Par Philippe Briand, agrégé des universités, professeur à la faculté de droit de Nantes, avocat au Barreau de Paris – Hubert Bensoussan Avocats

Points-Clés

  • Les mesures prises pour lutter contre la propagation de l’épidémie de covid-19 frappent durement les commerçants
  • Ceux-ci n’imaginent pas devoir endurer, outre la fermeture de leur établissement, l’obligation de payer des prestations commandées avant la crise et qui, en période de fermeture, ne leur sont d’aucune utilité
  • Pour s’exonérer, ils seront tentés de se réfugier sous la protection de la force majeure
  • Mais l’invocation de cette notion n’est pas toujours suffisante…

Depuis l’annonce des mesures radicales prises pour endiguer la propagation du covid-19, la plupart des commerçants sont pris en étau entre l’interdiction faite aux magasins de vente d’accueillir des clients et les mesures de confinement imposées aux personnes qui constituent leur clientèle. Condamnés à fermer boutique, leur activité est stoppée net et pour plusieurs mois, leurs revenus sont inexistants.

Dans cette tourmente, bon nombre de contrats conclus avant la crise sanitaire subissent de profondes perturbations, au point que leur exécution est soit compromise, soit dépourvue d’intérêt.

Songeons au chef d’entreprise qui avait planifié la convention annuelle de ses cadres à la fin du mois de mars 2020. Il avait loué une salle, avait commandé des repas à un traiteur et avait réservé des chambres d’hôtel… Que deviendront tous ces contrats ?

Considérons l’exploitant d’un magasin contraint de fermer boutique depuis le 15 mars et n’ayant plus aucune source de revenu. Devra-t-il néanmoins payer le loyer de son magasin ? S’il est franchisé, devra-t-il payer à son franchiseur les redevances mensuelles de franchise ?

Imaginons qu’une entreprise ait conclu avec une agence de publicité un contrat prévoyant, courant avril, une vaste campagne publicitaire sur panneaux d’affichage. Cette campagne ne présentant plus aucun intérêt en période de confinement, comment les parties doivent-elles procéder ?

Ces questions (et bien d’autres semblables) se posent dans tous les secteurs du commerce, avec, en arrière-plan, une interrogation sempiternelle : qui va supporter la charge des risques de contrats dont l’exécution est devenue impossible ?

C’est à cette unique interrogation que sont suspendues les parties, chacune d’elles espérant que l’application de la règle de droit la délivre de ses propres obligations contractuelles.

Dans le contrat commutatif, il n’est pas suffisant de constater que l’une des parties est libérée d’un engagement dont l’exécution est rendue impossible par un événement de force majeure. Il faut aussi s’interroger sur les conséquences que produit cette libération sur les obligations de son cocontractant. À cet effet, il importe de raisonner par étapes.

La première étape est d’identifier l’obligation dont on invoque l’empêchement. La deuxième étape consiste à vérifier que l’exécution de cette obligation est empêchée par la force majeure (J. Heinich, L’incidence de l’épidémie de coronavirus sur les contrats d’affaires : de la force majeure à l’imprévision : D. 2020, p. 611). Si tel est le cas, on en déduira que le débiteur est délivré de son obligation mais le constat sera insuffisant lorsque la question qui se pose principalement est celle du sort de l’obligation souscrite en contrepartie de l’obligation empêchée. C’est la troisième étape, décisive, qui est celle de l’attribution des risques du contrat.

Appliquons cette logique à différentes situations contractuelles subissant les perturbations de la crise sanitaire. Nous allons voir que les raisonnements diffèrent selon les hypothèses envisagées.

1er exemple : les risques du contrat de réservation de salle (ou de chambre d’hôtel)

Plaçons-nous du côté de l’entreprise bénéficiaire de la réservation. En raison des mesures de confinement, elle ne peut tenir son congrès annuel. Sera-t-elle libérée de son obligation de paiement ?

