Par Stéphane Manson, Professeur des universités en droit public, Doyen honoraire de la Faculté de droit et science politique, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

Quel contexte et quel contenu pour le décret du 17 juillet 2020 ?

Une circulation plus active du virus, ainsi que les recommandations des autorités sanitaires, ont convaincu le gouvernement d’élargir, plus rapidement que prévu, le champ d’application de l’obligation, pour la population, de porter un masque de protection. Le cadre législatif reste tracé par la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire, qui confère au Premier ministre (ainsi qu’au préfet en cas de découverte de foyers épidémiques) compétence pour édicter les mesures transitoires nécessaires, pour la période du 11 juillet au 30 octobre 2020. Le décret n° 2020-860 du 10 juillet 2020 avait prescrit des mesures générales et repris des mesures plus spécifiques, sur le fondement desquelles le port du masque était déjà obligatoire en certaines circonstances : dans les transports publics, depuis le 11 mai, mais aussi aux arrêts de bus, dans les salles de spectacle et de réunion, les gares, les aéroports, les locaux d’enseignement, les hôtels, les restaurants et débits de boissons, les centres de vacances, les musées, théâtres et bibliothèques, ou encore les établissements sportifs couverts (v. art. 27 du décret) ou enfin, les établissements de santé et lieux de culte.

Le décret n° 2020-884 du 17 juillet 2020 ne bouleverse pas la réglementation établie. Ses deux modestes articles se contentent d’élargir le champ d’application de l’obligation de porter un masque de protection aux magasins de vente et centres commerciaux, aux établissements bancaires, aux marchés couverts ainsi qu’aux locaux administratifs recevant du public (à l’exception donc des bureaux des agents publics).

Si le contenu du texte lui-même n’apparaît pas de nature à susciter de profondes remarques, les annonces politiques qui ont précédé son édiction ne sont pas dénuées d’intérêt. Le Président de la République avait en effet évoqué, le 14 juillet, un élargissement de l’obligation de porter le masque à tous les « lieux publics clos » ; ce qui soulevait évidemment la question de la définition juridique d’un tel périmètre, inconnu jusqu’alors en droit positif. Le Premier ministre, relayé par des membres de son gouvernement puis par la presse, avait utilisé la même expression. Force est toutefois de constater que le décret du 17 juillet ne consacre pas la locution.

Quelles références pour en définir le champ d’application ?

La source majeure d’inspiration se concentre sur la police des établissements recevant du public (ERP). L’article 1er de la loi du 9 juillet 2020 s’inscrit déjà dans le sillage des textes précédents relatifs à la crise sanitaire en reconnaissant que le Premier ministre est compétent pour « réglementer l’ouverture au public, y compris dans les conditions d’accès et de présence, d’une ou de plusieurs catégories d’établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion ».

Le décret du 10 juillet confirme ce rattachement, en visant notamment l’article R 123-12 du Code de la construction et de l’habitation (CCH), qui renvoie au « règlement de sécurité » du ministre de l’Intérieur (arrêté du 25 juin 1980 révisé) ; lequel opère une énumération exhaustive des établissements concernés, classés en cinq catégories, sur le fondement des capacités d’accueil du public. Même si la législation relative aux ERP ne recouvre pas l’intégralité du champ d’application des décrets des 10 et 17 juillet (les véhicules des transports publics par exemple ne sont évidemment pas des ERP), pareil renvoi est rationnel, puisqu’au-delà de l’énumération détaillée (arrêté du 25 juin 1980 révisé) le droit positif donne une définition conceptuelle précise de ces lieux :
« Pour l’application du présent chapitre, constituent des établissements recevant du public tous bâtiments, locaux et enceintes dans lesquels des personnes sont admises, soit librement, soit moyennant une rétribution ou une participation quelconque, ou dans lesquels sont tenues des réunions ouvertes à tout venant ou sur invitation, payantes ou non. Sont considérées comme faisant partie du public toutes les personnes admises dans l’établissement à quelque titre que ce soit en plus du personnel » (CCH. article R 123-2).

D’autres sources d’inspiration, probablement moins précises, étaient envisageables. Un arrêté du préfet du département de Seine-Saint-Denis du 13 juillet 2020, imposait déjà le port du masque au sein de « tout établissement clos recevant du public, que son activité soit d’ordre administratif ou commercial ». Par ailleurs, des scientifiques avaient suggéré l’usage de la délimitation posée par le décret n° 2006-1386 du 15 novembre 2006, fixant les conditions d’application de l’interdiction de fumer dans les lieux « affectés à un usage collectif » (tous les lieux fermés et couverts qui accueillent du public ou qui constituent des lieux de travail ; les moyens de transport collectif ; les espaces non couverts des établissements d’enseignement).

En tout état de cause, on ne peut que se féliciter de la « non apparition » en droit positif d’un nouveau concept de « lieux publics clos au sens du décret n° 2020-884 » tant ces notions « au sens de » pullulent dans un état du droit parfois illisible.

Quelles conséquences ?

La délimitation ainsi effectuée exclut un premier ensemble de lieux « non publics », car non fréquentés par « le public » en général, mais utilisés par des salariés ou des agents. Tel est le cas des locaux d’entreprise (ou de l’administration) ne recevant pas du public. Les règles applicables aux locaux d’entreprises sont posées (sous forme d’un inventaire des « bonnes pratiques ») par le protocole national de « dé-confinement » publié par le ministère du Travail le 24 juin 2020.

Un second ensemble est nécessairement exclu : les lieux publics « non clos » (voies publiques, places, plages, parcs et jardins, bois et forêts etc.). Des circonstances locales particulières (notamment, lieux touristiques très densément fréquentés, sans respect possible des règles de distanciation) peuvent néanmoins justifier l’édiction d’arrêtés préfectoraux, voire municipaux, imposant à tous l’usage du masque de protection (par exemple, arrêté du maire de La Rochelle du 20 juillet 2020 prescrivant l’utilisation par tous du masque sur les quais du Vieux Port).

 

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