Par Jean-Baptiste Perrier, Professeur à Aix-Marseille Université et Directeur de l’Institut de sciences pénales et de criminologie

Les enquêtes qui ne portent pas sur des faits flagrants sont considérées comme moins urgentes (la circulaire invite même à limiter les interpellations ne présentant pas de caractère d’urgence) et les moyens doivent être déployés en priorité pour les enquêtes plus urgentes s’il y a un risque pour l’ordre public

Dans un contexte de pandémie mondiale, les mesures de confinement, de fermeture des établissements scolaires (et donc d’absences pour les parents concernés) et de limitation des déplacements ont nécessairement des conséquences sur le fonctionnement des services de police judiciaire et sur l’activité des juridictions pénales.

Face à la nécessité d’éviter la propagation du virus et à la baisse, inévitable, du nombre d’agents disponibles, la chaîne pénale ralentit. Pourtant, et malheureusement, la criminalité ne ralentit pas dans les mêmes proportions : il faut poursuivre les enquêtes en cours, juger les auteurs qui sont en détention provisoire, mais aussi appréhender les auteurs des nouvelles infractions, d’autant plus que le contexte actuel fait apparaître de nouvelles et odieuses formes de criminalité (vols dans les pharmacies, escroqueries pour vendre des masques, etc.).

La circulaire du 14 mars relative à l’adaptation de l’activité pénale et civile des juridictions aux mesures de prévention et de lutte contre la pandémie COVID-19 prévoit des mesures d’adaptation du fonctionnement de la justice pénale dans le contexte de la pandémie du COVID-19.

Ces mesures d’adaptation sont élaborées à partir du droit existant : elles sont donc nécessairement limitées. Il n’en sera pas de même avec l’ordonnance en préparation, portant adaptation des règles de procédure pénale, qui va prochainement être prise sur le fondement de la loi d’urgence sanitaire adoptée le 22 mars pour faire face à l’épidémie de COVID-19.

L’ordonnance à venir aura vocation à prolonger mais aussi à modifier les mesures d’adaptation préconisées par la Circulaire.

Le Club des juristes : Comment se déroulent les enquêtes dans le contexte actuel de lutte contre la pandémie ?

Jean-Baptiste Perrier : Afin de tenir compte des enjeux de santé publique et de la nécessaire réduction de l’activité, la circulaire du 14 mars 2020 invite à privilégier la poursuite des enquêtes de flagrance « présentant un fort enjeu en termes d’ordre public ». Les enquêtes qui ne portent pas sur des faits flagrants sont ainsi considérées comme moins urgentes (la circulaire invite même à limiter les interpellations ne présentant pas de caractère d’urgence) et les moyens doivent être déployés en priorité pour les enquêtes plus urgentes, tout particulièrement s’il y a un risque pour l’ordre public. En d’autres termes, et cela se comprend tout à fait, si l’on manque de moyens, en particulier humains, il faut prioriser les enquêtes portant sur des faits de violences graves qui viennent d’être commis et qui risquent de se renouveler, tandis que les investigations en cours depuis plusieurs mois sur une infraction financière peuvent attendre.

Cela ne signifie pas pour autant que toutes les autres enquêtes cessent, il faut de toute façon vérifier la situation au cas par cas, pour chaque juridiction, mais si un choix doit être fait, l’ordre de priorité est connu.

Pour ces enquêtes, la question reste toutefois posée des mesures à mettre en œuvre afin d’éviter la contamination des forces de police et des personnes appréhendées. Les locaux et les cellules de garde à vue présentent depuis longtemps de vraies carences du point de vue de la salubrité, il est à craindre qu’ils ne présentent pas les garanties nécessaires pour protéger les personnes contre le risque de contamination. Or si les avocats ont pu interpeler les pouvoirs publics sur ce risque, la circulaire reste silencieuse et ne mentionne nullement la question des moyens sanitaires. Seul l’examen médical est envisagé pour indiquer que lorsque le médecin constate les symptômes du COVID-19 chez la personne gardée à vue, et si son état de santé ne s’y oppose pas, la mesure peut se poursuivre sous une forme médicalisée (notamment dans des locaux hospitaliers).

