Par Frédérique Berrod, Professeure de droit, Université de Strasbourg

La Commission européenne a-t-elle cédé aux États en proposant le 17 mars 2021 un règlement mettant en place un certificat vert numérique ? Les États qui ont besoin de flux touristiques mais craignent de stimuler ainsi la libre circulation du virus ont un intérêt légitime à demander une protection par la frontière. Ceci étant dit, le coronavirus vient interroger, voire malmener l’Union dans son ADN : construite par la libre circulation en son sein, l’Union européenne a toujours nié la frontière intérieure comme objet politique.

Cette frontière existe pourtant et la crise sanitaire en a accéléré la prise de conscience juridique. La Commission a opéré cette révolution silencieuse dans un nombre impressionnant de textes, écrits pour fermer la frontière en mars 2020, puis procéder à la désescalade des mesures de restrictions en mai 2020. Le Conseil a adopté une résolution en octobre 2020 sur la gestion des frontières, pour éviter que la deuxième vague de COVID-19 n’aboutisse à casser de manière unilatérale la dynamique de libre circulation.

Avec la troisième vague de contamination, l’Union européenne a réussi à éviter la fermeture des frontières intérieures en admettant pourtant le retour de la viscosité aux frontières par intensification des contrôles. Le certificat vert est donc vital pour garantir une libre circulation la plus fluide possible, en réduisant l’attente aux frontières. La Commission européenne avait, dans le même esprit, empêché en mars 2020 que la fermeture des points frontières par des blocs de béton rende impossible l’approvisionnement des citoyens européens en produits essentiels, en protégeant des couloirs verts de libre circulation sur les chemins des réseaux transeuropéens de transport. C’est dans cette filiation textuelle qu’il convient de comprendre le certificat vert numérique.

Ce futur certificat sanitaire fera-t-il office de passeport ?

La difficulté du point de vue du droit de la libre circulation est qu’elle n’est pas, dans l’Union européenne, conditionnée par un laisser-passer. La directive 2004/38 sur la libre circulation du citoyen le consacre en son considérant 11. Le coronavirus n’a pas eu raison de ce principe ! La proposition de règlement en son article premier rappelle ainsi que le certificat vise à « faciliter l’exercice, par leurs titulaires, de leur droit à la libre circulation pendant la pandémie de COVID-19 ». Il ne s’agit donc pas d’un quelconque passeport, constitutif de droit à la libre circulation mais d’un simple certificat sanitaire.

La proposition de règlement en fait une sorte de pochette électronique permettant de rassembler des certificats médicaux attestant de l’immunité de la personne et qui peut être présentée pour accélérer le passage aux frontières intérieures. Pour éviter de donner la primauté à la vaccination, laquelle n’est pas accessible pour tous les citoyens, les résultats de test PCR ou de test antigénique ou un certificat de rétablissement de la maladie de la COVID 19 peuvent être rassemblés dans ce certificat numérique. Ce que prouve le certificat est donc que le porteur est immunisé et peut donc circuler sans risquer de transmettre la maladie. Tout le système vise à endiguer la pandémie et prendra donc fin avec elle. La Commission se fixe sur le tempo de l’OMS en la matière. Est-ce pour les États un moyen de reprendre subrepticement le contrôle de leurs frontières nationales en violation des principes de l’espace de liberté, de sécurité et de justice ? Probablement pas. Il faut d’abord rappeler que la libre circulation s’est depuis toujours accommodée de la preuve de l’immunité de certaines maladies (article 29, paragraphe 1 de la directive 2004/38). La pandémie justifie donc les mesures restrictives de contrôle aux frontières, dès lors et dès lors seulement qu’elles sont un des outils d’un arsenal plus global de mesures restrictives pour les nationaux de l’État concerné. Des mesures de contrôle au-delà ne sont donc pas légales et pourront être utilement contestées par chaque citoyen devant les juges nationaux, pour recouvrer la pleine mesure de leur droit à circuler sans avoir à justifier d’un quelconque document autorisant le voyage.

Pourrait-il favoriser les discriminations entre les citoyens de l’Union européenne ? 

La proposition de règlement insiste sur le caractère interopérable du certificat vert numérique, ce qui évite toute forme de discrimination entre les États membres et entre les citoyens européens. La proposition vise à créer les conditions d’une reconnaissance mutuelle de ces certificats verts, pour que la libre circulation soit effectivement facilitée. Cela suppose la confiance. Le coronavirus a sur ce point un effet intéressant : il contraint la Commission européenne à penser un cadre de confiance entre les États membres, sans la concevoir comme une évidence entre des États.

L’article 8 de la proposition vient donc expliciter les principes juridiques de ce cadre de confiance. Celui-ci doit être sécurisé par un identifiant unique rendu lisible au travers d’un code barre sécurisé. L’interopérabilité doit être assurée sur la base des normes internationales, dont celles de l’OMS. Le certificat vert doit enfin être pleinement compatible avec le modèle européen de protection des données personnelles et un principe tout aussi européen, celui du partage de responsabilité entre les responsables du traitement informatique et en ce qui concerne les sous-traitants. Le certificat centralise ainsi des données médicales sans sacrifier le secret médical dû à ces données dites sensibles dans le RGPD. Ce faisant, les certificats assurent aux citoyens européens une protection la plus complète possible au vu des techniques existantes. Ce que ne dit pas explicitement la proposition de règlement, mais qui devrait s’imposer dans un marché unique numérique, c’est la nécessité de cybersécuriser le certificat vert, le virus informatique prenant dès maintenant le relai du coronavirus.

La proposition limite également les données récoltées, conformément au principe fondamental de minimisation des données, tout comme les personnes habilitées à les examiner. La conservation des données n’est par ailleurs autorisée que pour la délivrance du certificat et pour une durée ne pouvant excéder au plus celle de la pandémie. Il s’agit donc de renforcer la coordination entre les États membres, sans sacrifier les droits des citoyens à circuler sans être surveillés par les autorités étatiques et sans créer de discrimination dans l’accès au certificat (gratuit par ailleurs) ou entre les citoyens qui franchissent les frontières.

Dans quelle mesure ce certificat s’imposera aux Etats membres de l’Union européenne ?

Il reste que les États sont compétents pour lutter contre la pandémie, sans que l’Union européenne ne puisse faire plus que favoriser la coordination des mesures et l’information mutuelle des États membres. Les États peuvent donc, même avec ce règlement, décider que le certificat vert ne dispense pas d’une autre mesure restrictive. Le règlement rappelle que ces restrictions demeurent sujettes au respect du principe européen de proportionnalité.

Les États restent aussi libres d’utiliser aussi ce certificat au sein de leur territoire, pour faciliter la sécurisation de lieux fréquentés par le public. C’est d’ailleurs en ce sens que s’est exprimé le président Macron après le Conseil européen par visioconférence des 25 et 26 février 2021. Le certificat pourrait alors acquérir un statut de document constitutif de droit pour permettre la réouverture de lieux de culture, des bars et des restaurants. Cette transformation de statut devrait alors être conciliée avec le maintien des libertés publiques propres à chaque État membre. Une contrainte que la proposition de règlement ne peut parer, dans le respect de ce qui relèverait au fond de la souveraineté de chaque État.

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