Par Séverine Martel, avocate associée, et Fernando Teixeira, avocat au sein de l’équipe Droit Social, Reed Smith LLP, bureau de Paris

Jusqu’à présent, le mot déconfinement était absent du dictionnaire. Il est pourtant sur toutes les lèvres depuis les annonces du Président de la République le 13 avril dernier.

Avec lui, s’ouvre une nouvelle ère pour les entreprises qui vont devoir s’atteler à des dossiers épineux : adaptation des lieux de travail pour tenir compte de la crise sanitaire, sortie ou maintien du chômage partiel, gestion du télétravail, etc. Petit aperçu des questions des questions que se posent les employeurs.

Le déconfinement signe-t-il le retour à des conditions de travail « normales » ?

Bien que la situation sanitaire se soit améliorée, la menace du Covid-19 plane toujours.

Beaucoup d’activités font encore l’objet de restrictions et comme ne cesse de le répéter le Gouvernement, le télétravail doit continuer à être privilégié là où c’est possible.

Lorsque ce n’est pas le cas, les entreprises sont confrontées à plusieurs problématiques : distanciation sociale, gestion des salariés présentant des symptômes du Covid-19, etc.

Elles ont heureusement pu s’appuyer sur le protocole national de déconfinement établi par le Ministère du Travail et le guide établi par l’INRS (Institut National de Recherche et de Sécurité).

En prévision de la reprise progressive d’activité, rappelons que le document unique d’évaluation des risques professionnels doit être mis à jour. Bien que l’évaluation des risques professionnels soit une obligation pour toutes les entreprises, ce document était parfois négligé notamment dans les activités de conseil. Cet outil a retrouvé ses lettres de noblesse à l’occasion de la crise sanitaire et s’avère utile pour répertorier les actions à prendre pour réduire le risque de contamination au Covid-19 mais aussi les risques psycho-sociaux que peuvent engendrer le télétravail. Gageons qu’en cas de contrôle au cours des prochaines semaines, l’Inspection du Travail sera particulièrement attentive aux mesures prises par les employeurs et au contenu de ce document. Dans cette perspective, on ne saurait trop les conseiller de le mettre à jour en s’entourant si possible d’experts en matière de santé et de sécurité au travail (sociétés spécialisées, médecine du travail, etc.) et en y associant les représentants du personnel.

Le télétravail a-t-il pris son essor avec le confinement ?

Cela est probable au vu des retours globalement positifs.

L’épisode des dernières grèves a préparé le terrain, notamment en région parisienne, mais c’est surtout le confinement qui a été l’occasion pour beaucoup de se confronter pour la première fois à cette modalité. Même si ici ou là, il y a eu évidemment des difficultés pratiques (en termes de cyber sécurité, d’agencement de l’espace de travail au domicile, etc.), l’adaptation a été réussie en un temps record.

Le télétravail ne va bien évidemment pas devenir la règle mais nul doute que son utilisation va être plus importante qu’avant la crise tant les réfractaires que ce soit du côté des employeurs ou des salariés ont pu apprécier ses attraits. Au-delà de la seule distanciation sociale, il présente plusieurs avantages : diminution des besoins de bureaux, autonomie des salariés, réduction des trajets domicile-lieu de travail, etc.

Toutefois, certains points doivent être pris en considération. Outre les enjeux de l’ergonomie du poste de travail du salarié à son domicile, de la prise en charge des frais professionnels, de l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle, certains salariés peuvent sur le long terme souffrir de risques psycho-sociaux liés à un défaut de management ou de contact régulier avec leurs collègues.

Ces problématiques ne sont pas neutres et doivent faire l’objet d’un encadrement entreprise par entreprise. Or, beaucoup d’entre elles sont à ce jour dépourvues d’un accord ou d’une charte sur le sujet du télétravail. La rentrée en septembre devrait être l’occasion de négocier avec les partenaires sociaux sur ces questions.

Comment faire face à une baisse d’activité post-déconfinement ?

Le recours à l’activité partielle demeure possible même si le Gouvernement incite fortement les entreprises à en sortir en annonçant à partir du mois de juin une baisse des aides qui leur seront versées.

Le chômage partiel a atténué le choc économique lié au confinement en évitant une explosion record du nombre de demandeurs d’emplois mais il est probable qu’un certain nombre d’entreprises n’auront d’autre choix à la rentrée que d’engager des mesures de réduction des effectifs.

Nul n’est en mesure de prédire l’ampleur de ces réorganisations mais ce qui est certain c’est que beaucoup d’employeurs y réfléchissent. Ils ne sont d’ailleurs pas les seuls puisqu’un dispositif spécifique de chômage partiel pour les entreprises subissant une baisse durable d’activité en contrepartie d’engagements pris en matière d’emploi est sur le point d’être créé. L’activité réduite pour le maintien en emploi serait subordonnée à la signature d’un accord collectif. L’accord d’entreprise ou de groupe devrait être validé par l’Administration. Quant à l’accord de branche étendu, celui-ci permettrait à l’employeur d’établir un document unilatéral soumis au comité social et économique et devant être homologué par l’Administration. Des précisions sont encore attendues sur ce nouveau mécanisme.

D’autres mesures peu usitées avant cette crise à l’instar du télétravail et du chômage partiel peuvent constituer des alternatives à des ruptures « sèches » de contrat de travail. C’est le cas des accords de performance collective qui ont pour objet de répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise et/ou de préserver ou développer l’emploi. Plusieurs thèmes peuvent être abordés dans ce cadre : durée du travail, rémunération dans le respect des minima légaux et conventionnels ou encore mobilité professionnelle ou géographique.

L’intérêt de cet accord est multiple :

  • hormis les thèmes possibles, son contenu est relativement peu encadré par le législateur ce qui laisse une marge de manœuvre assez importante aux négociateurs ;
  • l’accord peut être conclu pour une durée indéterminée ou déterminée ;
  • les stipulations de l’accord prévalent sur les éventuelles clauses contraires contenues dans le contrat de travail ;
  • en cas de refus du salarié de se voir appliquer l’accord, l’employeur pourra procéder à son licenciement lequel ne sera pas régi par le droit du licenciement économique.

Il n’est pas exclu que compte tenu des prévisions économiques les syndicats de salariés soient désormais moins réticents à négocier de tels accords. S’ils jouent le jeu, ils pourraient également mettre sur la table des négociations d’autres problématiques importantes telles que les conditions de travail. On ne peut pas, par ailleurs, exclure que d’ici la rentrée, le Gouvernement décide de renforcer l’attractivité de ces accords pour inviter les entreprises et les syndicats à y recourir pour diminuer le nombre de licenciements économiques.

 

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