Par Romain Laffly, avocat associé, Lexavoué Lyon, et Matthieu Boccon-Gibod, avocat associé, Lexavoué Paris-Versailles

Au Journal Officiel du 16 avril dernier, a été publiée l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie de covid-19.

Dans les faits, ce texte apporte des modifications et compléments aux dispositions prises par l’ordonnance 2020-306 du 25 mars dernier. Ils étaient réclamés et seront, sans aucun doute, les bienvenus, pour certains.

Les autres, au nombre desquels figurent les praticiens de la procédure d’appel, se sont précipités sur ce texte pour s’assurer de la stabilité du système tout juste mis en place pour la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire.

Ils auront eu le soulagement de constater que, finalement et contrairement à certains bruits qui ont pu courir, le nouveau texte n’impacte pas, sur ce point, les formules adoptées par le texte du 25 mars (voir notre article : Une autre conséquence du Covid-19 : de nouveaux délais en appel !).

Mais, seuls ceux qui se sont contentés de la lecture de l’ordonnance sont aujourd’hui pleinement rassurés.

En effet, le prologue à ce nouvel épisode procédural que constitue le Rapport présentant la nouvelle ordonnance au Président de la République, ne manque pas de montrer que la Garde des Sceaux entend faire jouer le suspense lorsqu’elle précise ceci :

L’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 a instauré un dispositif de report de divers délais et dates d’échéance. Elle a défini pour cela, au I de l’article 1er, une « période juridiquement protégée » qui court à compter du 12 mars 2020 jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire. A ce jour, compte tenu des dispositions de l’article 4 de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, la durée de l’état d’urgence sanitaire est prévue pour s’achever le 24 mai 2020, de sorte que la « période juridiquement protégée » s’achèverait un mois plus tard.

L’ordonnance du 25 mars 2020 sur les délais, comme d’ailleurs d’autres ordonnances adoptant des mesures d’urgence pour faire face à l’épidémie, ont ainsi défini la fin du régime qu’elles ont instauré en fonction de la fin de l’état d’urgence sanitaire.

La date d’achèvement de ce régime dérogatoire n’est toutefois ainsi fixée qu’à titre provisoire. En effet, elle méritera d’être réexaminée dans le cadre des mesures législatives de préparation et d’accompagnement de la fin du confinement. Vous avez annoncé dans votre allocution du 13 avril 2020, que la fin du confinement devrait s’organiser à compter du 11 mai 2020. Selon les modalités de sortie du confinement qui seront définies par le Gouvernement, il conviendra d’adapter en conséquence la fin de la « période juridiquement protégée » pour accompagner, le cas échéant plus rapidement qu’il était initialement prévu, la reprise de l’activité économique et le retour aux règles de droit commun de computation des délais. »

Certes, il était d’ores et déjà acquis, aux termes de la loi d’urgence n° 2020-290 du 23 mars 2020, que la levée de l’état d’urgence sanitaire pourrait intervenir, avant le terme prévu, par simple décret pris en conseil des ministres.

Dès lors, la ministre de la Justice est parfaitement fondée à rappeler que la période juridiquement protégée est susceptible d’être abrégée et, par là même, que la prorogation des délais impartis pour accomplir les très nombreuses diligences inhérentes au procès (déclaration d’appel, conclusions, signification des actes, etc.) pourra être moins ample que prévue.

Mais, et c’est bien là que le suspense devient source d’insécurité, les différents acteurs du procès sont contraints, à la lecture de ce rapport, de demeurer spectateurs, dans l’attente d’un éventuel décret qui, seul, leur permettra de connaître la fin de l’intrigue.

On peut pourtant s’interroger sur l’impact, au-delà de l’effet d’annonce, d’une anticipation de la « reprise de l’activité économique et le retour aux règles de droit commun de computation des délais », lorsque la variable d’ajustement se situe entre le 11 mai, si tout va bien, et le 24 mai, si tout va mal, date initiale de la cessation de l’état d’urgence sanitaire.

Cela est d’autant plus vrai que l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 n’interdit aucunement l’accomplissement des actes de procédure dans le délai légal imparti et que la reprise économique est sans doute bien moins liée à la prorogation des délais, pour une période qui va de quelques jours jusqu’à deux mois maximum (c’est dire), qu’à la reprise, effective, de l’activité des juridictions.

Dans ces conditions, alors que le fonctionnement des tribunaux et des cours est, en matière civile et commerciale, quasiment à l’arrêt (impossibilité d’enrôler, communication par voie électronique bloquée, annulation des audiences de mise en état comme de celles de plaidoirie…), le véritable enjeu de la reprise économique réside d’abord et avant tout dans la possibilité, pour les justiciables et leurs avocats, de saisir les juridictions, de voir les affaires reprendre leur cours et d’avoir quelques certitudes quant à leur examen.

En outre, alors qu’il est acquis que la réduction de quelques jours des délais pour accomplir les actes de procédure n’aura aucune incidence sur l’activité économique du pays, où est passé le principe de sécurité juridique encore récemment rappelé par la cour de cassation ?
Où est, encore, la prévisibilité dont les justiciables et leurs conseils ont besoin en ce moment, plus que jamais ?

Plutôt que d’aller de l’avant et de s’organiser avec la méthode et les délais actuellement en vigueur, ceux-ci vont donc devoir continuer à surveiller, comme le lait sur le feu, les prochaines annonces du gouvernement et ne pas prendre pour acquis les calculs faits et les nouvelles dates notées dans leurs agendas.

Les voilà donc dans l’impossibilité de s’organiser convenablement dans l’attente du prochain épisode, dont ils ignorent encore la date de parution au Journal Officiel, et plus encore le clap de fin.

 

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