Par Mélanie Courmont-Jamet et Pauline Gourdon, Avocats – bwg-associes

Afin de lutter contre la propagation du virus COVID-19, les pouvoirs publics ont pris des mesures très restrictives quant à la circulation des personnes et ordonné la fermeture de tous les commerces à l’exception des commerces ayant pour but de faire des achats de première nécessité.

Si l’activité de notre personnel soignant a été intense, celle de la majorité des français a significativement ralenti, occasionnant au mieux un maintien, parfois une baisse et au pire une perte pure et simple de revenus.

Ainsi, par exemple, le créancier d’un devoir de secours, parce qu’il est celui des époux dont la situation économique est la plus fragile, n’a de fait pas pu revenir à meilleure fortune en cette période de crise sanitaire.

Pire, le débiteur de cette pension a pu lui-même voir sa situation financière se précariser.

La modification, au mieux ponctuelle, au pire durable, des revenus du débiteur, comme ceux du créancier d’un devoir de secours ou d’une contribution à l’entretien et l’éducation des enfants justifie-t-elle une révision de cette pension alimentaire ?

Concomitamment, le rythme de la famille a changé tout comme son budget, avec des postes de dépenses qui, pour certains, ont explosé et pour d’autres, ont totalement disparu.

Ainsi, parce que le parent percevant une contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant est fréquemment celui qui l’héberge à titre principal, il a pu voir ses dépenses du quotidien augmenter significativement. À titre d’exemples, si les frais de cantine ne sont plus de mise consécutivement à la fermeture des écoles, le budget alimentation de la famille s’est, quant à lui, accru du fait des déjeuners et autres goûters désormais pris à la maison. De même, les frais de transport ont laissé place au surcoût des frais de fonctionnement (électricité, eau, gaz, etc.).

En revanche, les frais, autres que ceux du quotidien, se sont taris puisque, de fait, ils n’ont pas été exposés. Il s’agit notamment des frais de garde, de loisirs, de vacances, de suivi pédopsychiatrique, etc.

Pareillement, la modification ponctuelle des besoins du créancier d’un devoir de secours ou d’une contribution à l’entretien et l’éducation des enfants justifie-t-elle une révision de cette pension alimentaire ?

Que dit la Loi ?

La pension alimentaire, qu’elle soit due au titre du devoir de secours ou de la contribution à l’entretien et l’éducation des enfants, est une dette d’aliments1.

Elle est fixée en considération de l’état de besoin de l’autre époux, des dépenses afférentes aux enfants et des capacités financières de chacun des époux/parents.

Son versement est prioritaire par rapport à d’autres types de dépenses, notamment le remboursement d’un emprunt, etc.

Ainsi, sauf élément nouveau, tel qu’un changement significatif dans la capacité contributive de l’époux/du parent ou modification toute aussi importante des besoins, il n’y a aucune raison de revoir son principe et son montant en procédant à des coupes budgétaires2.

Elle est due douze mois sur douze que les frais soient exposés ou pas et ce plus particulièrement pour la contribution à l’entretien des enfants. En effet, celle-ci doit être réglée y compris pendant les périodes de vacances scolaires et lorsque l’enfant est sous la responsabilité du parent débiteur de la pension alimentaire.

Expression de la solidarité familiale, elle est particulièrement protégée par la loi qui prévoit et organise des mesures d’exécution forcée et de recouvrement très dissuasives pour le débiteur, en cas de défaillance de celui-ci : procédure de paiement direct, saisie des rémunérations, recouvrement par le Trésor public ou par l’organisme débiteur de prestations familiales (caisse d’allocations familiales ou Caisse de mutualité sociale agricole).

Le débiteur d’aliments volontairement défaillant pendant plus de deux mois s’expose aussi à des poursuites pénales, au titre du délit d’abandon de famille, prévu à l’article 227-3 du Code pénal3 et puni d’une peine pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende.

Il s’expose également à des sanctions civiles, telle que la privation de l’exercice de l’autorité parentale (article 373 du Code civil4).

Au cœur de la crise sanitaire, Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, et Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des Solidarités et de la Santé, l’ont d’ailleurs fermement rappelé : « le versement de la pension alimentaire doit être maintenu pendant le confinement » puisqu’elle « représente une part non négligeable des ressources des familles concernées, souvent des parents seuls, qui peuvent compte tenu de la situation sanitaire être confrontées à des difficultés financières réelles. »5

À lire ce communiqué, la crise sanitaire actuelle et ses conséquences ne sont pas des éléments de nature à pouvoir justifier le non-paiement d’une pension alimentaire.

Il n’en demeure pas moins qu’en cette période exceptionnelle, certaines personnes ont pu être confrontées à de réelles difficultés. Ainsi, le montant de la pension a pu devenir inadapté à la capacité financière du débiteur qui, de bonne foi, a pu se trouver empêché d’exécuter son obligation, ou aux besoins du créancier. Cela est sans compter la mauvaise foi qui, même en cette période où la solidarité est plus que jamais de mise, a pu motiver certains débiteurs à réduire ou supprimer tout règlement.

Comment résoudre, en pratique, ces difficultés pendant la crise sanitaire ?

Pour le créancier qui ne perçoit pas la pension alimentaire, quelle qu’elle soit, le premier réflexe est de recourir à l’exécution forcée des décisions de Justice qui ont condamné le débiteur au règlement de celle-ci.

