Par Jean-Marie Crouzatier, professeur de droit à l’Université Toulouse Capitole 1

Le gouvernement des États-Unis a confirmé le mardi 7 juillet avoir officiellement notifié l’ONU du retrait américain de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). La décision est remarquable car les États-Unis ont été, depuis la création de l’OMS, un des principaux contributeurs et coordinateurs des efforts internationaux en matière sanitaire. La décision de retrait fait suite à une crise débutée en avril 2020 : insatisfaite de la gestion par l’OMS de la pandémie de Covid-19, l’administration Trump avait menacé l’organisation de suspendre son financement. Un mois plus tard, le président étatsunien avait accusé l’OMS d’être « une marionnette de la Chine ». Fin mai, il annonçait mettre fin aux relations de son pays avec l’organisation, accusée d’avoir « échoué à faire les réformes nécessaires et requises ».

La décision de l’administration étatsunienne était prévisible pour peu qu’on la replace dans un contexte international tendu ; quant à ses effets sur le fonctionnement de l’OMS, ils ne sont pas négligeables, mais doivent être relativisés.

Une décision prévisible…

L’OMS a adopté dès sa création un règlement sanitaire international : le RSI n° 2. Régulièrement révisé (1969, 1973, 1981, et enfin 2007), il concerne les transports internationaux (mer, air, fer, route) et vise à réduire la transmission des épidémies par-delà les frontières. Il prévoit en particulier la notification des maladies : l’État concerné notifie au plus tard dans les 24 heures à l’OMS une infection qu’il a détectée sur son territoire ; et l’OMS communique l’information aux autres États membres. Elle a également la responsabilité de déclarer une « urgence de santé publique de portée internationale ».
Or dès le début de la pandémie, des difficultés à mettre en place une gestion internationale de la Covid-19 sont apparues de façon évidente. Comme lors des précédentes crises sanitaires internationales, les acteurs se sont signalés par la lenteur de la réaction : retard du pays d’origine – la Chine – à déclarer l’infection ; retard de l’OMS, soumise à de fortes pressions, pour déclarer l’urgence de santé publique de portée internationale.

Lorsque, le 12 décembre 2019, huit lanceurs d’alerte, dont le docteur Li Wenliang, annoncent l’existence à Wuhan d’un virus apparu le 17 novembre et susceptible de contaminations interhumaines, ils sont accusés de répandre de fausses rumeurs, arrêtés par la police et menacés de poursuites judiciaires. Les autorités chinoises ne reconnaîtront la réalité de l’épidémie qu’en janvier 2020… Au nom de la « stabilité sociale », elles ont laissé le virus se répandre en silence pendant trois semaines avant d’agir : ce délai aurait pu prévenir l’épidémie au Hubei et la pandémie qui gagne la planète ensuite.

Si la Chine porte la responsabilité du retard de la riposte internationale au virus, elle partage pourtant cette faute avec l’OMS dont l’attitude a été particulièrement attentiste : ce n’est que le 30 janvier 2020, après deux semaines de tergiversations, malgré les alarmes lancées par les experts, que l’OMS déclare une urgence de santé publique internationale. Auparavant, le Directeur général avait parlé de « risque modéré » le 15 janvier, puis de « menace élevée » le 27 janvier, avant d’indiquer le 30 janvier que la déclaration d’une urgence sanitaire ne constituait pas « un vote de défiance à l’égard de la Chine », et d’ajouter qu’il n’y avait pas lieu de limiter les échanges commerciaux et les voyages avec ce pays (il ira même jusqu’à critiquer la décision de Donald Trump de suspendre les vols en provenance de la Chine vers les États-Unis). Enfin, c’est seulement le 11 mars 2020 que le Directeur général de l’OMS, le docteur Tedros Adhanom, accepte de qualifier la Covid-19 de « pandémie ».

Ce sont les pressions du gouvernement chinois qui expliquent l’attentisme de l’organisation. La Chine, puissance mondiale, l’un des plus influents donateurs de l’OMS, mais surtout le pays qui dirige le « groupe des 77 » (pays en développement) qui a favorisé l’élection de l’actuel Directeur général, l’éthiopien Tedros Adhanom. Ce dernier n’a eu de cesse de satisfaire les dirigeants chinois. Ainsi, lorsqu’il annonce officiellement le nom donné au virus – Covid-19 – (Covid pour Coronavirus disease ; 19 pour 2019), il ajoute ce commentaire significatif : « Nous devions trouver un nom qui ne faisait pas référence à un lieu géographique… ». Ce n’était pourtant pas un problème pour les précédentes épidémies : Ebola, Marburg, Lassa, autant de noms de lieu ou de rivière proches de leur découverte. Le Directeur général manifeste un soutien indéfectible à Pékin, ne cessant de répéter que l’expérience de la Chine « peut servir de leçon » aux autres pays et vantant sans modération les mesures « héroïques » chinoises. Le 19 mars 2020, il annonce triomphalement que « pour la première fois, la Chine n’a notifié aucun cas autochtone. C’est un résultat extraordinaire ».

