Par Mathieu Maisonneuve, Professeur de droit public à l’Université d’Aix-Marseille

Le 13 mars 2020, en raison de l’épidémie de Covid-19, la Ligue de football professionnel (LFP) a décidé de suspendre ses compétitions. Après que le Premier ministre a déclaré à la tribune de l’Assemblée nationale que « la saison 2019-2020 de sport professionnel, notamment celle de football, ne pourra pas reprendre », la LFP a, le 30 avril, prononcé l’arrêt définitif de la saison en cours des championnats de Ligue 1 et de Ligue 2. Une première depuis la saison 1939-1940. À la différence d’autres ligues sportives professionnelles, notamment de basket et de rugby, elle n’a toutefois pas opté pour une « saison blanche ». Elle a préféré établir un classement sur la base des 73% de matchs qui avaient pu être joués, décerner les titres de champion, et maintenir le principe des promotions/relégations. Entre autres conséquences, la société « Toulouse Football Club » et la société « Amiens Sporting Club » ont été reléguées en Ligue 2. Ces deux derniers clubs, ainsi que la société « Olympique Lyonnais », que sa place de septième ne qualifie pas pour une coupe d’Europe, ont, le 25 mai, saisi en référé le Conseil d’État de demandes de suspension des décisions prises. Leurs requêtes ont été jugées ensemble par une ordonnance du 9 juin.

Les décisions de la LFP de mettre fin aux championnats de Ligue 1 et Ligue 2 avant terme, et d’établir le classement des saison 2019-2020 sur la base des matchs joués jusque-là, étaient-elles légales ?

Pour le juge des référés du Conseil d’État, la réponse est oui, ou, plus exactement, il a estimé qu’il n’existait pas, en l’état de l’instruction, de doutes sérieux sur la légalité de ces décisions. Il n’a pas eu besoin, pour parvenir à cette conclusion, d’attendre la publication de la loi relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire définitivement adoptée par le Parlement le 10 juin. Son article 1er bis B vise à donner un fondement légal rétroactif aux mesures prises par les fédérations délégataires sportives ou leur ligues professionnelles pour adapter les règles des compétitions qu’elles organisent aux contraintes nées de l’épidémie de covid-19. Il n’a pas non plus eu besoin de convoquer, en tout cas formellement, la théorie jurisprudentielle dite des circonstances exceptionnelles, laquelle permet de valider des décisions qui auraient été illégales en temps normal.

Dans son ordonnance du 9 juin, le juge des référés a estimé, même si le contexte particulier dans lequel elles ont été prises a éventuellement pu conduire à une forme de tolérance, que les décisions contestées étaient restées dans le cadre de la légalité ordinaire. Pour en être totalement certain, il faudra toutefois attendre que soient jugés les recours pour excès de pouvoir qui accompagnaient les demandes de suspension.

La LFP pouvait-elle légalement décider, comme elle l’a fait, de reléguer les clubs de Toulouse et Amiens en Ligue 2 ?

Le juge des référés du Conseil d’État a, cette fois, estimé qu’il existait un doute sérieux sur la légalité de cette décision. Son exécution a en conséquence été suspendue. Il n’est toutefois pas impossible que les deux clubs concernés soient malgré tout relégués en Ligue 2. Ce n’est en effet pas le principe même d’une relégation à l’issue d’une saison tronquée qu’a remise en cause le juge. Dans une ordonnance du 11 juin, qui concernait elle l’arrêt des championnats amateurs de football, il a d’ailleurs validé les relégations prévues.

S’il en est allé différemment concernant celles de Toulouse et d’Amiens en Ligue 2 pour la saison 2020-2021, c’est parce que la LFP a commis une erreur de droit en s’appuyant, pour prendre sa décision, sur une norme qui n’était pas applicable à la saison sportive concernée. En effet, pour exclure la solution d’une prochaine saison de Ligue 1 à 22 clubs, qui aurait permis de faire monter deux clubs de Ligue 2 sans faire descendre de clubs de Ligue 1, le conseil d’administration de la LFP s’est fondé sur la convention régissant les rapports de cette dernière avec la FFF, laquelle prévoit que la Ligue 1 compte entre 18 et 20 clubs au maximum. Or, le terme de cette convention était fixé au 30 juin 2020. Le motif de suspension retenu dans l’ordonnance du 9 juin n’interdit donc pas à la LFP de reprendre la même décision que celle suspendue, par exemple en se fondant cette fois sur la convention qui s’appliquera pour la période 2020-2024. L’hypothèse peut d’autant moins être exclue que, en l’état, elle prévoit comme la précédente, une Ligue 1 à 20 clubs au plus. Cette convention a déjà été adoptée par l’assemblée générale de la LFP le 20 mai dernier et est en attente d’adoption par l’assemblée fédérale de la FFF.

Rien n’interdit toutefois de la renégocier. Le juge des référés du Conseil d’État a laissé au conseil d’administration de la Ligue jusqu’au 30 juin pour réexaminer, en lien avec les instances compétences de la Fédération, le principe des relégations pour la prochaine saison. Dans le cas où la relégation des deux clubs serait confirmée, une nouvelle demande de suspension en référé resterait alors envisageable, voire un recours en responsabilité, ne serait-ce qu’en raison de l’incertitude créée par la première décision suspendue.

Au-delà de la question des relégations, des clubs professionnels de football pourraient-ils engager des actions en responsabilité contre la LFP ou contre l’État afin d’obtenir réparation des préjudices subis du fait de l’arrêt des championnats ?

Concernant la LFP, cela paraît difficile. Un recours en responsabilité administrative pour faute est en l’état impossible, faute de doute sérieux sur la légalité de la décision d’arrêt qu’elle a prise, et un éventuel recours en responsabilité administrative sans faute supposerait que cette décision ait causé à certains clubs un préjudice spécial, ce qui, au sens où la jurisprudence entend cette notion, semble discutable s’agissant de préjudices nés d’une décision ayant affecté tous les clubs professionnels, quoique, il est vrai, plus ou moins lourdement. S’agissant d’un recours en responsabilité contre l’État, l’hypothèse a été évoquée par le président de l’Olympique Lyonnais. Juridiquement, cela n’avait rien de farfelu. L’ordonnance rendue par le Conseil d’État le 9 juin risque toutefois de compliquer les choses. Le juge des référés du Conseil d’État a en effet refusé de considérer que le conseil d’administration aurait commis « une erreur de droit, en se croyant lié à tort par une décision gouvernementale » lui imposant de mettre un terme définitif aux saisons en cours de Ligue 1 et de Ligue 2. Parce qu’une telle décision existait bel et bien ? L’ordonnance ne tranche pas ce point. Si le juge a rejeté le moyen, c’est pour une autre raison. Selon lui, le conseil d’administration de la LFP, pour arrêter les championnats, se serait fondé sur des considérations diverses, à savoir « des contraintes de calendrier », « la nécessité de préserver la santé de tous les acteurs des rencontres de football », « l’intérêt s’attachant à ce que les clubs disposent de la visibilité nécessaire pour gérer l’intersaison et organiser la saison 2020-2021 » et de simples « annonces gouvernementales ». À s’en tenir à cette vision des choses, l’existence d’un lien de causalité direct et certain, entre la déclaration du Premier ministre à l’Assemblée nationale sur la fin des championnats professionnels de football et le préjudice subi par les clubs du fait de l’arrêt anticipé de la saison 2019-2020 aurait des airs de remontada juridique.

 

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