Par Jean-Baptiste Vila, Maître de conférence en droit public, directeur scientifique de la Chaire Régulation des jeux, Université de Bordeaux
Le 17 février 2022, l’Autorité nationale des jeux a adopté des lignes directrices visant à renforcer le cadre de la publicité applicable aux opérateurs de jeux d’argent. Ces lignes directrices devront être mises en application complète à compter du 1er septembre prochain et sont d’abord issues de réflexions menées à la suite d’une compétition sportive : l’Euro de football de 2021. A cette occasion, des représentants d’association et des élus (députés, sénateurs) ont considéré que la publicité opérée par les opérateurs de jeux en ligne était parfois « agressive ». En juillet 2021, l’Autorité nationale des jeux considérait ainsi que : « Cette compétition a souligné l’existence de pratiques contestables autour du pari sportif, telles que le matraquage publicitaire, le ciblage des jeunes ou la stimulation excessive du jeu ». Le sujet a été repris ensuite dans la presse et dans le cadre du débat public (Assemblée nationale). C’est pourquoi le régulateur a considéré qu’il fallait agir et réfléchir à la pertinence du cadre juridique de la publicité de ces supports auprès du grand public. Il a lancé une consultation publique au dernier trimestre 2021 en mobilisant les acteurs (opérateurs, représentants d’association, médecin, juriste, économiste…). Au cours de cette consultation, la Chaire « Régulation des jeux » (que l’auteur dirige à l’Université de Bordeaux aux côtés du professeur Aude Rouyère et de Sébastien Martin) a mené réflexion sur ce sujet. Les lignes directrices adoptées par l’ANJ se situent dans la lignée de ces réflexions menées au dernier trimestre 2021.

Quels sont les acteurs/opérateurs visés par ces lignes directrices ?

Les premiers concernés sont les opérateurs de jeux d’argent. Rappelons tout de suite qu’ils se distinguent selon les segments de jeux d’argent (les paris sportifs, le poker en ligne, les casinos dits « en dur » c’est-à-dire implantés dans une commune, le loto et les jeux de grattage, les paris hippiques). Si le sujet initial concernait les paris sportifs liés à une compétition spécifique, les lignes directrices se veulent toutefois plus larges.

S’agissant des opérateurs donc, ils sont les premiers concernés et responsabilisés par ce cadre indicatif formulé par l’Autorité nationale des jeux. Mais ils ne sont pas les seuls bien évidemment car les lignes directrices ont pris en compte des supports un peu plus novateurs en suivant l’évolution des tendances en matière de communication autour des jeux d’argent. Ainsi elles tendent à responsabiliser des relais de communication des jeux d’argent en particulier ce que l’on nomme « les influenceurs » sur les plateformes destinées à un public plutôt jeune. L’objectif est ainsi de prévenir autant que possible les problématiques liées au jeu d’argent (on pense ici au jeu excessif dont on peine à avoir une définition et des critères précis d’identification, tout comme une quantification) et mettre en œuvre de manière plus stricte l’interdiction faite aux mineurs d’avoir recours au jeu d’argent.

La nationalité de ces opérateurs importe peu, les lignes directrices visent ainsi tout opérateur autorisé ou agrée qui officie sur le territoire national.

Quelles évolutions/mesure ces acteurs vont-ils devoir prendre pour assurer leur conformité à ces lignes directrices ? 

L’évolution la plus probable pourrait consister en une diminution des messages publicitaires qui pourraient être considérés comme tendancieux. Certains exemples lors de l’Euro de football de 2021 risquent très certainement (l’avenir nous le dira) de ne pas se reproduire. Ce sont en tout cas les objectifs poursuivis par les lignes directrices produites par l’Autorité nationale des jeux : faire baisser la pression sur les publics vulnérables ; réguler les leviers numériques de communication (exercer un contrôle sur les publicités numériques ou les messages véhiculés par « les influenceurs ») ; améliorer la visibilité des messages de prévention ; normer un peu plus le contenu publicitaire relatif aux jeux d’argent.

Plusieurs idées ont ainsi émergé. Celle d’éloigner la publicité des jeux d’argent des moments d’audience ou des supports avec audience d’un public assez jeune est assez symptomatique (on notera qu’elle relève d’une pratique mise en place déjà en amont par des opérateurs, ce qui montre les interrelations entre opérateurs et régulateur).

Le contenu des publicités devient aussi de facto plus calibré à la fois quant au message qui est véhiculé (et ses conséquences), mais aussi quant aux éléments d’informations du public afin de prévenir les risques liés au jeu d’argent. L’objectif est clairement affiché de lutter contre une forme de banalisation des jeux dans le contenu publicitaire et de lutter, là aussi sur le fond de la communication commerciale, contre les messages incitant un public à jouer alors qu’il y est interdit. Plus globalement, l’objectif est de compléter le dispositif du décret du 4 novembre 2020 encadrant le contenu des communications commerciales.

Quels éléments viennent garantir l’efficacité du dispositif ou au contraire en atténuer la portée ?

Sans contrôle, voire sanction, l’effectivité de la norme, de la règle ou, ici, de lignes directrices est relative. C’est pourquoi le dispositif mis en place par le régulateur a prévu qu’en cas de manquements aux lignes directrices, l’Autorité nationale des jeux pourra demander un retrait de la communication commerciale, voire engager des poursuites devant sa commission des sanctions.

Pour comprendre les pouvoirs de celle-ci il faut se replonger dans le corpus des règles liées à la régulation des jeux. Ainsi, la commission des sanctions pourra, dans la pire des situations, sanctionner l’opérateur sur un plan financier ou d’autorisation (le panel des décisions prises par la commission des sanctions est assez large : avertissement, suspension temporaire de l’autorisation de jeux voire suspension définitive ; sanctions pécuniaires jusqu’à 5% du CA de l’opérateur). Avant d’en arriver là, l’Autorité nationale des jeux se réserve un pouvoir de contrôle du contenu de la publicité en définissant ce qu’elle considère comme prohibé.

On rappellera qu’en la matière, deux procédures distinctes cohabitent : celle se déroulant en amont où les opérateurs communiquent à l’autorité leurs projets de communication commerciale ; celle en aval où l’autorité peut s’auto-saisir d’une communication commerciale qui ne lui paraîtrait pas adaptée. Ne sont ainsi pas permis les messages de réussite sociale ou financière par les jeux ; succès sentimental ou de gloire/ pouvoir ; signes extérieurs de richesse ou de changement de statut social … Autrement formulé, le régulateur précise le cadre des communications commerciales qu’il entend rectifier.

De ce point de vue, et au regard des pouvoirs de la commission des sanctions on peut raisonnablement penser que les changements seront effectifs. On est plus dubitatif en revanche s’agissant du second volet des résultats de la concertation menée au dernier trimestre 2021 : les recommandations. Elles correspondent à un corpus de « bonnes pratiques » pour protéger les publics vulnérables. Mais comme le note elle-même l’Autorité nationale des jeux, elles n’ont aucun caractère prescriptif. Elles n’ont donc pas de caractère contraignant.

Cependant, le contenu de ces lignes directrices pourrait être appelé à évoluer à l’avenir car il est prévu la mise en place d’un comité de suivi (composé de membres de l’ANJ, d’opérateurs, de professionnels du secteur, de membres du Ministère des sports) pour évaluer ex-post la pertinence de ce nouveau cadre aux communications commerciales sur les jeux d’argent.

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