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Primaires

« Les primaires : prime ou… déprimantes ? »

Par Jean Pierre Camby et Yves Poirmeur, Professeurs à l’Université de Versailles-Saint Quentin ; Olivier Pluen, Maître de conférences à l’Université de Versailles-Saint Quentin ; Étienne Douat, Professeur à l’Université de Montpellier II ; Florian Savonitto, Maître de conférences à l’Université Paul Valéry Montpellier III ; Philippe Blacher, Professeur à l’Université de Lyon III et Alexis Fourmont, Maître de conférences à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne

Si les partis politiques « concourent », pour reprendre l’expression de l’article 4 de la Constitution, à l’élection présidentielle, et sont indispensables au débat, les primaires qu’ils sont libres d’organiser, ne sont pas quant à elles une exigence sine qua non au processus électoral. Historiquement, elles peinent à s’imposer : en 1995, et surtout 2006 à gauche, en 2016 à droite, dates récentes au vu de la Ve République, qui sera bientôt le régime le plus long que la France ait connu. Le choix des candidats à la présidentielle par les partis politiques, dont l’organisation et l’action sont libres, peut se faire selon les modalités dont ils décident. Les mécanismes de l’élection présidentielle ne comportent aucune obligation de recours aux primaires.

En termes d’efficacité, elles ont rarement atteint les résultats escomptés par les partis. La victoire du candidat socialiste en 2012 pour quatre tentatives infructueuses (1995, 2006, 2011, 2016) , fait à cet égard figure d’exception, mais la situation de 2017 illustre le cas inverse :  les chances des candidats non issus de primaires ont alors été plus importantes que celles émanant des partis qui y avaient eu recours, puisque les deux compétiteurs du second tour ne sont pas issus de primaires, et le candidat écologiste, désigné ainsi par son parti, n’a pas mené la candidature à son terme.

L’existence d’élections primaires pour déterminer les candidats à l’élection présidentielle n’est donc ni inscrite dans l’ADN de la Ve République, ni indispensable à la compétition.

Si les institutions sont conçues dès 1958 pour faire jouer au Président un rôle essentiel, en faire la « clef de voûte » du nouveau régime voulu comme « authentiquement parlementaire », comme l’affirme Michel Debré, le passage d’une élection au suffrage universel jusqu’alors indirect – comme aux États-Unis – à direct, avec la loi référendaire du 6 novembre 1962, n’intègre pas les primaires dans le processus de désignation des candidats. Les conditions de candidature reposent sur la validation par le Conseil constitutionnel de 500 formulaires de présentation par des élus dont la liste est énumérée dans cette loi, principalement les maires, conseillers régionaux et départementaux. La loi a toujours assorti cette condition d’un seuil : « sans que plus d’un dixième d’entre eux puissent être les élus d’un même département ou d’une même collectivité d’outre-mer » de manière à assurer une assise nationale à la candidature. Le consentement des candidats repose également sur le dépôt d’une situation de patrimoine et d’une déclaration d’intérêts, publiées. Une fois ces conditions remplies, il s’agit de s’adresser à tout électeur, dans le but de gouverner tout citoyen : rencontre d’un homme et d’un peuple.

Il n’y a donc, dans ces procédures de candidature, aucune référence au rôle des partis politiques. Nombre de candidatures ne sont soutenues que par des formations marginales, voire très marginales, voire ne représentent que des courants d’opinion ou d’idées : c’est ainsi que l’écologie politique apparaît dans le paysage français avec la candidature de René Dumont en 1974, ou que la défense de la chasse devient, lors de l’élection de 2002, un enjeu national. L’élection d’Emmanuel Macron en 2017 prouve aussi que les primaires ne sont pas la condition nécessaire de la victoire. LaREM s’est créée en vue de l’élection, sans que des groupes politiques parlementaires ou une organisation nationale ne se soient structurés auparavant : c’est, pour la première fois sous la Ve République, le candidat qui suscite le parti et non un parti préexistant qui dégage en son sein le candidat. Certes, les principaux partis politiques se mobilisent tous et toujours en vue de l’élection présidentielle, qui est la consultation politique majeure, mais leur rôle dans ce processus n’est pas juridiquement requis.

En ayant recours à cette formule, les partis affirment la modernité, et la transparence dans le choix des candidats au scrutin le plus important de la vie démocratique du pays, alors que ces choix sont le plus souvent le fait de leurs appareils ou des congrès. En cas de primaire, surtout de primaire ouverte, l’organisation relève de la vie interne des partis, tout en devant respecter des modalités qui soient les plus impartiales et transparentes possible, donc externes aux candidats, « délicat exercice d’équilibrisme juridique » souligne Anne Levade (Pouvoirs n° 154, 2015). Ce n’est pas la loi qui fixe les règles de l’élection primaire, et pourtant celles-ci doivent être fortement respectueuses des principes qui régissent les scrutins : égalité entre les candidats, secret du vote, transparence des opérations, etc.

La tenue de primaires est donc une question de stratégie ; au regard des mécanismes de l’élection présidentielle en France, elle est facultative.

