Par Julie Mattiussi, maîtresse de conférences à l’Université de Haute-Alsace

Le 15 septembre 2021, le tribunal judiciaire de Dax (n° 18/01539) a condamné France Télévision à verser 10 000 euros de dommages-intérêts à un particulier dont l’image avait été diffusée sans son consentement lors du journal télévisé. Sous des dehors classiques, l’affaire montre comment le traditionnel droit à l’image conserve toute sa vivacité à l’époque des réseaux sociaux. En l’espèce, des membres de la Ligue de protection des oiseaux, accompagnés de journalistes entre autres de France Télévision, ont mené une action militante sur la propriété d’une personne qu’ils soupçonnaient de chasse aux pinsons illégale. Le propriétaire, surpris, était alors sorti de chez lui en sous-vêtements, muni d’une pelle, et avait ainsi violemment chassé les intrus, à défaut de chasser les pinsons. Après avoir été relaxé des faits de chasse illégale, mais condamné pour violences volontaires, le propriétaire a agi en justice pour demander réparation du préjudice subi sur le fondement du droit à l’image.

Le propriétaire qui se présente spontanément aux journalistes peut-il se prévaloir d’une atteinte à l’image ?

Le droit à l’image est ancré dans le droit au respect de la vie privée, fondé sur l’article 9 du Code civil, mais aussi sur l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CESDH). Il permet aux personnes de disposer comme bon leur semble de leur image et de les protéger contre les usages non consentis, ce qui englobe tant la captation que la conservation, la reproduction et l’utilisation de l’image (réaffirmation récente le Cass. 1re civ. 2 juin 2021, n° 20-13753, FS-P). Une question se posait ici : en sortant de son habitation en sous-vêtement pour faire face à des caméras qui étaient visibles, le demandeur a-t-il consenti implicitement à la captation et à la diffusion de son image ? S’il est communément admis que le consentement à la captation et à l’utilisation de l’image peut être tacite (Cass. 1re civ. 7 mars 2006, n° 04-20715), un tel consentement n’est pas caractérisé en l’espèce. Les juges du tribunal de Dax ont souligné, d’une part, que le demandeur n’avait pas connaissance de la présence des journalistes tant qu’il était à l’intérieur du bâtiment et, d’autre part, que la scène s’est jouée dans une précipitation non compatible avec un authentique consentement à la captation de l’image. L’effet de surprise ne permettait donc pas de caractériser le consentement tacite. Il y a donc atteinte à l’image. Mais en la matière, cela ne clôt pas le débat : encore fallait-il vérifier que l’atteinte n’était pas justifiée par le droit à l’information du public.

La captation et la diffusion de l’image du propriétaire était-elle justifiée par le droit à l’information du public ? 

Le droit à l’image peut se trouver confronté à des droits et libertés d’égale valeur normative. En l’occurrence, il s’agissait de la liberté d’expression de l’article 10 de la CEDSH, dont découle le droit du public à l’information. Le tribunal judiciaire devait donc déterminer, d’une part, si l’atteinte à l’image avait bien pour finalité le droit du public à l’information et, d’autre part, si elle n’était pas disproportionnée. L’analyse est aussi limpide que classique. Dans un premier temps, le tribunal a considéré que le reportage mené par France Télévision sur l’action militante constituait bien un sujet d’intérêt général. Il y avait ainsi un réel intérêt du public à connaître des débats autour de la chasse aux oiseaux et des interventions militantes de la Ligue de protection des oiseaux à ce sujet. Dans un second temps toutefois, le tribunal a considéré que l’atteinte était disproportionnée par rapport à l’objectif recherché. Il était en effet possible de se contenter de prendre des images des pièges installés sur la propriété du demandeur sans filmer celui-ci en sous-vêtement. A minima, un floutage du visage pour faire en sorte que le demandeur ne soit pas reconnaissable aurait été nécessaire. C’est donc le défaut de proportionnalité qui a conduit à la caractérisation d’une atteinte à l’image. Il fallait désormais mesurer l’étendue du préjudice subi par la victime.

Comment mesurer l’étendue du préjudice à l’époque des réseaux sociaux ?

Celui que les réseaux sociaux ont dénommé « l’homme à la pelle » demandait 200 000 euros de dommages-intérêts, et pour cause. Les images de l’esclandre, diffusées à une heure de grande écoute, sont devenues virales sur les Internet. Elles ont été détournées en images humoristiques par les internautes et très largement partagées. Le préjudice subi par le demandeur à l’époque d’Internet et des réseaux sociaux est ici sans commune mesure avec celui, déjà important, qu’il aurait subi du fait d’une simple publication ponctuelle. D’une part, la caisse de résonance des réseaux sociaux a fait durer le préjudice dans le temps : on trouve encore aujourd’hui nombre de photographies non floutées de la scène sur Internet. D’autre part, les détournements et railleries autour de l’image ont donné une dimension particulière au préjudice : il ne s’agissait plus seulement de l’image d’une personne dans un accoutrement intime, mais de la transformation de cette image en mème internet, c’est-à-dire en personnage récurrent inséré dans divers montages (aux côtés d’hommes et de femmes politiques, sur des affiches de film…). Avoir fait rire à ses dépens faisait partie du préjudice subi par l’homme à la pelle. Le tribunal en a tenu compte, en lui octroyant une indemnité de 10 000 euros. Ce montant appelle deux remarques.

La première est que ce montant est relativement élevé s’agissant d’une personne qui n’était pas connue, et ne souffre donc aucun manque à gagner. Si l’euro symbolique a pu un temps prospérer dans le contentieux de l’image, ce temps semble révolu. La Cour de cassation le rejette lorsqu’il est prononcé au mépris de la réparation intégrale du dommage (Cass. 1re civ. 21 nov. 2018, n° 17-26766), or il faut bien constater que la circulation et le travestissement facile des images rendent le préjudice subi par la victime ici particulièrement conséquent.

La seconde remarque, qui n’avait pas manqué d’être faite par France Télévision, consiste à souligner que la responsabilité était partagée. D’une part, d’autres journalistes étaient présents et avaient filmé et diffusé les images. D’autre part, France Télévision n’était pas responsable de la viralité sur Internet. En d’autres termes, le défendeur se prévalait du fait qu’il payait pour l’ensemble des personnes ayant contribué à l’étendue du préjudice subi. Or, la décision du tribunal de Dax rappelle le caractère protecteur et vigoureux du traditionnel droit à l’image. Sans exclure l’éventualité de recours entre les responsables, elle affirme que le responsable d’une atteinte est tenu de réparer l’entier dommage. Une telle solution, en dépit de son classicisme, présente un intérêt renouvelé à une époque où la responsabilité semble se diluer à travers les comportements de meute sur Internet. L’ampleur du préjudice étant fonction du nombre de diffusions et de repartages, il est heureux qu’il n’appartienne pas à la victime de poursuivre chaque personne qui aurait une part de responsabilité dans la production de son dommage. D’autant plus que le droit du numérique, malgré des évolutions notables (v. E. Netter, Droit et numérique), peine à contenir les débordements en ligne. Le droit à l’oubli, malgré sa consécration (CJUE 13 mai 2014, Google Spain, C-131/12), suppose encore des démarches administratives nombreuses et longues pour être mis en œuvre par les victimes. Les plateformes numériques privées, quant à elles, font preuve de plus ou moins de diligence et réactivité dans la suppression des contenus attentatoires à l’image. Le traditionnel droit à l’image, en ce qu’il permet de demander réparation au premier responsable, a donc encore de beaux jours devant lui.

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