Observons d’abord que son obligation de paiement n’est pas empêchée. Le confinement, pas plus que l’épidémie, ne l’empêchent de payer sa dette. Dès lors, il en va de deux choses l’une :

  • Si l’exploitant de la salle est en mesure d’exécuter sa part du marché (la convention annuelle se tenant dans un pays non encore touché par l’épidémie ou déjà sorti des mesures de confinement), l’auteur de la réservation ne dispose d’aucun argument pour échapper au paiement (à supposer que le contrat soit régi par le droit français). Il pourrait certes prétendre que les vols à destination de ce pays ont été suspendus mais si cette circonstance l’empêche d’acheminer ses troupes, elles ne l’empêchent nullement d’exécuter sa seule obligation qui est de payer. Aux termes de l’article 1218 du Code civil définissant la force majeure en matière contractuelle, il faut que l’événement imprévisible, irrésistible et extérieur « empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ». En l’occurrence, les mesures destinées à endiguer la propagation de l’épidémie et rendant impossible l’acheminement des salariés n’empêchent pas l’exécution de son obligation de paiement par l’auteur de la réservation. L’exploitant de la salle n’étant pas non plus empêché, on ne trouvera pas dans le régime de la force majeure, le moyen de libérer notre entreprise de ses obligations.
  • Si l’exploitant de la salle (cette fois située en France) est empêché d’exécuter ses obligations (notamment car il lui est interdit d’accueillir du public en vertu de l’article 1er de l’arrêté du 14 avril 2020), alors notre entreprise n’aura pas à payer son dû et ce, par application de la théorie des risques.

En effet, lorsque l’exploitant a été mis dans l’impossibilité d’exécuter sa prestation par un événement de force majeure, il n’est pas question de le sanctionner. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on ne peut guère envisager de faire jouer l’exception d’inexécution de l’article 1219 du Code civil, celle-ci étant conçue à l’article 1217 comme une « sanction » de l’inexécution. En réalité, l’exploitant de la salle est seulement « libéré » de son obligation, par application de l’article 1351 du Code civil.

Mais cette libération laisse entière la question de la contreprestation. Celle-ci est-elle due ?

Avant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, la question était réglée par application de la « théorie des risques » illustrée par le fameux adage res perit debitori : les risques pèsent sur le débiteur qui a été empêché par la force majeure, de sorte que celui-ci ne peut pas réclamer à son cocontractant le paiement de son dû.

La théorie des risques n’avait pas été formulée de manière générale dans le Code civil mais on y trouvait quelques applications. Notamment l’article 1722 selon lequel si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite par la force majeure, le locataire n’a pas à payer le loyer car le bail est résilié de plein droit.
L’ordonnance du 10 février 2016 prend le parti d’étendre à tous les contrats la solution posée à l’article 1722 du Code civil. Désormais, selon l’article 1218, « si l’empêchement [dû à la force majeure] est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations… »

Rapportée à notre exemple, la règle posée à l’article 1218 du Code civil est d’application simple : l’exploitant de la salle étant, du fait de la force majeure, dans l’impossibilité définitive de la mettre à la disposition de l’entreprise commanditaire aux dates convenues, le contrat est résolu de sorte que l’entreprise n’aura pas à payer le prix.

Notons que, avant l’ordonnance de 2016, la règle d’attribution des risques (res perit debitori) était purement supplétive de sorte que les parties pouvaient la renverser dans leurs conventions. Si les conditions générales de vente du loueur de salle (ou du traiteur) avaient comporté une clause laissant subsister, en cas de force majeure, le paiement du prix à la charge du client, il n’eût pas été possible, pour le donneur d’ordre, d’échapper au paiement.

On peut se demander si la réforme de 2016 a conservé aux parties la possibilité de déroger aux règles d’attribution des risques. Notamment au regard de l’expression « le contrat est résolu de plein droit ». Certes, on sait aujourd’hui (depuis la thèse de M. Tirel, L’effet de plein droit : Dalloz, Nouvelle Bibliothèque des thèses, vol. 178) que la formule « de plein droit » ne traduit aucune injonction impérative (ibid., n° 374). Et du reste, l’article 1351 du Code civil réserve l’hypothèse dans laquelle le débiteur empêché par la force majeure aurait malgré tout « convenu de s’en charger », ce qui laisse entendre que les parties peuvent, par dérogation, convenir que le débiteur ne sera pas déchargé par un empêchement relevant de la force majeure. Toutefois, on observera que cette possibilité de déroger n’est expressément admise qu’à l’égard du débiteur et non à l’égard du créancier de la prestation empêchée. On regrettera que le législateur n’ait pas, à la faveur de la réforme de 2016, plus clairement indiqué que les parties peuvent déroger à la règle de libération du cocontractant du débiteur empêché par la force majeure.

