Le président américain, Donald Trump, a récemment affirmé vouloir taxer les véhicules automobiles importés aux États-Unis. Après le retrait de plusieurs accords et la mise en place de taxes douanières sur l’aluminium et l’acier importés, jusqu’où peuvent aller les États-Unis ? Comment l’Union Européenne peut-elle réagir de son côté ?

Décryptage par Habib Gherari, professeur de droit à l’Université d’Aix-Marseille.

« Si ce projet voit le jour et si la justification annoncée est maintenue, l’Union Européenne, pour réagir, aurait à choisir entre plusieurs voies possibles, pas forcément exclusives les unes des autres »

Dans quel contexte interviennent ces menaces économiques de Donald Trump ?

Depuis son accession aux responsabilités, le Président des États-Unis, Donald Trump, a pris toute une série d’initiatives mettant à mal le système international dans son ensemble (retrait de l’accord sur le climat, de l’accord avec l’Iran, etc.), et le système commercial international en particulier. L’objectif poursuivi est d’améliorer la balance commerciale des États-Unis, il est vrai lourdement déficitaire, et de stimuler l’emploi en incitant les entreprises à localiser ou à relocaliser leurs productions sur le sol américain.

C’est dans ce contexte que, le 23 mai 2018, le Président Trump a décidé de lancer une enquête avec le but affiché d’augmenter les taxes douanières sur les véhicules importés. Les importations de véhicules particuliers  seraient passées de 32 % à 48 % du total des véhicules vendus aux États-Unis. Comme pour l’augmentation des tarifs douaniers de l’acier et l’aluminium, cette initiative est fondée sur la protection de la sécurité nationale des États-Unis (Section 232 du Trade Expansion Act de 1962). Cette nouvelle initiative s’ajoute à celles déjà prises, qui ont beaucoup fait parler d’elles et provoqué nombre de réactions internationales (y compris au plan contentieux). Ainsi de l’augmentation des tarifs douaniers sur l’importation de l’acier et de l’aluminium avec toutefois des exemptions temporaires pour certains partenaires (dont l’UE), des multiples restrictions visant la Chine à laquelle sont adressés maints reproches, etc. À ceci il faut ajouter la politique d’obstruction suivie à l’OMC (blocage de la nomination des juges) qui menace de miner un peu plus le crédit de cette Organisation internationale, déjà fragilisée.

Dans le cadre d’échanges commerciaux internationaux, les États-Unis peuvent-ils mettre en place autant de barrières douanières que souhaitées?

 Le principe en la matière est que si le droit de douane a fait l’objet d’un engagement tarifaire dans le cadre d’un accord commercial régional, ou dans le cadre de l’OMC, il est consolidé et par suite il ne peut en règle générale être augmenté (l’inverse ne posant aucun problème est-il besoin de le dire). Les droits américains sont consolidés : sur les voitures ils sont bien plus bas (2,5%) que le même taux européen (10%) ; mais sur les camions et Pick-up, la situation semble inverse (14% pour le tarif européen, et 25% pour le taux américain).

Une telle règle connaît toutefois des assouplissements au nom du réalisme et de l’évolution de la conjoncture économique dont on connaît la rapidité et l’imprévisibilité. Ainsi la consolidation est triennale, et le taux peut être augmenté, mais moyennant des conditions de forme et de fond. Dans certaines circonstances de crise économique, un Membre de l’OMC peut également prendre des mesures de sauvegarde sous la forme, en général, d’augmentation de droits de douane sur le produit importé qui perturbe la production intérieure.

Enfin, il existe toute une série d’« exceptions », telle celle relative à la protection de la santé, qui, moyennant la réunion de conditions communes ou particulières à chacun d’eux, permettent aux États importateurs de restreindre les importations. Entre autres exemples, celui tiré de la protection de la sécurité nationale que l’on retrouve dans le droit de l’OMC (article XXI du GATT de 1994), mais aussi dans nombre d‘accords commerciaux régionaux (tels l’ALENA précité, article 2102).

Quelle pourrait être la réaction de l’Union Européenne si ces taxes douanières automobiles voient le jour ?

 Si ce projet voit le jour et si la justification annoncée est maintenue, l’UE aurait à choisir entre plusieurs voies possibles, pas forcément exclusives les unes des autres. Il s’agit de la voie multilatérale, unilatérale et bilatérale

Contester la légalité de la mesure américaine en niant que l’article XXI du GATT de 1994 puisse être valablement invoqué dans le cas d’espèce. L’UE devrait emprunter la voie multilatérale : saisir l’OMC, y introduire une action contentieuse et démontrer que l’article XXI du GATT vise la sécurité au sens habituel, et non les difficultés commerciales d’un pays fussent-elles avérées.

La voie unilatérale offre le choix suivant :

  • Ou bien considérer qu’en réalité il s’agit d’une augmentation tarifaire purement et simplement, mais sans respect des conditions de forme et de fond exigées par le GATT pour ce faire (article XXVIII).
  • Ou bien faire valoir que la mesure américaine est une mesure de sauvegarde masquée, qui ne respecte aucune des conditions prévues par l’Accord de l’OMC sur les sauvegardes. Ceci fait, dresser une liste de produits américains à surtaxer pour compenser le préjudice subi par les exportateurs de l’UE. Bref, dupliquer la réaction récente de l’UE face à l’augmentation des tarifs sur l’acier et l’aluminium.

Négocier un accord commercial bilatéral, une sorte de TTIP (ou TAFTA) de moindre portée, du nom de l’ambitieux accord commercial bilatéral négocié par les deux parties à partir de 2013 puis abandonné en 2016/2017. Cet accord aurait une moindre portée que le TTIP précité (ou que le CETA conclu par l’UE avec le Canada). Ainsi, il n’aborderait plus la question des investissements et d’autres questions sensibles qui ont divisé les parties ou suscité l’hostilité de la société civile.

Mais point trop n’en faut, il ne faut que son objet soit trop rétréci car il risquerait alors de se heurter à des objections au niveau de l’OMC, les accords commerciaux régionaux partiels étant en principe non compatibles avec les exigences de l’OMC (article XXIV du GATT). Cette voie, tout à fait possible, suppose des concessions de part et d’autre, et elle aurait l’avantage de réserver les concessions tarifaires échangées aux deux seules parties suivant la logique de l’approche préférentialiste.

Par Habib Gherari