Cette situation ne pouvait qu’exaspérer Washington qui accuse l’OMS d’avoir manqué à sa mission en acceptant, sans les vérifier, les affirmations rassurantes et les bilans tronqués communiqués par Pékin sur l’épidémie. La décision était donc attendue : plutôt que de demander, une fois encore, un rapport à une commission, les États-Unis ont annoncé leur retrait de l’organisation. D’autant que la résolution votée par l’Assemblée mondiale de la santé le 19 mai 2020 appelle à « engager dès que possible, en consultation avec les États membres, un processus d’évaluation impartiale, indépendante et complète afin d’examiner les leçons à tirer de la réponse coordonnée par l’OMS à l’épidémie de Covid-19 ». Tout en précisant que ce processus ne pourrait débuter qu’après la fin de la pandémie.

…dans un contexte international tendu

Dans un monde polycentrique, les États-Unis ont perdu leur hégémonie et en arrivent à s’opposer à leurs adversaires, mais aussi à leurs alliés. Concernant les adversaires, c’est l’antagonisme avec la Chine qui prédomine : en raison du déficit commercial que les États-Unis ne parviennent pas à combler ; de leurs critiques contre la politique de la République populaire de Chine à l’égard de Hong Kong ; ou de l’affrontement militaire en mer de Chine méridionale que la Chine prétend annexer, au détriment des droits des pays riverains et de la liberté de navigation à laquelle Washington est particulièrement attachée pour des motifs géostratégiques.

Quant aux alliés des États-Unis, ils sont blâmés pour leur attitude accommodante avec la Chine et pour refuser d’accroitre leur contribution financière à l’OTAN. Washington est en compétition avec beaucoup d’entre eux sur la plupart des questions internationales.

De façon générale, le président Trump – élu sous le slogan « America First » – manifeste un dédain de plus en plus marqué pour des organisations internationales créées avec le soutien des États-Unis après la guerre, qui ont servi les intérêts étatsuniens pendant la seconde moitié du vingtième siècle, mais qui – à l’exception des institutions internationales financières – échappent à leur contrôle en raison de l’émergence de nouvelles puissances. C’est notamment le cas de la Chine qui s’appuie sur le « groupe des 77 » – des pays en développement dans lesquels elle investit massivement et qui deviennent ainsi ses obligés – pour faire élire ses ressortissants à la direction des organisations internationales.

Un retrait dont l’importance doit être relativisée

L’importance de ce retrait doit être relativisée pour deux raisons.

D’abord parce que les statuts de l’OMS prévoient que la notification de retrait d’un État devient effective au terme d’un délai d’un an : le retrait des États-Unis prendra effet le 6 juillet 2021. Il ne s’agit donc pas d’une rupture brutale qui laisserait l’organisation désemparée.

Ensuite, parce que si les États-Unis sont le plus gros contributeur de l’organisation (à laquelle ils ont versé 400 millions de dollars en 2019), la plus grande partie de cette somme est constituée de contributions volontaires « fléchées » vers des programmes précis : autrement dit, des programmes que l’organisation ne maîtrise pas…

La contribution obligatoire, sans être négligeable, n’est pas vitale (et sera sans doute abondée par d’autres participants, notamment l’UE et la Chine) ; quant aux actions « fléchées », elles ne dépendaient pas de toute façon de l’OMS et seront sans doute assurées par des ONG nord-américaines (avec un financement US puisque Washington assure que les fonds qui devaient être attribués à l’OMS seront redistribués à d’autres acteurs de la santé).

Pour comprendre, il faut examiner la composition du budget de l’OMS : l’organisation gère un budget biannuel d’à peu près quatre milliards de dollars (le budget pour l’exercice actuel est de 4 421 500 000 dollars). Mais 23 % seulement de la somme est fourni par les contributions obligatoires des États membres ; 77 % provient des contributions volontaires d’États (61%), de fondations (23%) et d’entreprises privées (16%). Or la plupart des contributions volontaires financent des actions bilatérales « fléchées » qui échappent au contrôle du Conseil exécutif : ainsi, pour les États-Unis, le plan d’urgence présidentielle contre le sida (PEPFAR) lancé en 2003 par George Bush a permis de faire reculer la maladie dans le monde, notamment en Afrique ; les États-Unis ont également joué un rôle déterminant dans la réponse au tsunami en 2004, ou lors des pandémies de H1N1 ou Ebola plus récemment. Autant de programmes financés et contrôlés par les États-Unis, « sous pavillon » OMS.

La décision américaine n’y changera rien : l’OMS n’a jamais été plus dépendante de ses donateurs, notamment de la fondation Bill et Melinda Gates qui peut – à elle seule – combler le déficit créé par le retrait des États-Unis.

 

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