2e exemple : les risques du contrat de bail commercial

Un commerçant loue des locaux dans lesquels il exerce une activité rendue impossible du fait d’une interdiction administrative de recevoir du public. Doit-il continuer à payer son loyer pendant la période de fermeture forcée ?

Le locataire pourrait songer à invoquer la force majeure mais on aperçoit immédiatement que le paiement de son loyer n’est pas réellement empêché. Sans doute le locataire est-il empêché d’exercer l’activité qui lui procurera les moyens de payer son loyer mais l’empêchement n’est qu’indirect.

Il n’est pas certain, dans ces conditions, qu’il puisse s’appuyer sur l’événement de force majeure pour être libéré de son obligation. La Cour de cassation a même affirmé sans nuance que « le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure » (Cass. com., 16 sept. 2014, n° 13-20.306 : JurisData n° 2014-020972 ; Bull. civ. IV, n° 218 ; JCP G 2014, 1117, note V. Mazeaud).

Peut-être y a-t-il lieu de réserver le cas où le preneur parviendrait à établir que l’épidémie « a eu pour l’exploitation [de son commerce], sur le plan économique, des conséquences irrésistibles expliquant le défaut de paiement » (CA Bourges, ch. soc., 21 mai 2010, n° 09/01290 : JurisData n° 2010-027758). La voie est néanmoins étroite.

Si le locataire risque d’éprouver des difficultés à se prétendre libéré de sa dette de loyer par l’effet de la force majeure, il peut néanmoins prétendre être libéré par le seul fait que le bailleur, durant la période d’interdiction administrative de recevoir des clients, manque à son obligation d’assurer au locataire la jouissance d’un local conforme à sa destination (V. J.-D. Barbier, Le sort du loyer commercial face à la pandémie : http://www.argusdelenseigne.com).

Mieux, le bailleur a tout intérêt à établir que son empêchement procède d’un cas de force majeure qui, seul, le mettra à l’abri d’une condamnation à indemniser le locataire (cf. C. civ., art. 1231-1).

Il doit alors invoquer la suspension de son obligation, pour le temps de l’interdiction administrative, afin d’échapper à toute sanction.

En effet, aux termes de l’article 1722 du Code civil : « Si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n’est détruite qu’en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix ou la résiliation même du bail. Dans l’un et l’autre cas, il n’y a lieu à aucun dédommagement. »

Sans doute faut-il avoir de la destruction de la chose louée une conception compréhensive pour y assimiler l’interdiction administrative d’y recevoir du public. Mais précisément, la jurisprudence est dans ce sens. La Cour de cassation affirme que « l’application de l’article 1722 du Code civil n’est pas restreinte au cas de perte totale de la chose ; qu’elle s’étend au cas, ou, par suite des circonstances, le preneur se trouve dans l’impossibilité de jouir de la chose ou d’en faire un usage conforme à sa destination » (Cass. 3e civ., 17 oct. 1968 : Bull. civ. III, n° 383). Elle juge également que l’interdiction administrative d’exploiter des locaux commerciaux équivaut à la perte de la chose louée (Cass. com., 19 juin 1962 : Bull. civ. IV, n° 323. – Cass. 1re civ., 29 avr. 1965 : JCP G 1966, IV, 1). Dans ces conditions, notre commerçant aura tout intérêt à prétendre que l’interdiction temporaire d’exploiter les lieux équivaut à une perte partielle des lieux loués et à demander au bailleur une diminution du prix du bail égale aux loyers correspondant à la période d’interdiction de recevoir du public.

Son intérêt est d’autant plus grand que la timide ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 relative au paiement des loyers, n’apporte au locataire ni la suspension des loyers, ni même leur report mais organise seulement la paralysie des sanctions ordinairement applicables au défaut de paiement des loyers.

3e exemple : les risques du contrat de franchise

De même qu’il s’estimera délivré de son obligation de paiement des loyers de son local commercial, le franchisé pourrait s’estimer délivré de son obligation de verser au franchiseur ses redevances de franchise.

Observons cependant que, dans bon nombre de contrats de franchise, les redevances sont indexées sur le chiffre d’affaires réalisé par le franchisé.

Si le franchisé réalise un chiffre d’affaires nul, ses redevances de loyers seront-elles-mêmes nulles. Si en revanche le franchisé a maintenu une activité de livraison ou de retrait de commandes (comme l’y autorise l’arrêté du 15 mars 2020), il aura exploité sous cette forme le savoir-faire du franchiseur et ce dernier sera fondé à lui réclamer des redevances proportionnelles au chiffre d’affaires réalisé.

