une telle protection du secret des affaires ?

Par Emmanuel Derieux