Précisons que si les huissiers de justice ont reçu instruction de leur Ordre de suspendre les significations de décisions de Justice et toute mesure d’exécution forcée pendant la période de confinement, cette restriction ne concernait pas les mesures relatives au droit de la famille, et donc les mesures financières. Cela étant si l’exécution forcée permet au créancier de recevoir la pension alimentaire, cette mesure ne fait aucun cas des éventuelles et ponctuelles difficultés du débiteur à la régler.

Pour le créancier comme pour le débiteur, l’autre réflexe est de solliciter une modification de la pension alimentaire en saisissant le Juge aux affaires familiales.

Là encore, en pratique, la difficulté est double.

Tout d’abord, parce que, si, en temps normal, les délais d’audiencement et de délibéré pouvaient d’ores et déjà être très longs, ils le sont encore plus aujourd’hui.

En effet, depuis le 12 mars 2020, l’activité judiciaire a été réduite aux cas d’extrêmes urgences, à savoir les violences intrafamiliales et les enlèvements d’enfants, de sorte que, pareille demande purement financière, rarement considérée comme prioritaire, en pratique, par les juridictions, l’est encore moins en tant de crise sanitaire.

Si depuis le 11 mai dernier, date de levée du confinement, l’activité judiciaire reprend, elle reste encore très limitée et plusieurs mois seront nécessaires pour traiter toutes les affaires qui auraient dû l’être pendant le confinement et absorber toutes les nouvelles saisines pendant et après cette période.

Ensuite, parce que l’aléa judiciaire est toujours important et que serait bien présomptueux celui qui pourrait préjuger de la manière dont le Juge aux affaires familiales appréciera les conséquences d’une modification ponctuelle des capacités financières ou des besoins sur le montant de la pension alimentaire.

Autre solution pour le seul créancier d’une contribution à l’entretien et l’éducation des enfants : solliciter l’aide de l’État en saisissant l’agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaire (ARIPA) via la caisse d’allocations familiales ou la caisse de mutualité sociale agricole.

Cette agence pourra verser une allocation de substitution à la pension alimentaire : l’allocation de soutien familial (ASF) à tout parent en difficulté.

Un bémol toutefois, cette aide est limitée à un montant de 115,99 euros par mois et par enfant et sera souvent insuffisante pour permettre de pallier les carences du débiteur de la pension alimentaire.

Le dernier réflexe, qui nous semble devoir s’imposer avec encore plus d’évidence dans le contexte et ce, tant pour le débiteur que pour le créancier de toute pension alimentaire, est la recherche d’une solution amiable.

L’avocat, trop souvent vu comme le professionnel du contentieux, est aussi et avant tout un conseil pouvant œuvrer efficacement pour parvenir au règlement du différend entre le débiteur et le créancier de la pension alimentaire.

Très opportunément, l’Ordonnance n° 68/2020 du 29 mai 2020 modifiant celle du 3 janvier 2020 relative au Tribunal Judiciaire de Paris, invite d’ailleurs « les avocats à s’approprier les méthodes alternatives de règlement des litiges (MARD) et notamment, pour les affaires civiles en cours, la procédure participative de mise en état et la médiation. »

Pareillement, le recours à la médiation peut permettre de dépasser ce différend. Rappelons d’ailleurs que le Conseil de l’Ordre de Paris a mis en place, dès le mois de mars 2020, un groupe d’avocats-médiateurs, parmi ceux inscrits sur la plateforme de médiation du barreau, les médiations ayant lieu exclusivement par système de télé et visio-conférence.

Le recours à l’imagination, aux conseils et autres suggestions des avocats ou médiateurs sera de mise pour tenter de dépasser ces difficultés et trouver la solution la plus adaptée et ce dans les meilleurs délais : diminution ponctuelle de la pension alimentaire au prorata des frais non exposés, allègement temporaire des charges fixes tel que la suspension des échéances d’emprunt, le remboursement de pass Navigo, l’aménagement du temps de prise en charge de l’enfant, etc.

Certaines situations seront peut-être insolubles et nécessiteront l’arbitrage du Juge aux affaires familiales mais, en cette période loin d’être régularisée sur le plan judiciaire, sensibilisons et tentons, plus que jamais, la résolution amiable.


[1] Article 203 du Code civil : « Les époux contractent ensemble, par le fait seul du mariage, l’obligation de nourrir, entretenir et élever leurs enfants. »
Article 212 du Code civil : « Les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance. »
Article 371-2 du Code civil : « Chacun des parents contribue à l’entretien et à l’éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l’autre parent, ainsi que des besoins de l’enfant. Cette obligation ne cesse de plein droit ni lorsque l’autorité parentale ou son exercice est retiré, ni lorsque l’enfant est majeur. »
[2] Article 209 du Code civil : « Lorsque celui qui fournit ou celui qui reçoit des aliments est replacé dans un état tel, que l’un ne puisse plus en donner, ou que l’autre n’en ait plus besoin en tout ou partie, la décharge ou réduction peut en être demandée. »
[3] Article 227-3 du Code pénal : « Le fait, pour une personne, de ne pas exécuter une décision judiciaire ou l’un des titres mentionnés aux 2° à 5° du I de l’article 373-2-2 du code civil lui imposant de verser au profit d’un enfant mineur, d’un descendant, d’un ascendant ou du conjoint une pension, une contribution, des subsides ou des prestations de toute nature dues en raison de l’une des obligations familiales prévues par le code civil, en demeurant plus de deux mois sans s’acquitter intégralement de cette obligation, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »
[4] Article 373 du Code civil : « Est privé de l’exercice de l’autorité parentale le père ou la mère qui est hors d’état de manifester sa volonté, en raison de son incapacité, de son absence ou de toute autre cause. »
[5] Communiqué de presse du 9 avril 2020.

 

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