Qu’en serait-il cependant, si les redevances payables par le franchisé étaient non pas proportionnelles mais (au moins pour partie) forfaitaires ?

Naturellement, le franchiseur aurait beau jeu d’objecter que si les redevances ont été conçues comme forfaitaires, c’est précisément pour éviter qu’elles soient corrélées à la variation de l’activité enregistrée par le franchisé. De même qu’une baisse d’activité n’a pas de prise sur le calcul des redevances, de même en serait-il d’une inactivité.
Plus encore, on ne parvient pas à identifier en quoi l’une des obligations réciproques serait rendue impossible par les circonstances. Serait-ce l’obligation de paiement ? on a vu précédemment que la Cour de cassation était hostile à cette thèse (Cass. com., 16 sept. 2014, n° 13-20.306, préc.).

Serait-ce alors l’une des obligations du franchiseur ? Celui-ci ne manquera pas de répondre qu’il n’a jamais cessé de concéder sa marque, de transmettre son savoir-faire et qu’il a même, pendant toute la période de crise, prêté à ses franchisés une assistance de tous les instants.

Nous ne disposons pas, en la matière, d’un texte qui puisse laisser entendre que le franchiseur manque à ses obligations lorsque le franchisé est placé dans l’impossibilité d’exploiter son fonds. Si le franchiseur ne peut être convaincu d’un manquement contractuel, le franchisé ne dispose d’aucun moyen d’échapper à sa dette de redevance.

4e exemple : les risques du contrat de publicité

Avant le déclenchement de la crise sanitaire, un entrepreneur a investi une part importante de son budget de communication dans une campagne publicitaire. Pendant une quinzaine de jours, des panneaux devaient fleurir dans les villes, vantant les mérites des produits commercialisés sous sa marque.

En période de confinement où les rues sont désertes, les retombées de cette campagne risquent désormais d’être des plus limitées. Dans ces conditions, l’annonceur dispose-t-il de moyens propres à imposer à l’agence le report, voire l’annulation pure et simple de la campagne ? Assurément, cette campagne lui a coûté cher et ne lui est d’aucune utilité. Le préjudice subi est important mais il ne peut être relié à aucun manquement contractuel.

Tout au plus observera-t-on que l’opération projetée n’atteindra pas le but poursuivi. Son but était de porter un message publicitaire à la connaissance des dizaines de milliers de personnes qui parcourent quotidiennement les rues de la ville. Ces parcours étant rendus impossibles par les mesures de confinement, le contrat ne présente plus aucun intérêt pour l’annonceur.

Naguère, toutes ces notions de but ou d’intérêt du contrat avaient été plus ou moins intégrées dans l’usage qu’une jurisprudence compréhensive faisait de la notion de cause. Récemment encore, certains plaideurs se seraient engouffrés dans la voie brièvement ouverte par la jurisprudence sur la nullité d’un contrat résultant de l’impossibilité de l’exécuter selon « l’économie voulue par les parties » (Cass. 1re civ., 3 juill. 1996, n° 94-14.800 : JurisData n° 1996-002900 ; Bull. civ. I, n° 286). On sait que longtemps après que la voie a été refermée (Cass. com., 9 juin 2009, n° 08-11.420, inédit : JurisData n° 2009-048750), les parties continuent vainement à tenter leur chance sur ce fondement (Cass. com., 27 nov. 2019, n° 18-16.775, inédit : JurisData n° 2019-021327).

Aujourd’hui que la notion de cause a disparu du Code civil, la variété des fonctions qui lui étaient reconnues avant l’ordonnance du 10 février 2016 ne se retrouvent pas dans le Code civil.

Les instruments dont nous disposons désormais ne sont guère favorables à la thèse de notre annonceur. Car indéniablement, le paiement qu’il a effectué comporte une contrepartie. L’agence publicitaire est probablement irréprochable. Elle a longuement travaillé pour concevoir le contenu des affiches ; elle a réservé les espaces publicitaires ; elle a versé une avance… Elle doit être justement rémunérée du travail qu’elle a fourni.

On pourrait songer à faire supporter une partie des risques à l’exploitant des supports et remettre en cause les contrats d’achat d’espace publicitaire (V. L. n° 93-122, 29 janv. 1993, art. 20 et s.). Mais là encore, on ne voit guère sur quel fondement cette remise en cause pourrait être exigée. L’exploitant des supports n’est nullement empêché d’exécuter les obligations qu’il a souscrites. Il peut, même dans des rues désertes, faire procéder à l’affichage convenu.