Telle est la différence fondamentale avec les USA, qui ne peuvent ici servir de modèle, car la place des partis y est institutionnalisée : les deux partis y jouent nécessairement le rôle d’organisateur de la sélection des candidats, applicable même aux sortants, ce qui en France aboutit à organiser une primaire entre le Président sortant et ses ministres ou soutiens (v. Pascal Jan, Huffington post 2 décembre 2016) et les primaires constituent donc une phase indispensable. Un candidat non issu des primaires peut toujours se présenter, mais ses chances de prospérer sont nulles. La France, pourrait-elle ici se prévaloir d’une volonté de rattraper son alter ego du constitutionnalisme moderne : les États-Unis ? Il existe toujours une fascination au sein de la « patrie de La Fayette » pour les institutions américaines qu’on pense exportables – sauf pour les pouvoirs du Congrès – et donc pour le processus des primaires qui permet de dégager les « Presidential Tickets » des deux grands partis Démocrate et Républicain et ouvre une compétition entre deux candidats, à un seul tour.

Mais en France, au contraire, la compétition est plus ouverte, et la victoire d’un candidat se joue, à partir d’un socle, sur son aptitude à transcender les clivages politiques en s’adressant subliminalement aux « autres » camps, surtout au second tour.

Les primaires relèvent en France de l’investiture et non de la candidature proprement dite. C’est la raison pour laquelle les dépenses exposées par les candidats ou les partis ne sont pas qualifiées de dépenses en vue de l’élection (CE avis du 31 octobre 2013) ce que confirme la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. Et pourtant « point de départ » véritable de la compétition, elles étirent la séquence électorale, rétrécissant d’autant le temps utile du quinquennat dans l’intervalle de deux campagnes présidentielles (J.Benetti, Pouvoirs n° 154 , 2015). L’absence de prise en compte au titre des dépenses de campagne s’impose parce que la primaire se situe en amont de la déclaration de candidature qui suivra, mais elle n’est pas totalement satisfaisante : pour le vainqueur d’une primaire, cette phase préliminaire contribue à son exposition médiatique « en vue de l’élection » et façonne son image auprès du public.

Cette procédure, optionnelle risque, au final, de brouiller la campagne : le candidat investi par une primaire est porteur de son programme, ses thèmes de campagne sont prédéterminés par les débats, il en résulte une identification entre le candidat et le parti, alors que l’élection présidentielle appelle plutôt, au moins au second tour, la recherche d’une ouverture.  Celui qui se présente, avec ou sans le soutien de partis, est plus libre de ses propos de campagne. Et que dire d’une faible mobilisation à la primaire, si ce n’est qu’elle sera considérée comme préfigurant le résultat final ?

Les partis ne sont pas en France des services publics, comme le rappelle la Cour de cassation le 25 janvier 2017. Ils sont libres de donner, ou non, une investiture à qui ils veulent et comme ils veulent (CE élections de Clichy, 11 mai 2005, n° 386018). Pour l’élection présidentielle une primaire préfigure la candidature, et identifie candidat et parti alors que d’autres candidats se prévaudront d’une image plus ouverte.

Politiquement, il s’agit d’un instrument qui exerce une trop faible contrainte sur les participants, candidats et votants, pour avoir les effets que leurs promoteurs leurs prêtent.

En effet, on doit s’interroger sur la capacité des primaires à rassembler réellement, au-delà de la désignation d’un candidat, les militants et les autres participants dont les programmes et les opinions sont très différents, voire contradictoires, derrière le gagnant que le parti investira… Ce sont alors les disparités entre les programmes, voire leur éclatement entre opinions incompatibles, qui engendrent l’équivoque sur la valeur du soutien, voire son peu de sérieux ou pire son caractère purement opportuniste, qui sera apporté au gagnant. Le cas où le candidat le plus radical l’emporte est sans doute celui où ce phénomène est le plus net, puisque, comme des précédents l’ont montré, ceux qui le sont moins le soutiennent mollement et les électeurs modérés encore moins, qui s’en détournent lors de la présidentielle. Mais rien ne dit non plus que les plus radicaux se rangent sans réserve derrière un gagnant modéré, si ce n’est tactiquement, et en lui faisant payer lourdement leur soutien. Bref, comme l’indique Denys de Béchillon (Grief, 2017, n° 4, p. 78, Dalloz – EHESS), « la tyrannie des petites différences » risque de jouer contre l’objectif recherché d’une union derrière le candidat et d’une cohérence de l’action électorale des partis eux-mêmes. De Gaulle n’affirma-t-il pas, entre les deux tours de 1965 : « Prétendre faire la France avec une fraction, c’est une erreur grave. Et prétendre représenter la France au nom d’une fraction, cela, c’est une erreur nationale impardonnable ».

Au-delà, l’introduction partielle de primaires introduit trois distorsions dans le choix des candidats. Le paysage actuel est marqué par l’absence de généralisation du recours aux primaires pour désigner les candidats, à la différence notoire de la situation aux États-Unis. Ce caractère lacunaire favorise l’émergence des candidats qui s’en distinguent, ce dont témoigne le succès d’Emmanuel Macron en 2017. Les partis organisant des primaires semblent échouer à obliger les candidats malheureux à soutenir activement celui qui a été désigné, au risque de contribuer significativement à la défaite de ce dernier à l’élection présidentielle. Enfin, en offrant un vainqueur et un ou plusieurs vaincus, les primaires telles qu’elles ont été organisées jusqu’ici ont occulté l’imprévu et la possible nécessité de devoir trouver, en cours de campagne, un remplaçant au premier.

Au final, on doit se demander si l’effet des primaires, dès lors qu’elles ne sont ni imposées par la mécanique électorale, ni généralisées n’est pas beaucoup plus perturbateur que sécurisant au regard d’une campagne qui postule une égalité entre les candidats.

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