Par Hélène Pauliat, Professeure de Droit public à l’Université de Limoges

Dans un discours prononcé le 20 septembre 2021 devant plus de 300 harkis, le Président Macron a regretté les « manquements » passés de la République vis-à-vis de certains de ses « enfants ». « Aujourd’hui, au nom de la France, (…) je demande pardon », a-t-il déclaré, souhaitant « panser les plaies tant qu’elles ne seront pas refermées ». Cependant, la réparation pécuniaire ne suffit pas et le Président de la République a confié au Gouvernement la rédaction d’un « texte de loi de reconnaissance et de réparation » ; une commission nationale devrait être mise en place, pour « superviser le processus de recueil des témoignages des victimes » de ce que le chef de l’Etat a appelé « l’abandon militaire » et « la maltraitance des familles sur notre sol ». Ces déclarations cherchent à mettre fin à la tension toujours présente chez les harkis, sans pourtant réécrire l’histoire et donner une vérité politique à un conflit historique. La démarche suivie par le chef de l’Etat, qui vise également à normaliser nos relations avec l’Algérie, n’est pas complètement originale, le texte doit donner lieu à réparation pour garder la mémoire de la période.

Un pardon au nom de la France dans la lignée de la reconnaissance de la responsabilité de la France pendant la seconde guerre mondiale ?

En son temps, le Président de la République Jacques Chirac avait ouvert la voie à une reconnaissance de la responsabilité de la France, de la République française, pour les rafles de Juifs effectuées en France, suivies de déportations de plusieurs milliers de personnes. Le 16 juillet 1995, lors de la cérémonie commémorant la rafle du Vel d’hiv de juillet 1942, le chef de l’Etat avait évoqué ces « moments qui blessent la mémoire ».  « La France, patrie des Lumières et des Droits de l’Homme, terre d’accueil et d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable ». Il fallait donc pour Jacques Chirac témoigner et surtout « reconnaître les fautes du passé, les fautes commises par l’Etat ». Il reconnaissait alors une faute collective de la France, qu’elle s’appelle République ou Etat français ; certes, la France des lumières n’a jamais été à Vichy, mais la continuité de l’Etat impose cette responsabilité. Il faut assumer cette faute collective.

Cette reconnaissance politique a eu des conséquences : le Conseil d’Etat, dans un avis Hoffman-Glemane rendu le 16 février 2009 (n°315499, qui a suivi l’arrêt CE, Ass., 12 avril 2002, Papon n°238689), a insisté sur les persécutions antisémites qui ont provoqué des dommages exceptionnels et d’une gravité extrême, « en rupture absolue avec les valeurs et principes, notamment de dignité de la personne humaine, consacrés par la Déclaration des droits de l’homme et par la tradition républicaine ». La haute instance a reconnu que les agissements d’une exceptionnelle gravité auxquels ces actes [du gouvernement de Vichy] ont donné lieu avaient le caractère d’une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat ». Et de manière totalement inédite, le Conseil d’Etat a fait référence au discours de Jacques Chirac : « le Président de la République a, le 16 juillet 1995, solennellement reconnu (…) la responsabilité de l’Etat au titre des préjudices exceptionnels causés par la déportation des personnes que la législation de l’autorité de fait se disant gouvernement de l’Etat français avait considérées comme juives ».

A une réparation pécuniaire nécessairement limitée, qui a consisté en l’attribution de pensions, d’aides, d’indemnités, de mesures de réparation plus ou moins sectorielles, devait s’ajouter une reconnaissance solennelle du préjudice exceptionnel subi. La reconnaissance de la responsabilité de l’Etat, de la France, alors que certains souhaitaient établir une rupture entre la République et Vichy, a donc ouvert la voie à un engagement de cette responsabilité devant la juridiction administrative.

La déclaration d’Emmanuel Macron, qui a demandé pardon, suit, elle, la mise en jeu de la responsabilité de l’Etat, qui a déjà été reconnue par le Conseil d’Etat (CE, 3 oct. 2018, M. A…), n° 410611). Ce dernier a admis l’engagement de cette responsabilité en caractérisant comme indignes les conditions de vie réservées aux anciens supplétifs de l’armée française en Algérie et à leurs familles dans des camps, ainsi que les restrictions apportées à leurs libertés individuelles… Il y a bien eu faute de l’Etat, et, à la différence de la situation précédente, il était impossible d’invoquer la responsabilité d’une autre autorité de fait ; c’est bien la République qui, dans une période troublée, a abandonné les siens.