Enfin, s’agissant des mesures de contrainte mises en œuvre contre les personnes mises en examen dans le cadre d’une instruction, la circulaire précise qu’il est possible d’alléger l’obligation pour une personne de se présenter aux services de police (ce que l’on appelle pointer) et que le non-respect en raison du confinement ne doit pas nécessairement être vu comme un manquement volontaire (on note toutefois que le respect de cette obligation est un nouveau motif dérogatoire autorisant la sortie du domicile, depuis le décret du 19 mars 2020). Pour les personnes placées en détention provisoire, la circulaire invite à recourir à la visioconférence et précise que les circonstances actuelles peuvent être regardées comme des circonstances insurmontables justifiant l’absence d’audience, même en visioconférence, mais aussi le non-respect des délais impartis aux juridictions pour statuer en la matière, et éviter ainsi la mise en liberté d’office des personnes concernées.

LCJ : Comment juger les auteurs d’infractions alors que les juridictions ne doivent plus accueillir du public et ne garantissent pas les conditions sanitaires adéquates ?

J-B.P. : De très nombreuses juridictions ont annoncé leur fermeture partielle, renvoyant à plus tard les audiences non urgentes, y compris les audiences les plus lourdes comme en matière criminelle, même si la circulaire propose des solutions très en-deçà de celles mises en œuvre, indiquant sur ce point que l’audience de la cour d’assises pourrait se tenir, même en l’absence de l’avocat, tout en invitant au renvoi si l’absence de l’avocat est due à sa maladie. Face aux enjeux en termes de santé publique, pour les personnels judiciaires comme pour les avocats, il faut sans doute se féliciter du fait que les juridictions dépassent ces préconisations et renvoient les affaires non urgentes ; la question sera évidemment celle de la date, d’autant plus que l’on sait que de nombreux renvois ont déjà été ordonnés au cours des semaines précédentes, lors de la grève des avocats.

Certaines audiences ne peuvent toutefois être renvoyées et la circulaire invite alors les magistrats à ordonner le huis clos, pour éviter la promiscuité avec le public. Plus encore, lorsque l’audience a pour seul objet de renvoyer l’affaire concernant une personne en détention, la décision de renvoi et de prolongation de la détention peut être prise en l’absence de l’intéressé, notamment lorsque son extraction n’est pas strictement nécessaire ou lorsqu’il est absent en raison de son état de santé. La circulaire envisage donc plus la question du prévenu déjà atteint que celle de la prévention de la propagation du virus, et il en va de même pour les personnes jugées en comparution immédiate, si elles ne peuvent être présentes en raison de leur état de santé.

LCJ : Quelles conséquences pour les personnes actuellement détenues pour exécuter leur peine ?

J-B.P. : S’agissant de l’exécution des peines, la circulaire du 14 mars 2020 apporte à nouveau des précisions visant à faciliter les débats devant les juridictions de l’application des peines, en visioconférence ou en l’absence du condamné, voire à se dispenser de l’avis de la commission d’application des peines.

Sur cette question toutefois, l’enjeu était sans doute ailleurs. De nombreuses voix se sont élevées pour appeler à recourir massivement aux aménagements de peines (notamment le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, le Défenseur des droits, la Comité européen de prévention de la torture, ou encore un collectif de médecins, avocats, magistrats et universitaires), et ce pour éviter que la promiscuité du milieu carcéral n’accélère la propagation du virus dans les établissements pénitentiaires. Malgré l’annonce d’un détenu contaminé à Fresnes, décédé depuis, la circulaire reste prudente et n’invite qu’à limiter et à différer la mise à exécution des peines déjà prononcées.

La circulaire indique également qu’il est possible, pour les condamnés dont le reliquat de peine est inférieur ou égal à un an, de suspendre l’exécution de leur peine ; on devine qu’une telle possibilité n’est pas réservée aux personnes malades, qui peuvent d’ailleurs plus facilement bénéficier d’une suspension de peine dans une telle hypothèse (selon les prévisions de l’article 720-1 du Code de procédure pénale). La solution préconisée conduit alors à suspendre certaines peines d’emprisonnement en cours d’exécution, ce qui signifie que les personnes vont sortir libres, éventuellement soumises à quelques mesures de contrôle, avant de revenir au sein de l’établissement, après l’épidémie, pour exécuter la peine restante. Cette solution est quelque peu ambiguë car elle introduit une complexité et fait perdre son sens à la peine fractionnée, alors même que le seuil retenu (un an) aurait pu conduire à aménager immédiatement leur peine, notamment par une assignation à résidence qui aurait pris un sens tout particulier en cette période de confinement.

À lire : Circulaire relative à l’adaptation de l’activité pénale et civile des juridictions aux mesures de prévention et de lutte contre la pandémie COVID-19

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