Pour autant, une chose est certaine : en raison d’un bouleversement inattendu des circonstances économiques, le contrat de publicité n’est plus en mesure d’assurer à l’annonceur la satisfaction qu’il en attendait. On songe alors à se tourner vers deux outils créés par l’ordonnance du 10 février 2016 : le pouvoir de révision du contrat reconnu au juge en cas d’imprévision d’une part et la caducité du contrat, d’autre part. Étudions-les successivement.

L’article 1195 du Code civil pourrait-il venir en aide à notre franchiseur ?

Nul doute que les mesures de confinement prises en réaction à la crise sanitaire constituent des circonstances qui étaient imprévisibles lors de la conclusion du contrat. Il est en revanche plus difficile d’affirmer qu’elles rendent l’exécution du contrat excessivement onéreuse pour l’annonceur. On remarquera en effet que la prestation devant être fournie par l’annonceur n’a pas varié et que sa charge est demeurée identique avant et après les mesures de confinement. En revanche, ce qui a varié, c’est la valeur de contreprestation attendue par l’annonceur. La contreprestation a perdu toute valeur. Mais on observe immédiatement que cette circonstance n’est pas rigoureusement assimilable à l’excessive onérosité de la prestation de l’annonceur. À moins d’affirmer que l’onérosité de la prestation de l’annonceur s’apprécie au regard de la valeur de la contreprestation. Or, sur ce point, nous n’avons pour l’heure, aucune certitude (O. Deshayes, Th. Génicon et Y.-M. Laithier, Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations : Lexis Nexis, 2e éd., p. 447).

Au demeurant, à supposer que le contrat puisse être révisé par le juge, par application de l’article 1195 du Code civil, on ne concevrait pas que celui-ci révise le prix à payer par l’annonceur au point de le fixer à un montant inférieur au coût réel de la contreprestation qui lui est fournie, sauf à créer un déséquilibre en sens inverse, ce qui n’est pas l’esprit du texte. À elle seule, cette considération limite considérablement la marge de manœuvre du juge et fait perdre, en l’espèce, l’essentiel de son intérêt à l’action fondée sur l’article 1195 du Code civil.

Une autre voie envisageable serait celle ouverte par l’article 1186 du Code civil. La caducité du contrat est encourue lorsque « l’un de ses éléments essentiels disparaît ».

Il faudrait ici prétendre que la perte d’intérêt du contrat pour l’une des parties révèle la disparition de l’un de ses éléments essentiels. La thèse est audacieuse mais pas désespérée tant est floue la notion d’éléments essentiels du contrat. Cette notion n’ayant pas été explicitée dans l’ordonnance de 2016, les interprétations les plus diverses en sont proposées.

S’il est vrai que la Cour de cassation avait admis, avant la réforme, que la caducité d’un engagement à exécution successive puisse résulter de la disparition de sa cause (Cass. 1re civ., 30 oct. 2008, n° 07-17.646 : JurisData n° 2008-045575 ; Bull. civ. I, n° 241 ; JCP G 2009, II 10000, note D. Houtcieff), on est en droit de s’interroger sur les suites d’une telle jurisprudence dans un système où la notion de cause a disparu.

Au surplus, l’intérêt que le contrat pouvait avoir pour l’annonceur semble davantage relever du motif (ou mobile) dès lors que le contrat n’avait pas expressément corrélé la contreprestation attendue à une quelconque rentabilité. Si les parties avaient pris soin de formuler ce motif, sans doute aurait-il été possible de l’ériger en élément essentiel du contrat dont l’impossible satisfaction confine à la disparition.

En l’absence d’une telle démarche, on observera que l’action destinée à faire constater la caducité du contrat de publicité est des plus aléatoires.

Dans notre exemple, il est fort probable que les risques liés aux conséquences de l’épidémie reposent exclusivement sur l’annonceur.

On le voit ici par le rapprochement de ces quatre situations brièvement évoquées : aussi imprévisible et irrésistible soit-elle, l’épidémie de covid-19, ne crée pas inéluctablement les conditions de la force majeure en matière contractuelle si ne s’y observe cet élément indispensable que constitue pour le débiteur de l’engagement souscrit, l’empêchement d’exécuter sans lequel il n’y a pas de libération.

 

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