Quelles mesures pour indemniser, autant qu’il est possible, les préjudices subis par les harkis ?

Si la reconnaissance solennelle des préjudices exceptionnels subis par les familles de déportés réside, entre autres, dans le discours de Jacques Chirac, la situation est un peu différente pour les harkis. Comme dans le premier cas, des mesures financières ont été prises par l’Etat ; une reconnaissance solennelle du préjudice a eu lieu avec la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés. Mais alors que le Conseil d’Etat, dans l’avis précité, avait jugé que les mesures devaient être regardées comme ayant permis, autant qu’il a été possible, l’indemnisation des préjudices de toute nature causés par les actions de l’Etat qui ont concouru à la déportation, le juge administratif n’est pas arrivé au même résultat en 2018, estimant que les mesures prises ne pouvaient pas, précisément, « être regardées comme ayant permis, autant qu’il est possible, l’indemnisation des préjudices ».

La reconnaissance solennelle de la responsabilité de l’Etat conduit donc, au plan politique, à l’ouverture d’un mécanisme de réparation élargie, par une loi de reconnaissance et de réparation. Cette reconnaissance officielle et solennelle suit celle, plus discrète, de la responsabilité de l’Etat dans l’enlèvement, la torture et l’assassinat de Maurice Audin par des militaires français à Alger en 1957 (déclaration remise par le Président Macron à la veuve de Maurice Audin le 13 septembre 2018), après des années de mensonge d’Etat.

Les préjudices sont bien exceptionnels, compte tenu de l’abandon des harkis, de leur internement dans des camps, de leur mise à l’écart de la société. Mais la réparation ne sera pas (que) pécuniaire, et les 22 propositions du rapport Stora remis en janvier 2021 au Président de la République (Rapport sur les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie) donnent un certain nombre de pistes. Il sera nécessaire de dépasser les tabous, de commémorer les massacres et les disparitions. Le Président Macron a déjà présidé une cérémonie de commémoration des évènements de 1961 le 17 octobre 2021 et en a annoncé une autre pour le soixantième anniversaire des accords d’Evian le 19 mars 2022.

Quelle forme de reconnaissance pour redonner toute leur place aux harkis dans la société ?

Quel peut être le contenu et l’objet de la loi de reconnaissance et de réparation ? Si le texte s’inspire des recommandations du rapport Stora, et sachant que le président de la République a précisé que la loi « n’a pas vocation à dire ce qu’est l’Histoire », il devrait permettre d’ouvrir très largement le champ des recherches sur les évènements et massacres, d’enseigner la guerre d’Algérie en l’appelant par son nom, d’échanger entre communautés, faire des quatre camps d’internement des lieux de mémoire… Peut-on aller au-delà dans cette recherche de mémoire collective, le travail de rédaction ayant été confié à la Ministre de la Mémoire et des anciens combattants ? « La mémoire n’est pas seulement connaissance ou souvenir subjectif de ce qui a eu lieu, surgissement du passé dans le présent, elle se développe comme porteuse d’affirmation identitaire et de revendication de reconnaissance » (Rapport Stora, p. 7). C’est essentiellement une reconnaissance solennelle qui est ainsi envisagée : il ne s’agit pas de réparations pécuniaires, pas simplement de pardon, mais de travailler sur la réconciliation, la compréhension des évènements, la recherche des sépultures des disparus. Ce sont des gestes politiques et symboliques qui sont attendus, pour permettre aux harkis de ne plus être hors de la société mais partie prenante d’elle. Le travail, qui inclut une collaboration universitaire poussée, n’a ainsi pas pour objectif de donner la vérité unique sur les évènements, le Parlement ne pouvant se substituer au travail de l’historien, mais de permettre des recherches et des échanges croisés entre les deux pays, de redonner du sens à la communauté nationale… et l’on a pu constater, depuis le discours du Président Macron, qu’une phrase peut déclencher une crise diplomatique.

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