Par Grégoire Loiseau – Professeur à l’Université Panthéon-Sorbonne

On est encore loin de voir circuler des voitures sans pilote, totalement autonomes. Les technologies disponibles intègrent pour le moment « seulement » des systèmes qui autonomisent progressivement la conduite. La loi parle de véhicules à délégation de conduite en distinguant plusieurs degrés d’autonomie selon que le système est partiellement, hautement ou totalement automatisé. Un cap vient d’être franchi avec la possibilité, depuis le 1er septembre, (date d’entrée en vigueur de plusieurs décrets d’application d’une ordonnance relative à la circulation de véhicules à délégation de conduite) de mettre en circulation sur les voies publiques des véhicules équipés de systèmes de niveau 3, ce qui correspond à des systèmes de conduite semi-autonomes. Le système exerce le contrôle dynamique du véhicule et exécute les tâches de conduite pour lesquelles il a été conçu, mais le conducteur doit contrôler le véhicule et être en mesure de reprendre la main si le système le lui demande. La conduite est en outre encore très encadrée. La vitesse du véhicule est limitée à 60 km/h et le système ne peut être déclenché que sur des routes sans piétons ni cyclistes et comportant un séparateur de voies, comme un terre-plein. Cela limite en pratique la conduite à des autoroutes encombrées ou à des axes comme les périphériques des grandes agglomérations.

L’autorisation de mise en circulation de véhicules semi-autonomes a-t-elle une incidence sur la notion de conducteur ?

Au niveau 3, la personne aux commandes du véhicule en est toujours le conducteur. La notion de conducteur commence toutefois à évoluer par rapport à sa conception ordinaire qui induit le contrôle et la maîtrise du véhicule par une personne physique. Cette conception est celle retenue, en particulier, par la convention de Vienne sur la circulation routière, conclue en 1968 et ratifiée par la France en 1977, qui énonce, à l’article 8, que « Tout conducteur doit constamment avoir le contrôle de son véhicule […] » et, à l’article 13, que « Tout conducteur de véhicule doit rester, en toutes circonstances, maître de son véhicule […] ».

Or il est signifiant que ce texte a été récemment amendé, le 14 janvier 2022, un article 34 bis étant créé qui prévoit que l’exigence selon laquelle tout véhicule en mouvement doit avoir un conducteur est réputée satisfaite lorsque le véhicule utilise un système de conduite automatisé conforme à la législation nationale régissant le fonctionnement du véhicule.

Un système de conduite automatisé est défini comme un système associant des éléments matériels et logiciels permettant d’assurer le contrôle dynamique d’un véhicule de façon prolongée. Cet aménagement du texte, qui a été rendu applicable en droit interne par un décret du 21 juillet 2022, constitue une première étape dans un changement de nature du contrôle qui, progressivement, sera moins le fait de l’homme et corrélativement de plus en plus celui des technologies.

Le Code de la route en tire déjà les conséquences en indiquant à son article R.412-17 intégré par un décret du 29 juin 2021 que, lorsque le système de conduite automatisé exerce le contrôle dynamique du véhicule conformément aux conditions d’utilisation, les dispositions de l’article R. 412-6 qui prescrivent que tout véhicule en mouvement doit avoir un conducteur qui doit se tenir constamment en état et en position d’exécuter commodément et sans délai toutes les manœuvres qui lui incombent ne lui sont pas applicables.

En cas de dommage causé par un véhicule semi-autonome, qui est juridiquement responsable ?

Si l’automatisation de niveau 3 ne fait pas disparaître la qualité de conducteur, elle l’éclipse tout de même pendant le temps où le système exerce le contrôle dynamique du véhicule puisqu’il n’est plus alors, à proprement parler, en action même s’il doit être en situation de répondre à tout moment à une demande de reprise en main ou d’effectuer sans délai une reprise en main. Il n’est d’ailleurs plus pénalement responsable d’éventuelles infractions commises pendant le temps où le système exerce le contrôle dynamique du véhicule. Pour autant, le dispositif de la loi du 5 juillet 1985 reposant, non sur une faute du conducteur, mais sur la seule implication du véhicule dans la réalisation de l’accident, il n’est pas affecté par ce degré d’autonomie du véhicule.

Tout au plus, pendant la phase où le conducteur n’exerce plus lui-même le contrôle dynamique du véhicule, son rôle passif devrait exclure, en cas de survenance d’un accident, la commission d’une faute de nature à affecter son propre droit à indemnisation. Mais s’il ne reprenait pas en temps voulu le véhicule en main quand cela lui incombe, sa faute pourrait lui être opposée, en application de l’article 4 de la loi de 1985, pour limiter ou exclure son droit à indemnisation s’il en résultait un accident de la circulation.

Par ailleurs, la loi retenant la responsabilité pénale du constructeur (et non pas du conducteur) lorsqu’une faute est établie pendant la période où le système de conduite automatisé exerce le contrôle dynamique du véhicule conformément aux conditions d’utilisation, sa responsabilité civile pourrait aussi être engagée, plus généralement, en cas de défaut du système à l’origine de l’accident. Un recours pourrait notamment être exercé à son encontre par l’assureur du véhicule ayant indemnisé la victime de l’accident.

Quels sont les enjeux, en droit civil, de l’autorisation donnée à la circulation de véhicules semi-autonomes ?

Les implications juridiques de la mise en circulation de véhicules à délégation de conduite de niveau 3 sont trop modestes pour remettre en question l’édifice de la loi de 1985 et s’interroger, dès à présent, sur sa pérennité. Il n’y a pas, autrement dit, d’enjeu immédiat. Le débat sur l’adaptation des règles existantes ou l’adoption de règles propres aux accidents causés par la circulation de véhicules autonomes demeure exploratoire.

La mise en circulation de véhicules semi-autonomes fait en revanche ressortir les enjeux de demain. Si les règles de droit civil n’ont pas à être changées ou à être réévaluées, c’est parce qu’un conducteur est aux commandes du véhicule, encore que la conception du conducteur soit amenée à évoluer. De ce point de vue, le véritable point de rupture sera le passage à des véhicules totalement autonomes, sans conducteur, en ce qu’il place les constructeurs face au dilemme relatif à la décision en situation inévitable. Ce dilemme revient à poser la question de la programmation d’un choix à opérer face à des situations à risque (changer brutalement de direction pour éviter un enfant qui traverse soudainement au risque de mettre en danger la sécurité des passagers du véhicule). La présence, pour le moment conservée, d’un conducteur évite donc d’avoir à se déterminer sur les projections d’ordre éthique et sur la question, vertigineuse, d’intégrer ou non un algorithme de choix de la victime qui serait géré par le véhicule. Pour le droit, le plus difficile est à venir.

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