Par Aurélien Antoine – Professeur à la Faculté de droit de l’Université Jean Monnet et Directeur de l’Observatoire du Brexit

« The EU and UK are partners. […] I look forward to a constructive relationship, in full respect of our agreements” a tweeté U. Van der Leyen, présidente de la Commission européenne lundi 5 septembre dernier. À cette date, Liz Truss devenait officiellement première ministre du Royaume Uni après sa rencontre avec la reine Elizabeth II. Fervente défenderesse du Brexit, cette nouvelle Première ministre pourrait éloigner encore plus Union européenne et Royaume Uni.

Quelles ont été les modalités de la désignation de Liz Truss à la tête du parti conservateur ?

Le 7 juillet, Boris Johnson a annoncé qu’il quitterait la tête du parti conservateur et son poste de Premier ministre jusqu’à l’arrivée d’un nouveau leader. La formation tory étant la plus représentée à la Chambre des Communes depuis les élections de décembre 2019, son chef est forcément désigné Premier ministre par le monarque en application d’une convention de la Constitution. C’est la mise en œuvre classique d’un principe de démocratie parlementaire qui veut que le dirigeant du parti qui a obtenu le plus de voix aux dernières élections se voie proposer de former un gouvernement. Il convient de souligner que, même en présence d’une majorité relative, le monarque est contraint d’en appeler au chef du parti le mieux placé pour constituer une équipe gouvernementale (tel fut le cas en 2010 avec David Cameron qui s’était allié avec les libéraux-démocrates). La doctrine spécialiste de la Constitution britannique continue de débattre de la question de savoir si le monarque pourrait s’immiscer dans le choix du Premier ministre en cas de difficulté à former un gouvernement.

D’un point de vue strict, les militants conservateurs n’ont pas « élu la Première ministre » comme cela est trop souvent écrit dans la presse généraliste. Ils ont élu une cheffe qui, par sa fonction de leader du premier parti à la Chambre des Communes, est convoquée par la Reine pour être nommée Première ministre (en l’espèce à Balmoral en Écosse, ce qui est inédit depuis le début du règne d’Élisabeth II). La nomination d’un nouveau Premier ministre est donc formellement un acte de l’Exécutif ressortissant à la catégorie de la prérogative royale et dont les effets doivent être conformes aux résultats du processus ayant permis de désigner le chef du parti majoritaire aux Communes.

La victoire de Liz Truss est-elle de nature à simplifier les rapports avec l’Union européenne à propos du Protocole nord-irlandais annexé à l’accord de retrait de l’UE ?

Il y a environ un an, lorsque Liz Truss a été nommée ministre des Affaires étrangères chargée notamment des relations avec l’Union européenne, un soulagement relatif s’exprimait dans les arcanes de la diplomatie européenne. En effet, son prédécesseur, Lord Frost, avait démissionné en partie parce qu’il considérait la position du Cabinet (organe de décision regroupant les principaux membres du gouvernement britannique) trop conciliante sur le sujet du Protocole nord-irlandais. Liz Truss, qui fut dans un premier temps hostile au Brexit avant d’en devenir l’une des plus ferventes promotrices, a rapidement douché les espoirs des Européens d’un réchauffement des relations avec le Royaume-Uni. Zélée comme toute personne fraîchement convertie à une cause, elle a porté le projet de loi sur le Protocole nord-irlandais qui devrait poursuivre son parcours législatif malgré le changement de gouvernement. Ce texte viole pourtant directement les traités de Brexit sur plusieurs points et se fonde sur une interprétation erronée du droit international public.

Depuis le début de l’année, cinq procédures ont été lancées par l’UE à l’encontre du Royaume-Uni, à la fois sur le fondement des mécanismes de résolution des conflits prévus par les traités de Brexit, par l’engagement de la procédure en manquement du droit de l’Union européenne (dans la mesure où l’Irlande du Nord continue d’être soumise pour une large part aux règles européennes en matière commerciale et d’aides d’État), et en application du droit de l’Organisation mondiale du commerce (à propos de la violation éventuelle de l’article III :4 du GATT par un dispositif de compensation des coûts de l’énergie ayant pour objet de soutenir les industries éoliennes britanniques).

Du côté britannique, le gouvernement a, le 17 août, amorcé un recours contre l’UE pour violation du traité de commerce et de coopération en ce qui concerne l’accès aux programmes scientifiques, en particulier Horizon Europe, un programme européen de financement de la recherche et de l’innovation au bénéfice principalement d’entreprises implantées au sein de l’Union européenne. Il faut espérer que la discussion du projet de loi au Parlement conduira à l’adoption d’amendements écartant ou diminuant la portée des articles les plus problématiques, notamment le pouvoir unilatéral des ministres de suspendre le Protocole.

Liz Truss va-t-elle poursuivre la politique de son prédécesseur dans le champ des droits et libertés fondamentaux ?

En sus des vives tensions qui se perpétuent dangereusement dans le contexte actuel entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, le gouvernement de Boris Johnson s’est résolument engagé dans un processus d’affaiblissement du principe de rule of law (principe juridique, mais aussi culturel qui peut être traduit par l’attachement à la prééminence du droit). Boris Johnson a tenté de restreindre les pouvoirs des juridictions (Judicial Review and Courts Act 2022), de limiter les droits des plus fragiles (notamment des migrants comme l’atteste le protocole d’accord conclu avec le Rwanda qui externalise l’accueil des demandeurs d’asile en situation irrégulière), de s’attaquer à la liberté d’expression (Higher Education (Freedom of Speech) Bill), et de remettre en cause le Human Rights Act de 1998 qui transpose la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales en droit interne (Bill of Rights Bill).

Sur tous ces sujets, Liz Truss a été floue et ne s’est jamais montrée hostile à l’œuvre destructrice du précédent Cabinet. L’attribution du portefeuille de ministre de l’Intérieur à Suella Braverman est aussi un signal fort dans cette direction, car elle est considérée comme l’une des conservatrices les plus défavorables à l’Europe des droits de la personne humaine et à l’Union européenne. En revanche, le nouveau Cabinet recèle une personnalité plus pondérée dans une équipe de fidèles de la Première ministre. Tom Tugendhat, qui s’était rallié à Liz Truss durant la campagne, sera chargé des questions de sécurité. C’est un centriste parmi les tories et il fut l’un des parlementaires les plus critiques à l’encontre de Boris Johnson. Quant à Brandon Lewis, le ministre de la Justice, il est sans doute moins virulent que son prédécesseur, Dominic Raab, sur le sujet des droits et libertés fondamentaux. Quoi qu’il en soit, c’est le pragmatisme qui semble s’imposer pour l’instant à l’Exécutif britannique. Conscient de la gravité de la situation du pays et souhaitant sans doute éviter des complications juridiques supplémentaires inutiles, le gouvernement a finalement abandonné le Bill of Rights Bill de Dominic Raab, texte considéré comme accessoire par rapport aux enjeux de la crise actuelle. Ce ne sera peut-être que partie remise.

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